Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 1

 

Cela vous a un air étrange, disait-il aumoment où j’ouvris la porte de la chambre où se réunissait notrecercle mi-social mi-littéraire, mais je pourrais vous raconter deschoses bien plus drôles que celles-là, diablement plus drôles.

Comme vous le voyez, ça n’est pas les gens quisavent enfiler des mots anglais correctement, et qui ont reçu debonnes éducations, qui se trouvent dans les drôles d’endroits où jeme suis vu.

Messieurs, la plupart du temps, c’est des gensgrossiers, qui savent toute juste se faire comprendre de vivevoix ; et bien moins encore décrire, avec la plume et l’encre,les choses qu’ils ont vues, mais s’ils le pouvaient, ils vousferaient dresser les cheveux d’étonnement à vous autresEuropéens ; oui, Messieurs, c’est comme ça.

Il se nommait, je crois, Jefferson Adams.

Je sais que ses initiales étaient J. A., carvous pouvez les voir encore profondément gravées à la pointe ducouteau sur le panneau d’en haut, et à droite de la porte de notrefumoir.

Il nous légua ce souvenir, ainsi que quelquesdessins artistiques exécutés par lui avec du jus de tabac sur notretapis de Turquie, mais à part ces reliques, notre Américain conteurd’histoire a disparu de notre monde.

Il flamba comme un météore brillant au milieude nos banales et calmes réunions, et alla se perdre dans lesténèbres extérieures.

Ce soir-là, cependant, notre hôte du Nevadaétait complètement lancé. Aussi j’allumai tranquillement ma pipe etm’installai sur la chaise la plus proche, en me gardant biend’interrompre son récit.

– Remarquez-le bien, reprit-il, je neveux pas chercher noise à vos hommes de science.

« J’aime, je respecte un type qui estcapable de mettre à sa place n’importe quelle bête ou plante,depuis une baie de houx jusqu’à un ours grizzly, avec des noms àvous casser la mâchoire, mais si voulez des faits vraimentintéressants, des faits pleins d’un jus savoureux, adressez-vous àvos baleiniers, à vos gens de la frontière, à vos éclaireurs, auxhommes de la Baie d’Hudson, des gaillards qui savent à peine signerleur nom.

Il y eut alors une pause, pendant laquellemaster Jefferson Adams sortit un long cigare et l’alluma.

Nous observions un rigoureux silence, carl’expérience nous avait appris qu’à la moindre interruption notreYankee rentrait aussitôt dans sa coquille.

Il regarda autour de lui avec un sourired’amour-propre satisfait, et remarquant notre air attentif, ilreprit à travers une auréole de fumée :

– Eh bien lequel de vous, gentlemen, estjamais allé dans l’Arizona ? Aucun, je parie.

« Et parmi tous les Anglais et Américainsqui promènent la plume sur le papier, combien y en a-t-il qui sontallés dans l’Arizona ? Bien peu, j’en suis sûr.

« J’y suis allé, Monsieur, j’y ai vécudes années, et quand je pense à ce que j’y ai vu, c’est à peine sije me crois moi-même aujourd’hui.

« Ah ! en voilà un dupays !

« J’étais du nombre des flibustiers deWalker.

« On avait jugé à propos de nousqualifier ainsi. Après que nous eûmes été dispersés, et notre cheffusillé, plusieurs d’entre nous se frayèrent des routes ets’installèrent par là.

« C’était une colonie anglaise, etaméricaine au grand complet, avec nos femmes et enfants.

« Je crois qu’il en reste encore desanciens, et qu’ils n’ont pas encore oublié ce que je vais vousraconter. Non, je vous garantis qu’ils ne l’ont point oublié, tantqu’ils seront de ce côté-ci de la tombe.

« Mais je parlais du pays, et je parieque je vous étonnerais énormément, si je ne vous parlais pasd’autre chose.

« Songer qu’un tel pays aurait été faitpour quelques Graisseurs et quelques demi-sang !C’est faire un mauvais usage des bienfaits de la Providence, jevous le dis.

