Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 7

 

Mars tirait sa fin.

À l’Écluse de Harvey l’éclat aveuglant et lachaleur d’un été des antipodes s’étaient adoucis pour laisserparaître les teintes riches et si bien fondues de l’automne.

Cette localité n’a jamais été agréable àvoir.

Il y avait je ne sais quoi de désespérémentprosaïque dans ces deux crêtes dentelées, affaiblies, perforées parla main des hommes, avec les bras de fer des treuils, avec lesseaux brisés se montrant de toutes parts à travers les innombrablespetits tertres de terre rouge.

En bas, l’axe de la vallée était parcouru parla route de Buckhurst, aux profondes ornières, qui faisait sestours et détours, longeant et franchissant le ruisseau de Harper aumoyen d’un pont de bois vermoulu.

Au delà de ce pont se voyait le petit groupede buttes, avec le Bar Colonial et l’Épicerie dominant de toute lamajesté de leur crépissage les humbles demeures d’alentour.

La maison à véranda de l’essayeur s’élevaitau-dessus des excavations du côté de la pente qui faisait face à cespécimen d’architecture menaçant ruine, au sujet duquel notre amiAbe montrait une fierté si peu justifiée.

Il y avait un autre édifice susceptible defigurer dans la classe de ceux qu’un habitant de l’Écluse aurait puqualifier d’« Édifices publics » en le désignant par unmouvement de la main qui tenait sa pipe, comme s’il avait évoquéune perspective indéfinie de colonnades et de minarets.

C’était la chapelle baptiste, une modesteconstruction couverte en bardeaux, située près d’un coude de larivière, à environ un mille en amont du camp.

C’est de là que la ville paraissait sous sonaspect le plus avantageux, les contours durs et la crudité descouleurs étant un peu adoucis par l’éloignement.

Ce matin-là, le ruisseau avait l’air joli,avec ses méandres dans la vallée ; joli aussi le long plateauqui s’élevait à l’arrière-plan, avec son vêtement de luxurianteverdure ; mais ce qu’il y avait là de plus joli, ce fut missSinclair, lorsqu’elle posa à terre le panier de fougères qu’ellerapportait et s’arrêta au point culminant de la montée.

On eût dit que tout n’allait pas au gré decette jeune personne.

Elle avait dans la physionomie une expressiond’inquiétude qui contrastait étrangement avec son air habituel depiquante insouciance.

Quelque ennui récent avait laissé ses tracessur elle.

Peut-être était-ce pour le dissiper par unepromenade, qu’elle était allée errer par la vallée.

En tout cas il est certain qu’elle respiraitles fraîches brises des bois comme si leur arôme résineux luifaisait l’effet de quelque antidote contre la souffrancehumaine.

Elle resta quelque temps à contempler lepanorama qui s’étendait devant elle.

De là elle pouvait apercevoir la maisonpaternelle, petite tache blanche à mi-côte et cependant, choseassez étrange, ce qui semblait attirer surtout son attention,c’était une bande de fumée bleue qui montait du versant opposé.

Elle restait là, à regarder, la curiosité dansses yeux couleur de noisette.

Alors on eût dit que l’isolement de sasituation la frappait.

Elle éprouva un de ces accès violents deterreur inconsciente auxquels sont sujettes les femmes les pluscourageuses.

Des histoires d’indigènes, de coureurs de labrousse, de leur audace et de leur cruauté passèrent dans sonesprit comme des éclairs.

Elle considéra la vaste et mystérieuse étenduede la Brousse qui se déployait près d’elle, puis se baissa pourramasser son panier, dans l’intention de regagner au plus vite laroute, dans la direction des tranchées de mines.

Elle tressaillit et eut de la peine à retenirun cri en voyant un long bras à manche de chemise rouge apparaîtrederrière elle et lui prendre son panier dans ses propres mains.

L’individu, qui se présentait à ses yeux, eûtparu à certaines gens peu fait pour dissiper ses craintes.

Les grandes bottes, la grossière chemise, lalarge ceinture garnie de ses armes de mort, tout cela, sans doute,était trop familier à miss Carrie pour lui causer de la frayeur, etquand elle vit au-dessus de ces objets une paire d’yeux bleus laregarder avec tendresse, et un sourire assez timide qui sedissimulait sous une épaisse moustache blonde, elle comprit quependant tout le reste de sa promenade, coureurs de Brousse etindigènes seraient également hors d’état de lui faire aucunmal.

