Marcof-Le-Malouin

Chapitre 20L’INTERROGATOIRE.

Un cri d’appel retentit au loin. Un secondplus rapproché lui succéda.

– Voici nos hommes ! fit lecomte.

Keinec et Jahoua s’étaient rapprochés. Unedouzaine de chouans, conduisant au milieu d’eux une femme, un hommeet un enfant, sortirent d’une allée voisine et s’avancèrent.

– Où les avez-vous pris, mon gars ?demanda M. de La Bourdonnaie.

– Près d’Audierne, répondit unpaysan.

– Ils n’étaient que trois ?

– Pardon, monsieur le comte, il y avaitavec eux un autre homme.

– Où est-il ?

– Il a pris la fuite et nos balles n’ontpu l’atteindre.

– Maladroits !

– Nous avons fait pour le mieux.

– Les prisonniers sontattachés ?

– Oui, monsieur le comte.

– C’est bien… je vais les interroger.

Les paysans se retirèrent, et les prisonniersdemeurèrent en face du comte. Ces prisonniers, nos lecteurs l’ontdeviné sans doute, n’étaient autres que Jasmin, Hermosa etHenrique. L’enfant, nous pensons l’avoir dit, n’avait pas onze ansencore. Effrayé de ce qui se passait, il se tenait étroitementserré contre sa mère.

Jasmin, pâle et défait, tremblait de tous sesmembres, jetant autour de lui des regards effarés. Hermosa, fièreet hautaine, relevait dédaigneusement la tête, et semblait défierceux entre les mains desquels elle se trouvait. Le comte de LaBourdonnaie commença par interroger Jasmin.

– Qui es-tu ? lui demanda-t-il.

Mais avant que le valet pût ouvrir la bouchepour répondre, Hermosa se tournant vers lui :

– Je te défends de parler ! dit-elled’une voix impérative.

– Oh ! oh ! belle dame !fit Boishardy en souriant ironiquement, vous oubliez, je crois,devant qui vous êtes.

– C’est parce que je m’en souviens que jeparle ainsi.

– Vraiment ?

– Je suis femme de qualité !

– Et nous sommes gentilshommes.

– On ne s’en douterait pas.

– Vous plairait-il de vousexpliquer ?

– Des gentilshommes ne font pasd’ordinaire le métier de voleurs de grand chemin.

– Tonnerre ! s’écria Marcof, nediscutons pas et dépêchons.

– Laissez-moi faire, mes amis, ditM. de Boishardy en s’adressant au comte de La Bourdonnaieet au marin. Madame voudrait sans doute prolonger la conversation,mais je vous réponds qu’elle va parler nettement.

Hermosa sourit.

– D’abord, continua le gentilhomme, nousne sommes nullement des voleurs, mais bien des personnagespolitiques. Veuillez vous rappeler cela. Une insulte nouvellepourrait vous coûter la vie à tous trois. Réfléchissez !… Vousvenez de défendre à cet homme de répondre, n’est-ce pas ? Ehbien ! ce sera vous alors, madame, qui allez nous faire cethonneur. Ne riez pas !… je vous affirme que je ne mens jamais.Veuillez m’écouter ; je commence : Quiêtes-vous ?

– Comme je ne vous reconnais pas le droitde m’interroger, pas plus que celui de m’avoir arrêtée, je ne vousrépondrai pas.

– La chose devient piquante ! Cetenfant est votre fils ? continua Boishardy en indiquantHenrique.

Hermosa ne répondit que par un sourirerailleur. Marcof se mordait les lèvres avec impatience ettourmentait la batterie de sa carabine. Boishardy, parfaitementcalme, siffla doucement. Un paysan s’avança : c’étaitFleur-de-Chêne.

– Ton fusil est-il chargé ? demandale chef.

– Oui.

– Très-bien. Appuie un peu le canon surla poitrine de cet enfant.

Fleur-de-Chêne épaula son arme et en dirigeal’extrémité à bout portant sur Henrique. Hermosa poussa un cri etvoulut se jeter entre son fils et l’arme meurtrière, mais Marcoflui saisit le bras et la cloua sur place.

