Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 1

 

– Bob ! criai-je.

Pas de réponse.

– Bob !

Un rapide crescendo de ronflements s’achève enun bâillement prolongé.

– Réveillez-vous, Bob.

– Que diable signifie tout cevacarme ? dit une voix toute endormie.

– Il est bientôt l’heure du déjeuner,expliquai-je.

– Que le diable emporte ledéjeuner ! dit l’esprit rebelle de son lit.

– Et il y a une lettre, Bob, dis-je.

– Est-ce que vous ne pouviez pas le direplus tôt ? Apportez-la tout de suite.

Et sur cette aimable invitation, j’entrai dansla chambre de mon frère et m’assis sur le bord de son lit.

– Voici la chose : timbre poste del’Inde, timbre de la poste de Brindisi. De qui cela peut-ilvenir ?

– Mêlez-vous de ce qui vous regarde,Trognon, dit mon frère, rejetant en arrière ses cheveux frisés endésordre.

Puis, après s’être frotté les yeux, il se miten devoir de rompre le cachet.

Or, s’il est un sobriquet qui m’inspire uneplus profonde aversion que les autres, c’est bien celui de« Trognon ».

Une misérable bonne, impressionnée par lesproportions entre ma figure ronde et grave et mes petites jambespiquetées de taches de rousseur, m’infligea ce sobriquet aux joursde mon enfance.

En réalité, je ne suis pas plus un« trognon » que n’importe quelle autre jeune fille de dixsept ans.

En la circonstance actuelle, je me dressaiavec toute la dignité qu’inspire la colère, et je me préparais àbourrer de coups de traversin la tête de mon frère, quand je fusarrêtée par l’expression d’intérêt que marquait sa physionomie.

– Vous ne devineriez jamais qui va venir,Nelly, dit-il. C’était un de vos amis autrefois.

– Comment ? De l’Inde ? Cen’est pas Jack Hawthorne ?

– Tout juste, dit Bob. Jack revient et vapasser quelques jours chez nous. Il dit qu’il arrivera ici, presqueen même temps que sa lettre. Ne vous mettez pas à danser commecela. Vous ferez tomber les fusils ou vous causerez quelque autreaccident. Tenez-vous tranquille comme une fille bien sage etrasseyez-vous.

Bob parlait avec toute l’autorité desvingt-deux étés qui avaient passé sur sa tête moutonnée.

Aussi je me calmai et repris ma premièreposition.

– Comme ce sera charmant !m’écriai-je ; mais, Bob, la dernière fois qu’il était ici, cen’était qu’un jeune garçon, et maintenant c’est un homme. Ce nesera plus du tout le même Jack.

– Oh ! quant à cela, dit Bob, vousn’étiez alors qu’un bout de fille, une méchante gamine avec desboucles ; tandis qu’à présent…

– Tandis qu’à présent ?…demandai-je.

On eût dit vraiment que Bob était sur le pointde me faire un compliment.

– Eh bien, vous n’avez plus les boucles,et vous êtes maintenant bien plus grosse et plus mauvaise.

À un certain point de vue, c’est excellentd’avoir des frères.

Il n’est pas possible à une jeune personne quien a, de se faire de ses mérites une opinion exagérée.

Je crois qu’à l’heure du déjeuner, tout lemonde fut content d’apprendre le retour promis de JackHawthorne.

Par « tout le monde » j’entends mamère, et Elsie, et Bob.

Notre cousin Salomon Barker, par contre, n’eutpas du tout l’air d’être accablé de joie quand je lançai cettenouvelle d’un ton triomphant, d’une voix haletante.

Jusqu’alors je n’y avais jamais songé, maispeut-être que ce jeune gentleman commence à s’éprendre d’Elsie etqu’il redoute un rival.

Sans cela je ne vois pas pourquoi une choseaussi simple l’aurait fait repousser son œuf, déclarer qu’il avaitdéjeuné superbement, et cela d’un ton agressif qui permettait dedouter de sa sincérité.

Grace Maberly, l’amie d’Elsie, avait l’airtrès contente, selon son habitude.

Quant à moi, j’étais dans un état de joieexubérante.

Jack et moi, nous avions été camaradesd’enfance.

Il avait été pour moi comme un frère plus âgé,jusqu’au jour où il était entré dans les cadets et nous avaitquittés.

Que de fois Bob et lui ont grimpé aux pommiersdu vieux Brown, pendant que je me tenais par-dessous et recevais lebutin dans mon petit tablier blanc.

Il n’y avait guère dans ma mémoire d’escapade,guère d’aventure où Jack ne jouât un rôle de premier ordre.

Mais désormais il était « lelieutenant » Hawthorne.

Il avait fait la guerre d’Afghanistan, et,selon l’expression de Bob, c’était « un guerrierfini ».

Quelle tournure allait-il avoir ?

Je ne sais comment cette expression de« guerrier » avait fait surgir l’image de Jack en armurecomplète, avec des plumes au casque, altéré de sang, et s’escrimantavec une épée énorme sur un adversaire.

