Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 5

 

On ne saurait croire à quel point l’état de lacheville s’améliora dès que le dernier de la bande eut disparu autournant de la haie.

Quand les fougères eurent été plantées, quandle gig[3] fut attelé, Jack avait retrouvé toute sonactivité, toute sa vivacité.

– Il me semble que vous avez mis bien peude temps à guérir, dis-je pendant que nous trottions à travers lesméandres du petit sentier champêtre.

– En effet, dit Jack, c’est que jen’avais rien du tout, Nell. Je voulais causer avec vous.

– Vous n’allez pas me soutenir que vousavez dit un mensonge pour pouvoir causer avec moi ?protestai-je.

– J’en dirais quarante, dit Jack avecaplomb.

J’étais tellement perdue dans la contemplationde pareils abîmes de scélératesse dans le caractère de Jack, que jene fis plus aucune riposte.

Je me demandai si Elsie serait flattée ouindignée qu’on lui parlât de commettre un tel nombre de mensongespour elle.

– Nous avons toujours été si bons amisquand nous étions enfants, Nell, commença mon compagnon.

– Oui, dis-je en baissant les yeux sur lacouverture jetée sur nos genoux.

Je commentais à ce moment à devenir une jeunepersonne d’une grande expérience, comme vous le voyez, et àcomprendre ce que signifient certaines inflexions de la voixmasculine.

Ce sont des choses que l’on n’acquiert que parla pratique.

– Vous n’avez pas l’air d’avoir autantd’affection pour moi que vous en aviez alors, dit Jack.

J’étais toujours absorbée entièrement parl’examen de la peau de léopard que j’avais devant moi.

– Savez-vous, Nelly, reprit Jack, quequand je campais en plein air dans les passes glacées del’Himalaya, quand je voyais l’armée ennemie rangée en batailledevant moi, bref… reprit-il en prenant soudain un ton passionné,tout le temps que j’ai passé dans ce maudit trou d’Afghanistan, jen’ai pas eu d’autre pensée que celle de la fillette que j’avaislaissée en Angleterre.

– Vraiment ! dis-je à demi-voix.

– Oui, dit Jack, j’ai emporté votresouvenir dans mon cœur, et quand je suis revenu, vous n’étiez plusune fillette. Je vous ai retrouvée belle femme, Nelly, et je mesuis demandé si vous aviez oublié les jours d’autrefois.

Jack commençait à devenir très poétique dansson enthousiasme.

Pendant ce temps, il avait abandonnécomplètement à son initiative le vieux poney, qui se laissaitaller, lui, à son penchant chronique, celui de s’arrêter pouradmirer le paysage.

– Voyons, Nelly, dit Jack, avec unedéfaillance dans la respiration, comme quand on va tirer la cordede sa douche en pluie, une des choses que l’on apprend en faisantcampagne, c’est à mettre la main sur les bonnes choses dès qu’onles aperçoit. Pas de retard, pas d’hésitation, car on ne sait passi quelque autre ne va pas l’emporter pendant qu’on cherche àprendre son parti.

« Nous y venons, me dis-je avecdésespoir, et il n’y a pas de fenêtre par où Jack puisse se jeterdès qu’il aura fait le plongeon. »

J’en étais venue à former une associationd’idées entre celle d’amour et celle de saut par la fenêtre et celadatait de l’aveu du pauvre Sol.

– Ne croyez-vous pas, Nell, dit Jack, quevous auriez pour moi assez d’affection pour lier éternellementvotre existence à la mienne ? Voudriez-vous être ma femme,Nelly ?

Il ne sauta pas même à bas du véhicule.

Il y resta, assis près de moi, me regardantavec ses brillants yeux gris, pendant que le poney allait flânant,et broutant les fleurs des deux côtés de la route.

Très évidemment il tenait à obtenir uneréponse.

Je ne sais comment je crus voir une figurepâle et timide me regarder d’un fond obscur et entendre la voix deSol me faisant sa déclaration d’amour.

Pauvre garçon, après tout il s’était mis lepremier en campagne !

– Le pourriez-vous, Nell ? demandaJack une fois de plus.

– J’ai beaucoup d’affection pour vous,Jack, lui dis-je en le regardant avec un certain trouble, mais…

Comme sa figure s’altéra, à cemonosyllabe :

« Mais je ne crois, pas que mon affectionaille jusque-là. En outre, je suis si jeune, voyez-vous. Je croisbien que votre proposition me vaudrait beaucoup de compliments etle reste, mais il ne faut plus songer à moi à ce point de vue.

– Alors vous me refusez, dit Jack enpâlissant légèrement.

– Pourquoi ne vous adressez-vous pas àElsie, m’écriai-je dans mon désespoir. Pourquoi tout le mondes’adresse-t-il à moi ?

– Ce n’est pas Elsie que je veux, s’écriaJack en lançant au poney un coup de fouet qui surprit un peu cequadrupède à l’allure peu pressée. Qu’est-ce que veut dire ce« tout le monde », Nell ?

Pas de réponse.

– Je vois ce que c’est, dit Jack avecamertume. J’ai remarqué ce cousin, qui est toujours après vous,depuis que je suis ici. Vous êtes engagée avec lui ?

– Non, non, je ne le suis pas.

– Que Dieu en soit loué ! réponditdévotement Jack. Il y a encore de l’espoir. Peut-être, avec letemps, en viendrez-vous à de meilleures idées. Dites-moi, Nell,aimez-vous beaucoup ce nigaud d’étudiant en médecine ?

– Ce n’est pas un nigaud, dis-je avecindignation, et je l’aime tout autant que je vous aimeraijamais.

– Vous pourriez l’aimer tout autant sansbeaucoup l’aimer, dit Jack d’un ton boudeur.

Puis ni l’un ni l’autre ne dîmes mot, jusqu’aumoment où un grand cri poussé en chœur par Bob et master Croninannonça l’arrivée du reste de la troupe.

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