– Mon fils ! dit-elle.Grâce !…

– Allons donc ! je savais bien queje vous ferais répondre ! continua Boishardy. Maintenant,Fleur-de-Chêne, attention, mon gars ; je vais interrogermadame, à la moindre hésitation de sa part à me répondre, tu ferasfeu sans que je t’en donne l’ordre.

– Ça sera fait ! répondit lepaysan.

Hermosa était d’une pâleur extrême. En proie àla rage de se voir contrainte à obéir, effrayée du péril quimenaçait Henrique, elle tordait ses belles mains sous les cordesqui les retenaient captives.

– Votre nom ? demanda Boishardy.

– Je suis la marquise de Loc-Ronan.

– La marquise de Loc-Ronan ! s’écriaMarcof en bondissant.

– Crois-tu qu’elle mente ? fitBoishardy.

– Non ! non ! répondit lemarin. Elle doit dire vrai, et c’est la Providence qui l’a conduiteici !

Puis, se retournant vers Hermosa :

– Vous êtes la sœur du comte de Fouguerayet du Chevalier de Tessy, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

– Répondez ! dit Boishardy.

– Oui.

– Oh ! mes yeux s’ouvrentenfin ! murmura Marcof.

– Yvonne ! Yvonne ! glissaKeinec son oreille.

– Nous allons tout savoir,patience ! répondit le marin.

Boishardy continua l’interrogatoire.

– D’où venez-vous ?

– De chez mon frère.

– Où était votre frère ?

– À l’abbaye de Plogastel.

– Ici près ?

– Oui !

– Où alliez-vous ?

– À Audierne.

– Pourquoi faire ?

– Pour m’y embarquer.

– Vous vouliez quitter laFrance ?

– Je voulais seulement quitter laBretagne.

– Quel est l’homme qui vousaccompagne ?

– Mon valet.

– Il se nomme ?

– Jasmin.

– Et celui qui a fui.

– C’est mon frère.

– Le comte de Fougueray ?

– Oui.

– Connaissez-vous ce comte ? demandaBoishardy à Marcof.

– Oui, répondit le marin ; c’est unagent révolutionnaire.

– Vous en êtes certain ?

– J’en ai les preuves.

– Alors, il faut les faire fusiller,n’est-ce pas ?

– C’est mon avis !… dit le comte deLa Bourdonnaie ; quoique tuer une femme me répugne, mêmelorsqu’il s’agit du bien de notre cause.

Boishardy fit un geste d’indifférence.

– Attendez ! s’écria Marcof, il fautque je l’interroge.

– Interrogez, mon cher ami !

– Fleur-de-Chêne, dit Marcof, faistoujours attention…

Puis, revenant à Hermosa :

– Avec qui étiez-vous àl’abbaye ?

– Avec mon frère, je l’ai dit.

– Avec le comte seulement ?

– Mais…

– Vous hésitez ?

– Non ! s’écria Hermosa.

– Répondez donc !

– Il y avait un autre homme avecnous.

– Le nom de celui-là ?

– La chevalier de Tessy.

– Votre second frère ?

– Oui.

– Vous mentez.

– Monsieur !

– Cet homme n’est pas votre frère.

– Monsieur !

– Fleur-de-Chêne ! s’écriaMarcof.

– Grâce !… fit Hermosa en selaissant tomber à genoux.

– Faut-il faire feu ? demandafroidement le paysan.

– Attends encore !… réponditMarcof.

Hermosa réfléchit rapidement. Elle se sentaitprise dans des mains de fer. Fallait-il avouer tout ?Fallait-il nier obstinément ?

Un aveu la perdait à tout jamais, car c’étaitraconter sa vie infâme. D’un autre côté, ceux qui lui parlaient etqui l’interrogeaient ne pouvaient pas avoir de preuves contre sesassertions au sujet de sa famille. Elle se résolut à soutenir lemensonge.

– Répondez ! reprit Marcof.

