Marcof-Le-Malouin

Chapitre 17AUDIERNE.

Ainsi que l’avait fait remarquer Keinec, labrise était bonne, car le vent venait de terre. Le canot glissantrapidement sur la vague, doubla le promontoire de la baie et mit lecap sur Audierne, où Carfor avait dit avoir laissé Yvonne.

Marcof espérait obtenir là de précieuxrenseignements. Mais le destin semblait avoir pris à tâche decontrarier et de retarder les recherches des trois hommes en venantau secours des misérables qu’ils poursuivaient. À peinel’embarcation prenait-elle la haute mer qu’une saute de vent vintentraver sa marche. Une forte brise de nord-ouest souffla tout àcoup.

Keinec et Jahoua usaient leurs forces en secouchant sur les avirons sans pouvoir gagner sur le vent debout quise carabinait de plus en plus, suivant l’expression des matelots.Marcof était trop bon marin pour ne pas reconnaître qu’ildeviendrait bientôt impossible de lutter contre la brise. Risquerde faire sombrer le canot eût été l’acte d’un fou.

– Il faut retourner à Penmarckh !dit-il.

– Retourner ! s’écrièrent ensembleles deux jeunes gens.

– Eh ! sans doute ! quevoulez-vous faire ? Bientôt nous reculerons au lieu d’avancer.Virons de bord et retournons au Jean-Louis. La brise nousy portera promptement. Je ferai armer le grand canot ; jeprendrai avec nous douze hommes, et alors nous gagnerons sur levent.

Keinec interrogea le ciel et poussa un profondsoupir.

– Allons par terre ! dit Jahoua.

– Nous arriverons une heure plus tard,répondit Marcof.

– Alors virons de bord.

– C’est ton avis, Keinec ?

– Oui.

– Armez les deux avirons à tribord etattendons, car nous allons virer sous le vent, et la lame commenceà être forte.

Ces ordres exécutés, l’embarcation, obéissantà l’impulsion du gouvernail, présenta d’abord le travers à labrise, puis tourna vivement sur elle-même.

– Larguez la toile mes gars, et laissonscourir, dit Marcof.

Trois quarts d’heure ne s’étaient pas écoulésque le canot accostait le lougre. Le soleil s’élevait rapidementsur l’horizon. Marcof fit armer le grand canot, commanda lescanotiers de service, et sans prendre le temps de descendre à terreil fit pousser au large.

La nouvelle embarcation était vaste etspacieuse, et pouvait aisément contenir trente hommes. Tenantadmirablement la mer, et enlevée par douze avirons habilementmaniés, elle luttait avec avantage contre le vent. Néanmoins, ce nefut que vers l’approche de la nuit qu’elle parvint à gagnerAudierne.

L’entrée du canot dans le petit port vientdonc correspondre au moment où Jocelyn venait de reconnaître lechevalier de Tessy et le comte de Fougueray dans les habitantsmystérieux de l’aile droite de l’abbaye de Plogastel, au momentaussi où Hermosa plaçait devant Raphaël la carafe de Syracusecontenant le poison des Borgia. Marcof, Jahoua, et Keinec seséparèrent pour aller aux renseignements.

Partout ils interrogèrent. Partout ilsracontèrent brièvement la disparition d’Yvonne. Nulle part ils nepurent obtenir une seule parole qui les mît sur la trace desravisseurs. Les deux jeunes gens étaient en proie au plus violentdésespoir. Marcof seul conservait sa raison.

– Fouillons le pays, dit-il.

– Mais il n’y a ni village ni châteaudans les environs ! répondit Jahoua. Carfor nous auratrompés.

– Je ne le crois pas.

– L’abbaye de Plogastel est déserte, fitobserver Keinec.

– Dirigeons-nous toujours vers l’abbaye.La forêt est voisine, et le comte de La Bourdonnaie aura peut-êtreété plus heureux que nous.

Jahoua secoua la tête.