Après un tel exploit, je craignais bien qu’ilne condescendît plus à jouer à saute-mouton, aux charades et auxautres amusements traditionnels de Hatherley House.

Le cousin Sol fut certainement très déprimépendant les quelques jours qui suivirent.

On avait toutes les peines du monde à ledécider à faire un quatrième aux parties de tennis.

Il témoignait une passion tout à faitextraordinaire pour la solitude et le tabac fort.

Nous tombions sur lui dans les endroits lesplus inattendus, dans les massifs, le long de la rivière, et dansces occasions, s’il lui était impossible de nous éviter, il tenaitson regard rigoureusement fixé vers le lointain et refusaitd’entendre nos appels féminins et de s’apercevoir qu’on agitait desombrelles.

Cela était certainement fort peu chic de sapart.

Un soir, après dîner, je m’emparai de lui, et,me dressant de toute ma hauteur, qui atteint cinq pieds quatrepouces et demi, je me mis en devoir de lui dire ce que je pensaisde lui.

C’est un procédé que Bob regarde comme lecomble de la charité, car il consiste à donner libéralement ce dontj’ai moi-même le plus grand besoin.

Le cousin Sol flânait dans un rocking-chair,le Times devant lui, et regardait le feu par dessus sonjournal, d’un air maussade.

Je me rangeai sur son flanc et lui envoyai mabordée.

– On dirait que nous vous avons fâché,master Barker, dis-je d’un ton de hautaine courtoisie.

– Que voulez-vous dire, Nell ?demanda mon cousin en me regardant avec surprise.

Il avait une façon bien bizarre de meregarder, le cousin Sol.

– Il semble que vous ne teniez plus ànotre société, remarquai-je.

Puis, descendant soudain de mon tonhéroïque :

– Vous êtes stupide, Sol. Qu’est-ce quivous a donc pris ?

– Rien du tout, Nell, ou du moins rienqui en vaille la peine. Vous savez que je passe mon examen demédecine dans deux mois et que je dois m’y préparer.

– Oh ! dis-je, tout hérisséed’indignation, si c’est cela, alors n’en parlons plus.Naturellement, si vous préférez des os à vos jeunesparentes, c’est fort bien. Il y a des jeunes gens qui feraient deleur mieux pour se rendre agréables, au lieu de bouder dans lescoins et d’apprendre à dépecer leurs semblables avec descouteaux.

Et après avoir ainsi résumé la noble sciencede la chirurgie, je m’occupai avec une violence exagérée à remettreen place des têtières qui n’en pouvaient mais.

Je voyais bien le cousin Sol regarder, d’unair amusé, la petite personne aux yeux bleus qui allait et venaiten colère devant lui.

– Ne soufflez pas sur moi, Nell, dit-il.J’ai déjà été cueilli une fois, vous savez. En outre (et alors ilprit une figure grave) vous aurez assez de distractions quandarrivera ce… comment se nomme-t-il ?… le lieutenantHawthorne.

– Ce n’est pas toujours Jack qui iraitfréquenter les momies et les squelettes, remarquai-je.

– Est-ce que vous l’appelez toujoursJack ? demanda l’étudiant.

– Naturellement. Ce nom de John, celavous a l’air si raide.

– Oh ! oui, c’est vrai, dit moninterlocuteur d’un air de doute.

J’avais toujours, trottant dans ma tête mathéorie au sujet d’Elsie.

Je me figurai que je pourrais essayer dedonner aux choses une tournure plus gaie.

Sol s’était levé et regardait par lafenêtre.

J’allai l’y rejoindre et regardai timidementsa figure qui, d’ordinaire, exprimait la bonhomie et qui, en cemoment, avait l’air très sombre, très malheureuse.

En tout temps, il était très renfermé, mais jepensai qu’en le poussant un peu je l’amènerais à un aveu.

– Vous êtes un vieux jaloux, dis-je.

Le jeune homme rougit et me regarda.

– Je connais votre secret, dis-jehardiment.

– Quel secret ? dit-il en rougissantdavantage.

– Ne vous tourmentez pas, je le connais.Permettez-moi de vous dire, repris-je, devenant plus hardie encore,que Jack et Elsie n’ont jamais été très bien ensemble. Il y a bienplus de chance pour que Jack devienne amoureux de moi. Nous avonstoujours été amis.

Si j’avais planté dans le corps du cousin Soll’aiguille à tricoter que je tenais à la main, il n’aurait pasbondi plus haut.

– Grands Dieux ! s’écria-t-il.

Et je vis fort bien dans le crépuscule sesyeux noirs se fixer sur moi.

– Est-ce que vous croyez réellement quec’est votre sœur qui m’occupe.

– Certainement, dis-je d’un ton ferme,avec la conviction que je clouais mon drapeau au grand mât.

Jamais un simple mot ne produisit pareileffet.

Le cousin Sol fit un tour sur lui-même, larespiration coupée de saisissement, et sauta bel et bien par lafenêtre.