« L’herbe y poussait plus haut que latête d’un homme à cheval, et des arbres si serrés que pendant deslieues et des lieues vous n’arriviez pas à entrevoir un bout deciel bleu, et des orchidées grandes comme des parapluies. Peut-êtrequelqu’un de vous a-t-il vu une plante qu’on appelle piège àmouches quelque part dans les États.

– Dionoea muscipula, dit àdemi-voix Dawson, notre savant par excellence.

– Ah ! Dix au nez de municipal,c’est ça ! Vous voyez une mouche se poser sur cette plante-là.Alors vous voyez aussitôt les deux battants de la feuille serapprocher brusquement et tenir la mouche prisonnière entre eux, labroyer, la triturer en petits morceaux.

« Ça ressemble à s’y méprendre à unegrande pieuvre avec son bec, et des heures après, si vous ouvrez lafeuille, vous voyez le corps de la mouche à moitié digéré, et enmenus morceaux. Eh bien j’ai vu dans l’Arizona de ces pièges àmouche avec des feuilles de huit, de dix pieds de long, des épinesou dents d’au moins un pied.

« Elles étaient capables de… Mais, Dieume damne, je vais trop vite.

« C’était la mort de Joe Hawkins que jevoulais vous raconter.

« C’est bien la chose la plus étrange quevous puissiez jamais entendre.

« Il n’y avait personne du Montana qui neconnût Joe Hawkins, Alabama Joe, comme on l’appelait là-bas.

« C’était un homme de plein air, je vousen réponds, mais le plus damné putois qu’un homme ait jamaisvu.

« Un bon garçon, souvenez-vous en, tantque vous le caressiez dans le sens du poil, mais pour peu qu’on leblaguât, il devenait pire qu’un chat sauvage.

« Je l’ai vu tirer ses six coups dans unefoule d’hommes qui le bousculait pour l’entraîner dans le bar deSimpson, alors qu’une danse était en train, et il planta sonbowie-knife dans Tom Hooper, parce que celui-ci lui avaitversé par mégarde son verre sur son gilet.

« Non, il ne reculait pas devant unassassinat, Joe, oh non, et il ne fallait pas avoir confiance enlui, tant que vous n’aviez pas l’œil sur lui.

« Car, au temps dont je parle, alors queJoe Hawkins faisait le matamore par la ville et piétinait la loisous son révolver, il y avait là un Anglais nommé Scott, Tom Scott,si je me souviens bien.

« Ce diable de Scott était un Anglaispour tout de bon (je demande pardon à la compagnie présente) etpourtant il ne plaisait guère à la bande d’Anglais de là-bas, ou labande d’Anglais ne lui allait pas beaucoup.

« C’était un homme tranquille, ce Scott,même trop tranquille pour une population aussi rude quecelle-là.

« On l’appelait sournois, mais il nel’était pas.

« Il se tenait le plus souvent à l’écartet ne se mêlait d’aucune affaire tant qu’on le laissaittranquille.

« Certains disaient qu’il avait été commequi dirait persécuté dans son pays, qu’il avait été Chartiste, ouquelque chose dans ce genre, qu’il lui avait fallu lever le pied etdécamper, mais il n’en parlait jamais lui-même et ne se plaignaitjamais.

« Cet individu de Scott était une sortede cible pour les gens du Montana, tant il était tranquille etavait l’air simple.

« Il n’avait personne pour le soutenirdans ses ennuis, car, comme je le disais tout à l’heure, c’est àpeine si les Anglais le regardaient comme l’un des leurs, et on luifit plus d’une mauvaise farce.

« Il ne répondait jamaisgrossièrement ; il était poli avec tout le monde.

« Je crois que les gens en vinrent àcroire qu’il manquait d’énergie, jusqu’au jour où il leur montraqu’ils se trompaient.

« Ce fut au bar de Simpson que le coup semonta, et ça aboutit à la drôle de chose que j’allais vousconter.

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