– Vous pouvez tuer mon enfant, monsieur,vous pouvez me faire tuer ensuite, fit Hermosa avec l’apparenced’une victime résignée ; mais vous ne sauriez me contraindre àmentir.

– Ainsi le chevalier de Tessy est votrefrère ?

– Oui.

– Soit ; je ne puis pasmalheureusement vous prouver le contraire. Mais songez bienmaintenant à me répondre franchement, car je jure Dieu que votrefils mourrait sans pitié !

– Interrogez donc !

– Où avez-vous laissé lechevalier ?

– À l’abbaye.

– Pourquoi ?

– Il était malade.

– Prenez garde !

– Je dis la vérité.

– Attention, Fleur-de-Chêne, attention,mon gars, et tire sur l’enfant à mon premier geste.

Hermosa tressaillit involontairement. Elledevinait où allait en venir son interrogateur.

– Le chevalier était empoisonné !accentua fortement Marcof.

– Oui, répondit Hermosa sans hésiter, carelle comprenait que le moindre retard dans ses paroles coûterait lavie à Henrique.

Au milieu de ses vices, dans sa vie decriminelle débauche, cette femme avait conservé au fond de son cœurun amour effréné pour son enfant. Mais cet amour était celui de lalouve pour ses louveteaux.

– Qui a empoisonné lechevalier ?

– Le comte de Fougueray.

– Son frère ! s’écria Marcof. Vousentendez, messieurs ?

– Qui a versé le poison ? demandaBoishardy.

– Moi !

– Qu’elle meure donc ! fit le comtede La Bourdonnaie. Cette misérable me fait horreur !

– Non ! dit vivement Marcof ;je lui promets la vie si elle dit là vérité sur ce que j’ai encoreà lui demander.

– Faites, répondit Boishardy.

– Vous devez savoir que le chevalier deTessy avait enlevé une jeune fille ? continua le marin.

– Je le sais.

– Elle se nomme Yvonne.

– Oui.

– L’avez-vous vue ?

– Oui.

– Quand cela ?

– Il y quelques heures à peine.

Keinec et Jahoua poussèrent un rugissement dejoie et de colère. Marcof les arrêta de la main. Puis, revenant àHermosa :

– Où était cette jeune fille ?

– À l’abbaye.

– Où est-elle ?

– Écoutez-moi, fit vivement la misérable,craignant qu’on ne prit pour hésitation de sa part l’ignorance oùelle était effectivement de ce qu’était devenue Yvonne.

Elle raconta brièvement ce qu’elle savait.Elle dit comment Yvonne avait été atteinte par les crisesnerveuses, comment le comte l’avait saignée, comment lui et lechevalier l’avaient enfermée dans la cellule de l’abbesse, etcomment enfin elle, Hermosa, avait constaté le soir la disparitionextraordinaire de la jeune fille. Il y avait un tel cachet devérité à ses paroles, il était si naturel de supposer qu’Yvonne eûtprofité de la plus légère circonstance favorable pour fuir, queMarcof et ceux qui écoutaient Hermosa ne doutèrent pas qu’elle neparlât sincèrement.

– La jeune fille est peut-être retournéeà son village, dit le comte de La Bourdonnaie.

– C’est possible, répondit Boishardy.

– Non, dit Marcof ; elle devait êtretrop faible, et il y a loin d’ici à Fouesnan. Et puis, vos gars quigardent le pays l’auraient déjà arrêtée.

– Mais qu’est-elle devenue alors ?s’écria Jahoua.

– Avez-vous visité les souterrains ?demanda Hermosa qui avait compris facilement que les trois hommesavaient été à l’abbaye.

Il lui était fort indifférent que l’onretrouvât ou non Yvonne, et elle espérait attendrir ses juges enayant l’air de leur donner tous les éclaircissements qui étaient enson pouvoir.

– Il y a donc des souterrains dansl’abbaye ? demanda Marcof.

– Oui, dit Fleur-de-Chêne, et defameux !

– Tu les connais ?

– Oui.

