Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 6

 

Si la partie de campagne fut réussie, cela futdû entièrement aux efforts de ce dernier gentleman.

Trois amoureux sur quatre personnes, c’esthors de proportion, et il fallut toutes ses facultés deboute-en-train pour compenser l’effet désastreux de l’humeur desautres.

Bob avait l’air de ne voir que les charmes demiss Maberly.

La pauvre Elsie restait à se morfondre dansl’isolement, pendant que mes deux admirateurs passaient leur tempsà se regarder, puis à me regarder tour à tour.

Mais master Cronin lutta courageusement contrecet état de choses décourageant, se rendit agréable à tous, enexplorant des ruines ou débouchant des bouteilles avec la mêmevéhémence, la même énergie.

Le cousin Sol, en particulier, se montraitdécouragé et dépourvu d’entrain.

Il était convaincu, j’en suis sûre, que monvoyage en tête-à-tête avec Jack avait été arrangé d’avance entrenous. Mais il y avait dans son expression plus de peine que decolère.

Jack, au contraire, j’ai regret de le dire, semontrait nettement agressif.

Ce fut même cela qui me décida à choisir moncousin pour m’accompagner dans la promenade à travers bois quisuivit le lunch.

Jack avait fini par prendre des airs depropriétaire si provocants que j’étais résolue à en finir une foispour toutes.

Je lui en voulais aussi d’avoir pris l’aird’être cruellement mortifié par mon refus et d’avoir voulu dénigrerpar derrière le pauvre Sol.

Il s’en fallait beaucoup que je fusse éprisede l’un ou de l’autre, mais après tout, avec mes idées juvéniles delutte à armes égales, j’étais révoltée de voir l’un ou l’autreprendre une avance que je regardais comme un avantage malacquis.

Je sentais que si Jack n’était pas revenu,j’aurais fini à la longue par agréer mon cousin.

D’autre part, si ce n’avait été Sol, jen’aurais jamais pu refuser Jack.

Pour le moment, je les aimais tous les deuxtrop pour favoriser l’un ou l’autre.

« Comment cela finira-t-il ? je mele demande, pensai-je. Il faut que je fasse quelque chose dedécisif dans un sens ou dans l’autre, à moins que, peut-être, lemeilleur parti soit d’attendre et de voir ce que l’aveniramènera. »

Sol montra une légère surprise quand je lechoisis pour compagnon, mais il accepta avec un sourire degratitude.

Son esprit parut considérablement soulagé.

– Ainsi donc, je ne vous ai point encoreperdue, Nell, me dit-il à demi-voix, pendant que nous nousenfoncions sous les grands arbres et que les voix de la troupe nousarrivaient de plus en plus affaiblies par l’éloignement.

– Personne ne peut me perdre, dis-je, carjusqu’à présent personne ne m’a gagnée. Je vous en prie, ne parlezplus de cela. Ne pourriez-vous pas causer comme vous le faisiez ily a deux ans, et ne pas être si épouvantablementsentimental ?

– Vous saurez un jour pourquoi, Nell, ditl’étudiant d’un ton de reproche. Attendez jusqu’au jour où vousconnaîtrez vous-même l’amour ; alors vous comprendrez.

Je fis une légère moue d’incrédulité.

– Asseyons-nous ici, Nell, dit le cousinSol, en me dirigeant habilement vers un petit tertre couvert defraisiers et de mousse, et se perchant sur une souche d’arbre àcôté de moi. Maintenant, tout ce que je vous demande, c’est derépondre à une ou deux questions. Après cela je ne vouspersécuterai plus.

Je m’assis, l’air résigné, les mains sur lesgenoux.

– Êtes-vous fiancée au lieutenantHawthorne ?

– Non, répondis-je avec énergie.

– Est-ce que vous l’aimez mieux quemoi ?

– Non ; je ne l’aime pas mieux.

Le thermomètre du bonheur de Sol marqua aumoins cent degrés à l’ombre.

– Est-ce que vous m’aimez mieux que lui,Nelly fit-il d’une voix très tendre.

