Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 2

 

Abe était encore à la contemplation de sacharmeuse, quand la grossière porte s’ouvrit.

Un nuage aveuglant de rafale et de pluiepénétra dans la cabane, cachant presque entièrement un jeune homme,qui avança d’un bond et se mit en devoir de fermer la portederrière lui, opération que la violence du vent rendait assezmalaisée.

On aurait pu le prendre pour le génie de latempête, avec l’eau qui ruisselait de sa longue chevelure etcoulait sur sa figure pâle et distinguée.

– Eh bien, dit-il, d’une voix légèrementboudeuse, n’avez-vous rien préparé pour souper ?

– Il est prêt à servir, dit gaiement soncompagnon, en montrant une grande marmite qui bouillait près dufeu. Vous avez l’air un peu mouillé.

– Peste ! un peu mouillé ! jesuis trempé, ami, je suis inondé jusqu’aux os. C’est une nuit à nepas mettre un chien dehors, du moins un chien pour lequel j’auraisquelque respect. Passez-moi cet habit sec qui est suspendu auclou.

Jack Morgan, ou le patron, comme onl’appelait, appartenait à une classe plus nombreuse qu’on ne l’eûtsupposé à l’époque de la ruée qui avait marqué lescommencements.

C’était un homme de bonne famille, qui avaitreçu une éducation libérale, un gradué d’une universitéanglaise.

Le patron aurait, suivant le cours naturel deschoses, été un vicaire énergique.

Il aurait cherché à faire son chemin dans lescarrières libérales, sans certains traits cachés de son caractèrequi avaient fait irruption au dehors, et qui avaient bien pu luiêtre légués en héritage par le vieux sir Henry Morgan, l’homme quiavait fondé la famille, grâce à quelques pièces de huit vaillammentconquises dans des batailles navales.

C’était évidemment ces quelques gouttes desang aventureux qui l’avaient poussé à quitter, en sautant par lafenêtre de la chambre à coucher, le presbytère vêtu de lierre, àabandonner le home et les amis, pour venir en Australie, tenter lafortune, le pic et la pelle à la main dans les plainesaustraliennes.

Les rudes habitants de l’Écluse de Harveyn’avaient pas tardé à apprendre qu’en dépit de sa figure féminineet de ses manières précieuses, ce petit homme possédait un couragefroid, une résolution invincible, grâce auxquels il avait conquisce respect dans une réunion d’hommes où l’audace était regardéecomme la plus élevée des qualités humaines.

Personne d’entre eux ne savait comment« Les Os » et lui étaient devenus associés, et pourtantils l’étaient, associés, et l’homme le plus vigoureux, dans sasimple et sympathique nature, éprouvait un respect presquesuperstitieux envers son compagnon à l’esprit clair et décidé.

– Voilà qui va mieux, dit le patron en selaissant tomber dans la chaise devenue libre devant le feu, etregardant Abe qui mettait le couvert, deux assiettes de métal, descouteaux à manches de corne et des fourchettes aux dents delongueur anormale.

– Enlevez vos bottes de mineur, dit« Les Os ». Ce n’est pas la peine d’emplir la cabane deterre rouge… Venez vous asseoir.

Son gigantesque associé s’approcha d’un airhumble et s’assit sur un baril.

– Qu’y a-t-il de nouveau ?demanda-t-il.

– Les actions montent, dit son compagnon,voilà ce qu’il y a. Regardez ça.

Et il tira de la poche de son habit fumant unnuméro de journal froissé.

« Voici la Sentinelle deBuckhurst. Lisez cet article : celui qui se rapporte à unfilon qui donne un bon rendement dans la mine de Conemara. Noussommes fortement engagés dans l’affaire, mon garçon. Nous pourrionsvendre aujourd’hui et faire quelque bénéfice, mais je crois qu’ilvaut mieux attendre.

Pendant qu’il parlait, Abe déchiffraitlaborieusement l’article en question, en suivant les lignes avecson gros index et marmottant sous sa moustache couleur derouille.

– Deux cents dollars le pied !dit-il en relevant la tête. Eh ! camarade, nous avons centpieds chacun. Ça nous ferait vingt mille dollars. Avec ça onpourrait retourner au pays.

– Quelle sottise ! dit soncompagnon. Nous l’avons quitté pour venir ramasser ici un peu mieuxqu’un misérable millier de livres. L’affaire doit devenir encoremeilleure. Sinclair, l’essayeur, s’est rendu sur place et il ditqu’il a là une des couches de quartz les plus riches qu’il aitjamais vues. C’est le moment de faire l’acquisition de machines àbroyer. À propos, quel est le résultat de la journée ?

Abe tira de sa poche une petite boîte de boiset la tendit à son camarade.

Elle contenait la valeur d’une cuillère à théde sable et un ou deux petits grains métalliques de la grosseurd’un pois tout au plus.

Le patron Morgan se mit à rire et la rendit àson associé.

– À ce compte-là, nous ne ferons pasnotre fortune, « Les Os », dit-il.

Et il y eut une pause dans la conversation,pendant que les deux hommes écoutaient le vent qui tournait lapetite cabane en hurlant et sifflant.

– Et des nouvelles de Buckhurst ?dit Abe en se levant, et se mettant en devoir d’extraire le contenude la marmite.

– Pas grand-chose, dit son compagnon.Joe-à-l’œil-de-coq a été tué d’un coup de feu par Billy-Reid dansle magasin de Mac Farlane.

– Ah ! dit Abe d’un air vaguementintéressé.

– Les coureurs de la Brousse sont encampagne et arrivés presqu’à la gare de Rochdale : on ditqu’ils vont se montrer par ici.

Le mineur sifflota en versant un peu de whiskydans une cruche.

– Rien de plus ? demanda-t-il.

– Rien d’important, sinon que les Noirsse sont un peu fait voir par là-bas vers la route de Sterling, etque l’essayeur a acheté un piano, et qu’il va faire venir sa fillede Melbourne, pour s’établir dans la maison neuve, de l’autre côtéde la route. Ainsi, vous le voyez, mon garçon, nous aurons quelquechose à voir, ajouta-t-il en s’asseyant et attaquant le plat quilui était servi.

– On dit que c’est une beauté, « LesOs », reprit-il.

– Elle ne serait qu’un chiffon à coudresur ma Suzon, répliqua l’autre d’un ton décidé.

Son associé sourit en regardant l’image auxcouleurs criardes collée au mur.

Soudain il posa son couteau et parutécouter.

Au milieu du grondement furieux du vent et dela pluie, passait un son sourd et roulant qui évidemment ne venaitpas de la lutte des éléments.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Du diable ! si je le sais.

Les deux hommes se dirigèrent vers la porte etsondèrent attentivement l’obscurité du regard.

Bien loin sur la route de Buckhurst, ilsentrevirent une lumière mobile et le son sourd s’accrut.

– C’est un buggy qui arrive, dit Abe.

– Où va-t-il ?

– Je ne sais pas. Sans doute il vatraverser le gué.

– Mais, mon homme, il y aura six piedsd’eau au gué cette nuit et un courant aussi violent qu’une chute demoulin.

Maintenant la lumière était plus rapprochée.Elle se mouvait rapidement au tournant de la route.

On entendait un galop furieux avec le cahotdes roues.

– Les chevaux se sont emportés, par letonnerre ?

– Mauvaise affaire pour l’homme qui estdedans.

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