– Tu vas venir avec nous et nousconduire.

– Partons ! s’écrièrent Jahoua etKeinec.

– Guide-les, Fleur-de-Chêne. Je vousrejoins, mes gars, dit Marcof.

Fleur-de-Chêne et les deux jeunes garsdisparurent promptement. Hermosa poussa un soupir de soulagement.Henrique n’était plus menacé par le fusil du paysan breton.

– Qu’allons-nous faire de cettefemme ? demanda M. de La Bourdonnaie en désignantHermosa.

Marcof l’entraîna, ainsi que Boishardy, àquelques pas, et, baissant la voix :

– Il ne faut pas la tuer, dit-il.

– Elle peut nous être utile ?

– Peut-être.

– Nous devons la garder à vie,alors ?

– Oui.

– Je m’en charge, fit Boishardy.

– Où la conduirez-vous ?

– Au château de La Guiomarais, où est lequartier général de La Rouairie.

– Très-bien.

– Je l’emmènerai cette nuit même.

Les trois chefs allaient se séparer, lorsqu’unpaysan parut dans la petite clairière où ils se trouvaient.

– Qu’y a-t-il, Liguerou ? demandavivement le comte.

– Un message pour vous, monsieur.

– De quelle part ?

– De la part d’un monsieur que je neconnais pas, répondit le paysan en présentant une lettre à LaBourdonnaie.

– Où as-tu vu ce monsieur ?

– À deux lieues d’ici, sur la routed’Audierne. Il traversait les genêts avec une femme habillée enreligieuse et un autre homme âgé. Nous les avons arrêtés, mais ilnous a donné le mot de passe et il a ajouté les paroles convenueset qui désignent un chef. Alors, au moment de s’éloigner, il m’arappelé ; je suis revenu ; il a écrit une lettre sur unpapier avec un crayon, et il me l’a remise en m’ordonnant de vousla porter sans retard. J’ai obéi.

– Bien, mon gars.

Le paysan se recula, tandis que le comtebrisait le cachet ou plutôt déchirait une enveloppe collée avec dela mie de pain.

– Kérouët, dit-il en s’adressant à unhomme qui tenait à la main une torche de résine enflammée,éclaire-moi.

Kérouët s’approcha vivement pour obéir à sonchef. Quelques lignes étaient tracées sur le verso de l’enveloppe.Ces quelques lignes contenaient les mots suivants :

« Prière au comte de La Bourdonnaie defaire passer cette lettre par une main fidèle au capitaine Marcof,commandant le lougre le Jean-Louis en relâche àPenmarckh. »

– Marcof, dit le comte en tendant lalettre au marin, ceci est pour vous.

– Pour moi ?

– Voyez ce que l’on m’écrit.

Marcof prit la lettre et l’enveloppe. À peineeut-il jeté les yeux sur les lignes tracées au crayon qu’iltressaillit et qu’une joie immense illumina sa mâle figure. Ilvenait de reconnaître l’écriture du marquis de Loc-Ronan. Prenantla torche des mains de Kérouët et se retirant à l’écart, il lutavidement. Puis il revint vers le comte et son compagnon.

– Messieurs, dit-il, il faut que je vousparle. Éloignez tout le monde.

La Bourdonnaie donna l’ordre d’emmener lesprisonniers et de veiller sur eux.

– Qu’y a-t-il ? demanda Boishardylorsqu’ils furent seuls tous trois.

– Je suis autorisé à vous révéler unsecret, répondit Marcof. Écoutez-moi attentivement. Le marquis deLoc-Ronan n’est pas mort.

– Philippe n’est pas mort ! s’écriaBoishardy.

– Impossible ! fit le comte ;j’ai assisté à ses funérailles.

– Je vous le répète pourtant : lemarquis de Loc-Ronan n’est pas mort.

– Impossible ! impossible !

– Cette lettre est de lui. Voyez sasignature. Elle est datée de ce soir même.

– C’est une bénédiction du ciel !murmura M. de La Bourdonnaie en regardant la lettre quelui présentait Marcof.