– Oh ! monsieur Durton, dit-elle,comme vous m’avez surprise !

– J’en suis fâché, miss, dit Abe, touttremblant d’avoir causé à son idole un seul instantd’inquiétude.

– Vous voyez, reprit-il avec une rusenaïve, comme il faisait beau temps et que mon associé est partipour prospecter, j’ai cru que je pouvais me permettre une promenadeà Hagley Hill, en revenant par la grande courbe, et voilà que jevous trouve, par hasard, par pur hasard, debout sur cette côte.

Le mineur débita avec une grande volubilité cemensonge effronté.

Il y avait dans le ton de sa voix unefranchise si bien imitée qu’elle décelait immédiatement lasupercherie.

« Les Os », l’avait composée etapprise par cœur tout en suivant la trace laissée dans l’argile parles petites bottines, et regardait son invention comme le derniermot de l’ingéniosité humaine.

Miss Carrie ne jugea pas à propos de risquerune observation, mais il brillait dans ses yeux une expressiond’amusement qui intrigua son amoureux.

Abe était fort en train ce matin-là.

Était-ce l’effet du beau soleil, était-ce lahausse rapide des actions dans le Conemara qui lui rendait le cœursi léger ?

Je suis cependant porté à croire que cen’était ni l’une ni l’autre des deux causes.

Si simple qu’il fût, la scène dont il avaitété témoin la veille ne pouvait l’amener qu’à une seuleconclusion.

Il se voyait descendant à pas rapides lavallée en des circonstances analogues, et il avait dans le cœur dela pitié pour son rival.

Il se sentait parfaitement certain que cettefigure de mauvaise augure, ce M. Thomas Ferguson, du gué deRochdale, ne se montrerait plus dans l’enceinte de la villa desAzalées.

Alors pourquoi l’avait-elle renvoyé ?

Il était beau, il était fort à son aise.

Se pouvait-il que… ?

Non, c’était impossible, naturellement,c’était impossible ? Comment la chose eût-elle étépossible ?

Cette idée-là était ridicule, d’un ridiculetel qu’elle avait fermenté toute la nuit dans le cerveau du jeunehomme, qu’il n’avait pu s’empêcher d’y réfléchir toute la matinéeet de la porter avec lui dans son âme agitée.

Ils descendirent ensemble le sentier de terrerouge, puis suivirent le bord du ruisseau.

Abe était retombé dans le silence qui étaitson état normal.

Il avait fait un effort courageux pour tenirbon sur le terrain des fougères, se sentant encouragé par le panierqu’il tenait à la main, mais ce n’était point un sujet passionnant,et après une série d’efforts décroissants, il avait abandonné satentative.

Pendant qu’il avait fait le trajet, il s’étaitsenti l’esprit plein d’anecdotes piquantes, d’observationsplaisantes.

Il avait repassé un nombre infini de remarquesqu’il devait conter à miss Sinclair si capable de les apprécier.Mais à ce moment-là, on eût dit que le vide s’était fait dans soncerveau et qu’il n’y restait plus trace d’aucune idée, si ce n’estune tendance folle et irrésistible de faire des commentaires sur lachaleur que donnait le soleil.

Jamais astronome ne fut si occupé du calculd’une parallaxe et si complètement absorbé par ses pensées sur laconstitution des corps célestes, que l’était le brave « LesOs » pendant qu’il suivait le cours paresseux de la rivièreaustralienne.

Soudain, son entretien avec son associé luirevint à l’esprit.

Qu’avait-il donc dit le Patron ?« Donne-lui les détails sur le genre de vie desmineurs ». Il tourna et retourna mentalement la chose.

C’était, semblait-il, un singulier sujet deconversation. Mais le patron l’avait affirmé, et le patron avaittoujours raison.

Il ferait le saut.

Il commença donc, en bredouillant après unetoux préliminaire.

– Les gens de la vallée se nourrissentsurtout de lard et de pois.

Il lui fut impossible de juger de l’effetproduit sur sa compagne par cette communication.

Il était de trop haute taille pour pouvoirregarder par dessous le petit chapeau de paille.

Elle ne répondit pas.

Il ferait une nouvelle tentative.

– Du mouton, le dimanche, dit-il.

Même cette nouvelle ne produisit aucunenthousiasme.

Elle avait même l’air de rire.

Évidemment le patron s’était trompé. Le jeunehomme était au désespoir.

La vue d’une cabane en ruine au bord dusentier fit éclore une idée nouvelle.