Il avait toujours eu de bizarres façonsd’exprimer ses sentiments, mais cette fois-ci il s’y prit d’unemanière si originale que la seule impression qui s’empara alors demoi fut celle de la stupéfaction.

Je restai là à regarder fixement dansl’obscurité croissante.

Alors je vis sur la pelouse une figure qui meregardait aussi d’un air abasourdi et stupéfait.

– C’est à vous que je pense, Nell, dit lafigure.

Après quoi elle disparut.

Puis, j’entendis le bruit de quelqu’un quicourait à toutes jambes dans l’avenue.

C’était un jeune homme fortextraordinaire.

Les choses allèrent leur train quotidien àHatherley House, malgré la déclaration d’affection qu’avait faitede manière caractéristique le cousin Sol.

Il ne me sonda jamais au sujet des sentimentsque j’éprouvais à son égard et plusieurs jours se passèrent sansqu’il fît la moindre allusion à la chose.

Évidemment, il croyait avoir fait tout cequ’il est indispensable de faire en pareilles circonstances.

Toutefois, de temps à autre, il lui arrivaitde m’embarrasser terriblement, quand il survenait, se plantait biendevant moi, me regardait avec la fixité de la pierre, ce qui étaitabsolument épouvantable.

– Ne faites pas ça, Sol, lui dis-je unjour, vous me faites frissonner des pieds à la tête.

– Pourquoi est-ce que je vous donne lefrisson, Nelly ? dit-il. N’est-ce pas parce que vous avez del’affection pour moi ?

– Oh ! oui, j’en ai assez, del’affection. J’en ai pour Lord Nelson, s’il s’agit de cela, mais ilne me plairait guère que sa statue vienne se planter devant moi etreste des heures à me regarder. Voilà qui me met dans tous mesétats.

– Qu’est-ce qui a pu vous mettre lordNelson dans la tête ? dit mon cousin.

– Il est sûr que je n’en sais rien.

– Est-ce que vous avez pour moi la mêmeaffection que vous avez pour Lord Nelson, Nell ?

– Oui, seulement plus forte.

Et le pauvre Sol dut se contenter de cettepetite lueur d’encouragement, car Elsie et miss Maberly entrèrent àgrand bruit dans la chambre et mirent fin à notre tête-à-tête.

J’avais de l’affection pour mon cousin,c’était certain.

Je savais quel caractère simple et loyal secachait sous son extérieur tranquille.

Et pourtant l’idée d’avoir pour amoureux SolBarker – Sol, dont le nom même est synonyme de timidité – c’étaittrop incroyable.

Que ne s’éprenait-il de Grace, ou biend’Elsie ?

Elles auraient su que faire de lui. Ellesétaient plus âgées que moi. Elles pouvaient lui donner del’encouragement ou le rabrouer, si elles aimaient mieux.

Mais Grace était occupée à flirter toutdoucement avec mon frère Bob et Elsie paraissait ne se douterabsolument de rien.

J’ai gardé souvenir d’un trait typique ducaractère de mon cousin, que je ne puis m’empêcher de rapporterici, bien qu’il soit tout à fait en dehors de la suite de monrécit.

C’était à l’occasion de sa première visite àHatherley House. La femme du Recteur vint un jour nous rendrevisite et la responsabilité de la recevoir échut à Sol et àmoi.

Tout alla fort bien en commençant.

Sol se montra extraordinairement animé etcauseur.

Malheureusement un mouvement d’hospitalités’empara de lui, et, malgré de nombreux signes, et coups d’œil pourl’avertir, il demanda à la visiteuse s’il se permettrait de luioffrir un verre de vin.

Or, comme si la malchance l’eût voulu, notreprovision venait d’être achevée, et bien que nous eussions écrit àLondres, l’envoi n’était pas encore arrivé à destination.

J’attendais la réponse, respirant à peine.

J’espérais un refus, mais quelle ne fut pasmon épouvante ! Elle accepta avec empressement.

– Ne vous donnez pas la peine de sonner,Nell, dit Sol. Je ferai le sommelier.

Et avec un sourire plein de confiance, il sedirigea vers le petit placard où l’on mettait ordinairement lescarafons.

Ce fut seulement après s’être engagé à fondqu’il se rappela soudain avoir entendu dire dans la matinée qu’iln’y avait plus de vin à la maison.

Son angoisse d’esprit fut telle qu’il passa lereste de la visite de mistress Salter dans le placard et se refusaà en sortir jusqu’à ce qu’elle fût partie.

S’il y avait eu une possibilité quelconque quele placard du vin eût une autre issue, qui aboutît ailleurs, lachose se serait arrangée, mais je savais la vieille mistress Salterparfaitement au fait de la géographie de la maison ; elle laconnaissait aussi bien que moi.

Elle attendit pendant trois quarts d’heure queSol reparût.

Puis elle s’en alla de fort mauvaisehumeur.

– Mon cher, dit-elle en racontantl’histoire à son mari, et dans son indignation ayant recours à unlangage presque calqué sur celui de l’écriture, on eût dit que leplacard s’était ouvert et l’avait englouti.

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