Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 2

 

Voilà qui n’avait guère l’air d’un débutbrillant, et nous étions bien découragés, si découragés, que Tomparlait de retourner en Angleterre et de chercher une placed’employé.

Par où vous voyez que, sans le savoir, nousn’avions joué que nos basses cartes, et que nous avions encore enmain tous nos atouts.

Non, nous nous figurions que nous avions lamain malheureuse en tout.

Nous nous trouvions dans une région presquedépourvue de population.

Il ne s’y trouvait que quelques fermeséparpillées à de grandes distances, avec des maisons d’habitationentourées d’une palissade et de barrières pour se défendre contreles Cafres.

Tom Donahue et moi nous avions tout juste uneméchante hutte dans la brousse, mais on savait que nous nepossédions rien, et que nous jouions avec quelque adresse durevolver, de sorte que nous ne courions pas grand risque.

Nous restions là, à faire quelques besognespar ci par là, et à espérer des temps meilleurs.

Or, au bout d’un mois, il arriva un soircertaine chose qui commença à nous remonter un peu l’un et l’autre,et c’est de cette chose-là, Monsieur, que je vais vous parler.

Je m’en souviens bien.

Le vent hurlait auteur de notre cabane et lapluie menaçait de faire irruption par notre misérable fenêtre.

Nous avions allumé un grand feu de bois quipétillait et lançait des étincelles sur le foyer.

J’étais assis à côté, m’occupant à réparer unfouet, pendant que Tom, étendu dans la caisse qui lui servait delit, geignait piteusement sur la malchance qui l’avait amené dansun tel endroit.

– Du courage, Tom, du courage, dis-je.Aucun homme ne sait jamais ce qui l’attend.

– La déveine, Jack, la déveine. J’aitoujours été le chien le plus déveinard qu’il y ait. Voici troisans que je suis dans cet abominable pays. Je vois des jeunes gensqui arrivent à peine d’Angleterre, et qui font sonner leurs pochespleines d’argent et moi je suis aussi pauvre que le jour où j’aidébarqué. Ah ! Jack, vieux copain, si vous tenez à rester latête au-dessus de l’eau, il faut que vous cherchiez fortuneailleurs qu’en ma compagnie.

– Des bêtises, Jack ! vous êtes endéveine aujourd’hui… Mais écoutez, quelqu’un marche audehors ! À son pas, je reconnais Dick Wharton. Si quelqu’unest capable de vous remettre en train, c’est lui.

Je parlais encore, que la porte s’ouvrit pourlaisser entrer l’honnête Dick Wharton, tout ruisselant d’eau, sabonne face rouge apparaissant à travers une buée comme la lune dansl’équinoxe d’automne.

Il se secoua, et, après nous avoir ditbonjour, il s’assit près du feu.

– Dehors, Dick, par une nuitpareille ? dis-je. Vous trouverez dans le rhumatisme un ennemipire que les Cafres, si vous ne prenez pas des habitudesrégulières.

Dick avait l’air plus sérieux qued’ordinaire.

On eut même pu dire qu’il paraissait effrayé,si l’on n’avait pas connu son homme.

– Fallait y aller, dit-il. Fallait yaller. Une des bêtes de Madison s’est égarée. On l’a aperçue parlà-bas, dans la vallée de Sasassa, et naturellement pas un de nosnoirs n’a consenti à se hasarder la nuit dans cette vallée et sinous avions attendu jusqu’au matin, l’animal se serait trouvé dansle pays des Cafres.

– Pourquoi refusent-ils d’aller la nuitdans la vallée de Sasassa ? demanda Tom.

– À cause des Cafres, je suppose,dis-je.

– Fantômes, dit Dick.

Nous nous mîmes tous deux à rire.

– Je suis persuadé qu’à un homme aussiprosaïque que vous, ils n’ont pas seulement laissé entrevoir leurscharmes ? dit Tom du fond de sa caisse.

– Si, dit Jack d’un ton sérieux, mais si,j’ai vu ce dont parlent les noirauds, et, sur ma parole, mesgarçons, je ne tiens pas à le revoir.