– C’est un bras et un cœur de plus dansnos rangs, ajouta Boishardy.

– Expliquez-nous ce mystère,Marcof !

– Je ne puis vous révéler les causes quiont déterminé le marquis à se faire passer pour mort. Il faut mêmeque vous gardiez le plus profond secret à cet égard. Toujoursest-il qu’il est vivant. Il quitte la Bretagne cette nuit même, etvoici ce qu’il m’écrit avec ordre de vous communiquer sesintentions.

– Nous écoutons.

Marcof commença la lecture de lalettre :

« Mon cher et aimé Marcof, écrivait lemarquis, si tu m’as cru mort, je viens porter d’un seul coup etsans préparation aucune la joie dans ton âme, car je n’ignore pasles sentiments qui t’attachent à moi. Si le bruit de ma mort n’estpas encore arrivé jusqu’à toi, j’en bénirai le ciel qui t’auraainsi évité une douleur profonde. Dans tous les cas, voici ce qu’ilest important que tu saches ; le soir même du jour où mesfunérailles ont été célébrées dans le château de mes pères, jeprenais la fuite avec Jocelyn.

« Je me suis retiré dans l’abbaye dePlogastel, près de mademoiselle de Château-Giron, qui avaitcontinué à habiter le couvent. Je comptais attendre là ton retouret te donner les moyens de venir m’y joindre. Malheureusement, Dieuen a ordonné autrement. Des misérables m’ont poursuivi et ontdécouvert ma retraite. Je fuis donc ; je passe enAngleterre.

« Communique cette lettre à nosprincipaux amis, afin qu’ils sachent ce que je vais faire et qu’ilsconnaissent nos moyens de correspondre. Je vais à Londresd’abord ; là, je verrai Pitt, et je m’efforcerai d’obtenir dessecours en armes et en argent. Je solliciterais l’appui d’uneflotte anglaise, s’il ne me répugnait d’associer des étrangers ànotre cause.

« S’il m’accorde les secours que jedemande, le roi pourra l’en récompenser plus tard et rendre àl’Angleterre ce qu’elle nous aura prêté. D’Angleterre j’irai enAllemagne ; je verrai Son Altesse Royale monseigneur le comtede Provence. Je prendrai ses ordres que je vous ferai passer.

« Tu pourras te mettre facilement encommunication avec le pêcheur qui me conduit en Angleterre ;il se nomme Salaün et habite Audierne. À son retour, il te remettraune nouvelle lettre de moi. »

– C’est là tout ce qui concerne notrecause, messieurs, dit Marcof en repliant la lettre.

– Je répondrai à Philippe, dit Boishardy,et je vous remettrai la lettre, Marcof.

– Serez-vous encore à Penmarckh dansquatre jours ? demanda le comte de La Bourdonnaie.

– Oui ; je ne mettrai à la voilequ’après avoir reçu la seconde lettre du marquis.

– Bien ; nous irons vous trouver àbord de votre lougre dans quatre nuits.

– Je vous attendrai, messieurs.

Marcof prit les mains de ses deuxinterlocuteurs.

– Pas de honte entre nous, dit-il ;avez-vous besoin d’argent ?…

– Non, répondit le comte.

– Et vous, monsieur deBoishardy ?

– J’avoue qu’il m’en faudrait pouraugmenter l’entraînement général.

– Combien ?

– Oh ! beaucoup.

– Dites toujours.

– Vingt-cinq mille écus environ.

– Vous les aurez.

– Quand cela ?

– Quand vous viendrez à mon bord.

– Ah çà ! mon cher ami, le Pactolecoule donc sur le pont de votre lougre ? dit Boishardy enriant.

– Pas sur le pont, mais dans la cale.

– Quoi ! sérieusement, cet argentest à vous ? demanda La Bourdonnaie.

– J’ai trois cent mille livres à votredisposition, à bord du Jean-Louis, et cinq cent milleautres cachées dans un endroit connu de moi seul. Cet or estconsacré au besoin de notre cause.