– Je n’espère plus, dit-il.

– Ils auront gagné les îles anglaises,ajouta Keinec.

– Tonnerre ! s’écria Marcof aveccolère, le désespoir est bon pour les faibles ! Restez doncici. Si vous ne voulez plus continuer les recherches, je les feraiseul !

Et, jetant sa carabine sur son épaule, lemarin se dirigea vers la campagne. Keinec et Jahoua s’élancèrent àsa suite. Arrivé à la porte d’une ferme voisine, Marcofs’arrêta.

– Tu dois avoir des amis dans cepays ? dit-il à Jahoua.

– Oui, répondit le fermier.

– Connais-tu le propriétaire de cetteferme ?

– C’est Louis Kéric, mon cousin.

– Frappe alors, et demande deschevaux.

En voyant Marcof ferme et résolu, ses deuxcompagnons sentirent renaître une lueur d’espoir ; Jahouaobéit vivement. Le fermier auquel il s’adressait mit son écurie àla disposition de son cousin. Trois bidets vigoureux furentlestement sellés et bridés. Les trois hommes partirent au galop.Dix heures du soir sonnaient à l’église d’Audierne à l’instant oùils s’élançaient dans la direction de l’abbaye. Marcof était entête.

Arrivés à la moitié environ du chemin qu’ilsavaient à parcourir pour atteindre l’abbaye de Plogastel, les troiscavaliers, qui suivaient au galop la route bordée de genêts,entendirent un sifflement aigu retentir à peu de distance. Marcofétendit vivement la main.

– Halte ! dit-il en retenant soncheval.

– Pourquoi nous arrêter ? demandaKeinec.

– Parce que nos amis pourraient nousprendre pour des ennemis et tirer sur nos chevaux.Attendez !

Le marin répondit par un sifflement semblableà celui qu’il avait entendu, puis il l’accompagna du cri de lachouette.

Alors il mit pied à terre.

– Tiens mon cheval, dit-il à Jahoua. Etil s’approcha des genêts. Deux ou trois hommes apparurent de chaquecôté de la route.

– Fleur-de-Chêne ! dit Marcof enreconnaissant l’un d’eux.

– Capitaine ! répondit le paysan ensaluant avec respect.

– Avez-vous des prisonniers ?

– Aucun encore.

– Tonnerre ! s’écria le marin enlaissant échapper un geste d’impatience furieuse. Vous veillezcependant ?

– Tous les genêts sont gardés.

– Et les routes ?

– Surveillées.

– Où est M. le comte ?

– Dans la forêt.

– Bien, j’y vais. Donne le signal pourqu’on laisse continuer notre route, car nous n’avons pas le tempsde nous arrêter.

Fleur-de-Chêne prit une petite corne de bergersuspendue à son cou et en tira un son plaintif. Le même bruit futrépété quatre fois, affaibli successivement par la distance.

– Vous pouvez partir, dit le paysan.

– Et toi, veille attentivement.

Marcof se remit en selle, et les trois hommescontinuèrent leur route en activant encore les allures de leurschevaux. Bientôt ils atteignirent l’endroit où se soudait au cheminqu’ils parcouraient l’embranchement de celui conduisant àBrest.

– Continuons, dit Jahoua en voyant Marcofhésiter.

– Non, répondit le marin. Peut-être sesont-ils réfugiés dans l’abbaye, et alors ils doivent garderl’entrée de la route. Prenons celle de Brest, nous traverserons lesgenêts en mettant pied à terre, et nous pénétrerons en escaladantles murs de clôture du jardin. De ce côté, on ne nous attendrapas.

– Au galop ! fit Keinec ens’élançant sur la route indiquée.

Bien évidemment le hasard protégeait Diégo,car, sans la réflexion de Marcof, les trois cavaliers, continuantdroit devant eux, se fussent trouvés face à face avec le comte etHermosa, qui quittaient en ce moment l’abbaye après le meurtre deRaphaël.

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