– Non.

Le thermomètre redescendit au-dessous dezéro.

– Voulez-vous dire que nous sommes, à vosyeux, exactement au même niveau ?

– Oui.

– Mais il vous faudra choisir entre nousun jour, vous savez, dit le cousin Sol d’un ton de douxreproche.

– Je voudrais bien qu’on ne me tourmentepas ainsi, m’écriai-je en me fâchant, ce que font d’ordinaire lesfemmes quand elles ont tort. Vous ne m’aimez pas du tout. Autrementvous ne seriez pas ainsi à me harceler. Je crois qu’à vous deuxvous finirez par me rendre folle.

Et alors je parus sur le point d’éclater ensanglots, en même temps que la faction Barker manifestait desindices de consternation et de défaite.

« Est-ce que vous ne voyez pas ce qui enest Sol ? dis-je en riant à travers mes larmes de son airdéconfit. Supposez que vous ayez été élevé avec deux jeunes filles,que vous en soyez venu à les aimer beaucoup toutes deux, mais quevous n’ayez jamais eu de préférence pour l’une, que vous n’ayezjamais eu l’idée d’épouser l’une ou l’autre. Puis, qu’on vous disecomme cela, à brûle pourpoint, que vous devez choisir l’uned’elles, et rendre ainsi l’autre très malheureuse, vous trouveriez,n’est-ce pas, que ce n’est pas chose facile.

– En effet, je ne le trouve pas, ditl’étudiant.

– Alors vous ne pouvez pas me blâmer.

– Je ne vous blâme pas, Nelly,répondit-il en s’attaquant avec sa canne à une grande digitalepourpre. Je trouve que vous avez parfaitement le droit de vouloirêtre sûre de vos dispositions. Il me semble, continua-t-il – enparlant d’une voix un peu hachée, mais disant ce qu’il pensait, envrai gentleman anglais qu’il était – il me semble que ce Hawthorneest un excellent garçon. Il a plus vu le monde que moi. Il fait, ildit toujours ce qu’il y a de mieux à faire et à dire, et quand ille faut, et certainement ce n’est point là un des traits de moncaractère. Puis il est de bonne famille. Il a un bel avenir. Jedevrais, je pense, vous savoir beaucoup de gré de votre hésitation,Nell, et la regarder comme une preuve de votre bon cœur.

– Nous ne parlerons plus de cela, dis-jeen pensant, à part moi, que ce garçon-là était d’une nature bienplus fine que celui dont il faisait l’éloge. Tenez, ma jaquette esttoute tachée par ces affreux champignons. Je me demande où sont lesautres en ce moment.

Il ne fallut pas bien longtemps pour lesdécouvrir.

Tout d’abord nous entendîmes des cris et desrires qui retentissaient dans les échos des longues clairières.

Puis, comme nous nous avancions dans cettedirection, nous fûmes stupéfaits de voir la flegmatique Elsiecourant à toutes jambes par le bois, sans chapeau, sa chevelureflottant au vent.

Ma première idée fut qu’il était arrivé uneeffrayante catastrophe – peut-être des brigands, ou un chien enragé– et je vis la forte main de mon compagnon se crisper sur sacanne.

Mais lorsque nous fûmes près de la fugitive,nous apprîmes que tout le tragique de la chose se réduisait à unepartie de cache-cache organisée par l’infatigable masterCronin.

Comme on s’amusa, en se courbant, se cachant,courant parmi les chênes de Hatherley.

Quelle horreur aurait éprouvée le bon vieilabbé qui les avait plantés et comme la longue procession de moinesen robe noire se serait mise à marmotter ses oraisons !

Jack refusa de prendre part au jeu, enalléguant sa cheville malade, et resta à fumer sous un arbre, l’airfort boudeur, en jetant sur Salomon Barker des regards pleins d’unesombre haine, pendant que ce dernier gentleman participait au jeuavec enthousiasme et se distinguait en se faisant toujours prendreet ne prenant jamais personne.

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