– Brave cœur ! s’écriaBoishardy ; il donne plus que nous !

– J’ai toujours pensé que Marcof était ungentilhomme qui reniait son origine et se cachait sous les habitsd’un matelot, ajouta M. de La Bourdonnaie en s’inclinantavec une gracieuse politesse.

– Ne vous occupez pas de cela, messieurs,répondit Marcof en souriant avec fierté. Sachez seulement que jepuis vous recevoir et vous serrer la main sans que vous descendieztrop du rang où vous a placé chacun le nom de vos aïeux.

– Nous n’en doutons pas, fit Boishardy entendant sa main ouverte au marin.

– Dans quatre nuits, n’est-cepas ?

– C’est convenu.

– Et les prisonniers ?

– J’en réponds, dit encore Boishardy.

– Adieu donc !

Marcof quitta rapidement la clairière et pritla route de l’abbaye de Plogastel.

– Oh ! se disait-il en se glissantdans les genêts.

– Pauvre Philippe ! je saismaintenant tes secrets. Je connais la cause de ta fuite. Je devinecelle qui te fait abandonner la Bretagne au moment du danger. Maisje suis là, frère, et je veille. Déjà deux des misérables qui onttorturé ta vie sont entre mes mains, et le troisième ne m’échapperapas ? Mon Dieu ! faites que je puisse rendre à celui quej’aime de toute la force de mon cœur cette tranquillité qu’il aperdue ! Que je le voie heureux et que je meure après s’il lefaut. Mais comment se fait-il que ce chevalier de Tessy soit lemême homme que ce Raphaël que j’ai rencontré jadis dans lesAbruzzes ? Il y a là-dessous quelque horrible mystère que jesaurai bien découvrir plus tard. Oh ! que je trouve ce comtede Fougueray, que je le tienne en ma puissance comme j’y tiens sasœur maudite, et je parviendrai à leur faire révéler lavérité ! Va, Philippe, tu seras heureux peut-être, mais je teferai libre, je le jure !

Marcof était arrivé devant l’abbaye. Il montarapidement à la chambre où il avait laissé Raphaël. Le cadavre dumalheureux était dans une décomposition complète. La force dupoison était telle qu’en quelques heures il avait accompli l’œuvreque la mort met plusieurs jours à faire. L’air de la cellule étaitvicié par une odeur infecte et insoutenable. Marcof sortitvivement. Il appela Keinec et Jahoua. Aucun d’eux ne lui répondit.L’abbaye semblait déserte et abandonnée.

– Ils sont dans les souterrains, murmuraMarcof ; ils n’ont pas besoin de moi en ce moment. Je vaisvisiter encore la chambre qu’a habitée Yvonne et la sonderattentivement. La jeune fille n’a pu fuir que par une ouverturesecrète qu’elle aura découverte.

Ce disant, le marin entra dans la cellule del’abbesse. Il visita avec une profonde attention le plancher et lesmurailles ; puis, ne découvrant rien et supposant que lesmeubles pouvaient cacher ce qu’il cherchait, il se mit en devoir deles enlever de la chambre. Il s’adressa d’abord au lit.

Le lit ne recouvrait aucun indice qui putmettre Marcof sur la voie qu’Yvonne avait dû prendre pour sesauver. Alors il voulut repousser le bahut d’ébène. Le meublerésista. On se rappelle qu’il était scellé à la muraille par l’unde ses angles.

Marcof employa inutilement ses forces.Saisissant sa hache, il attaqua les deux battants de la porte dubahut. Le bois craqua sous l’acier. Marcof arracha la porte quicéda, et sonda l’intérieur avec le manche de son arme.

Le fond, élevé sur quatre pieds, ne pouvaitévidemment pas mériter un long examen. Il frappa sur le côté dumeuble, qui devait être appuyé au mur. Le panneau rendit ce son secdu bois derrière lequel il y a vide. Marcof poussa un cri de joieet attaqua plus vigoureusement encore l’ébène, qui bientôt jonchale plancher de ses débris mutilés.

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