Il s’y raccrocha comme un homme qui se noie seraccroche à un fétu.

– C’est Cockney Jack qui l’a bâtie.

– De quoi est-il mort ? demanda sacompagne.

– Du brandy marque trois étoiles, ditAbe, d’un ton décidé. J’avais l’habitude de venir m’y asseoir, etde rester près de lui, quand il était pris. Pauvre garçon ! ilavait une femme et deux enfants à Putney. Il délirait, ilm’appelait Polly pendant des heures. Il était rincé à fond. Il nelui restait plus un rouge liard, mais les camarades récoltèrentassez d’or brut pour lui faire des funérailles. Il est enterré danscette fosse que voilà. C’était son claim. Nous n’avons eu qu’à l’ydescendre et à combler le trou. Nous y avons mis aussi son pic, unepelle et un seau, de sorte qu’il se sentira un peu plus à l’aise etchez lui.

Miss Carrie paraissait plus intéresséemaintenant.

– Est-ce qu’il en meurt beaucoup de cettefaçon ? demanda-t-elle.

– Ah ! oui, le brandy en tuebeaucoup, mais il y en a davantage qui sont descendus… tués d’uneballe, vous savez.

– Ce n’est pas ce que je veux dire.Est-ce qu’il y a beaucoup de gens qui meurent ainsi dans la misèreet la solitude, sans que personne soit là pour s’occuperd’eux ?

Et elle indiqua du doigt le groupe de maisonsqui se trouvait en bas, devant eux.

– Y a-t-il quelqu’un qui soit maintenanten train de mourir ? C’est une chose terrible.

– Il n’y a personne qui soit présentementsur le point de casser son pic.

– Je vous demanderai, monsieur Durton, dene pas employer tant d’expressions d’argot, dit Carrie en leregardant de ses yeux violets.

C’était étonnant à quel point cette jeunepersonne arrivait peu à peu à prendre des airs de propriétaire àl’égard de son gigantesque compagnon.

– Vous savez que ce n’est pas poli. Ilfaut vous procurer un dictionnaire, et apprendre les termespropres.

– Mais, dit « Les Os » d’un tond’excuse, c’est justement le terme propre : quand vous n’êtespas en mesure d’avoir un perforateur à vapeur, il faut vousrésigner à employer le pic.

– Oui, mais c’est chose facile si vous ymettez de la bonne volonté. Vous pourriez dire qu’un homme est« mourant », ou « moribond », si vous aimezmieux.

– C’est ça, dit le mineur enthousiasmé.Moribond ! en voilà un mot. Vous pourriez damer le pion aupatron Morgan en fait de mots. Moribond : voilà un mot quisonne bien !

Carrie se mit à rire.

– Ce n’est pas au son que vous devezsonger ; il faut vous demander si le mot exprime bien votrepensée. Pour parler sérieusement, monsieur Durton, si quelqu’untombait malade dans le camp, il faut que vous m’en informiez. Jesais donner des soins et je peux rendre quelques services. Vous leferez, n’est-ce pas ?

Abe y consentit avec empressement, et,retombant dans le silence, il réfléchit à la possibilité des’inoculer quelque maladie longue et ennuyeuse.

On avait parlé à Buckhurst d’un chien enragé.Il y aurait peut-être moyen d’en tirer parti.

– Et maintenant, il faut que je vous disebonjour, dit Carrie, quand on fut arrivé à un endroit où un sentierfaisant le crochet partait de la route pour aboutir à la villa desAzalées. Je vous remercie infiniment de m’avoir escortée.

Abe demanda en vain qu’on lui permît de faireles cent yards de plus, et employa en vain l’argument écrasant dumignon petit panier qu’il s’offrait à porter.

La jeune personne fut inexorable : ellel’avait déjà trop éloigné de son chemin.

Elle en était confuse ; elle ne voulutrien entendre.

Le pauvre « Les Os » dut donc s’enaller, éprouvant un mélange confus de sentiments.

Il l’avait intéressée. Elle lui avait parléavec bonté. Mais elle l’avait renvoyé avant que cela fûtindispensable.

Si elle avait agi ainsi, c’est qu’elle ne sesouciait pas beaucoup de lui.

Je crois pourtant qu’il se serait senti un peuplus de courage, s’il avait vu miss Sinclair pendant que, debout àla grille du jardin, elle le regardait s’éloigner, ayant uneexpression affectueuse sur sa figure mutine, et un sourire plein demalice, à le voir partir la tête penchée, l’air découragé.

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