Tom se mit sur son séant :

– Des sottises, Dick, vous voulez rire,l’ami. Allons, contez-nous tout cela : La légende d’abord, etensuite ce que vous avez vu. Passez-lui la bouteille, Jack.

– Eh bien, dit Dick, pour la légende, ilparaît que les noirauds se repassent de génération en génération lacroyance que la vallée de Sasassa est hantée par un Démon horrible.Des chasseurs, des voyageurs qui descendaient le défilé ont vu sesyeux luisants sous les ombres des escarpements, et le bruit courtque quiconque a subi par hasard ce regard malfaisant, est poursuivipendant tout le reste de sa vie par la malchance due à l’influencemaudite de cet être. Est-ce vrai, ou non ? dit Dick d’un airpiteux. Je pourrai avoir l’occasion de le savoir par moi-même.

– Continuez, Dick, continuez, s’écriaTom. Racontez-nous ce que vous avez vu.

– Eh bien voilà : j’allais à tâtonspar la vallée en cherchant la vache de Madison, et j’étais arrivé,je crois, à moitié chemin de la pente, vers l’endroit où un rocherescarpé, tout noir, se dresse dans le ravin de droite. Je m’yarrêtai pour boire une gorgée.

« À ce moment-là, j’avais les yeuxtournés vers cette pointe de rocher.

« Au bout d’un moment je vis surgir, enapparence, de la base du roc, à huit pieds de terre, et à unecentaine de yards de distance, une étrange flamme livide, quipapillotait, oscillait, tantôt semblait près de s’éteindre, ettantôt reparaissait…

« Non, non, j’ai vu bien des fois le verluisant et la mouche de feu. Ce n’était rien de pareil.

« Cette flamme était bien là, et je laregardai dix bonnes minutes en tremblant de tous mes membres.

« Je fis alors un pas en avant.

« Elles disparut instantanément, comme laflamme d’une bougie qu’on a soufflée.

« Je fis un pas en arrière ; mais ilme fallut un certain temps pour retrouver l’endroit exact et laposition d’où la flamme était visible.

« À la fin, elle reparut, la lueurmystérieuse, mobile comme auparavant.

« Alors, rassemblant tout mon courage, jemarchai vers le rocher, mais le sol était si accidenté qu’ilm’était impossible de marcher en droite ligne, et quoique j’aiefait tout le tour de la base du rocher, je ne pus rien voir.

« Alors je me remis en route pour lamaison, et je puis vous le dire, mes enfants, je ne me suis pasaperçu qu’il pleuvait pendant tout le long du trajet, jusqu’aumoment où vous me l’avez dit.

Mais holà ? Qu’est-ce qui prend àTom ?

Qu’est-ce qui lui prenait, en effet ?

À ce moment-là Tom était assis, les jambeshors de sa caisse, et sa figure entière trahissait une excitationsi intense qu’elle faisait peine à voir.

– Le démon aurait deux yeux. Combienavez-vous vu de lumières, Dick ? Parlez.

– Une seule.

– Hourra ! s’écria Tom. À la bonneheure.

Sur quoi il lança d’un coup de pied lescouvertures jusqu’au milieu de la pièce, qu’il se mit à arpenter àgrands pas fiévreux.

Tout à coup, il s’arrêta devant Dick, et, luimettant la main sur l’épaule :

– Dites-moi, Dick, est-ce que nouspourrions arriver dans la vallée de Sasassa avant le lever dusoleil ?

– Ce serait bien difficile.

– Eh bien, faites attention, nous sommesvieux amis, Dick Wharton. Je vous le demande, d’ici à huit jours,ne parlez à personne de ce que vous venez de nous raconter. Vous lepromettez, n’est-ce pas ?

Au regard que jeta Dick sur la figure de Tom,il était facile de deviner qu’il regardait le pauvre Tom commedevenu fou, et je dois dire que sa conduite me confonditabsolument.

Mais j’avais eu jusqu’alors tant de preuves dubon sens de mon ami et de sa rapidité de compréhension qu’il meparut parfaitement admissible que le récit de Dick avait pour luiun sens, bien que mon intelligence obtuse ne pût le saisir.

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