Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 3

 

La cour de notre ferme donne sur l’avenue àpeu près à égale distance de Hatherley House et de la loge.

Sol, moi, et master Nicolas Cronin, fils d’unesquire [2] du voisinage, nous y allâmes après lelunch.

Cette imposante démonstration avait pour objetde mater une révolte qui avait éclaté dans le poulailler.

Les premières nouvelles de l’insurrectionavaient été apportées à la maison par le petit Bayliss, fils ethéritier de l’homme préposé aux poules, et on avait requisinstamment ma présence.

Qu’on me permette de dire en passant que lavolaille était le département d’économie domestique dont j’étaistout spécialement chargée ; et qu’il n’était pris aucunemesure en ce qui les concernait, sans qu’on eût recours à mesconseils et à mon aide.

Le vieux Bayliss sortit en clopinant à notrearrivée et me donna de grands détails sur l’émeute. Il paraît quela poule à crête et le coq de Bantam avaient acquis des ailes d’unelongueur telle qu’ils avaient pu voler jusque dans le parc et quel’exemple donné par ces meneurs avait été contagieux, au point quede vieilles matrones de mœurs régulières, telles que lesCochinchinoises aux pattes arquées, avaient manifesté de lapropension au vagabondage et poussé des pointes jusque sur leterrain défendu.

On tint un conseil de guerre dans la cour, etl’on décida à l’unanimité que les mutins auraient les ailesrognées.

Quelle course folle nous fîmes ! Parnous, j’entends master Cronin et moi, car le cousin Sol restait àplaner dans le lointain, les ciseaux à la main, et à nousencourager.

Les deux coupables se doutaient évidemmentpourquoi on les réclamait, car ils se précipitaient sous les meulesde foin, ou par dessus les cages au point qu’on eût cru avoiraffaire à une demi-douzaine au moins de poules à crête et de coqsBantam, jouant à cache-cache dans la cour.

Les autres poules avaient l’air des’intéresser sans vacarme aux événements et se contentaient delancer de temps à autre un gloussement moqueur.

Toutefois, il n’en était pas de même del’épouse favorite du Bantam.

Elle nous injuriait positivement du haut deson perchoir.

Les canards formaient la partie la plusindisciplinable de cette réunion, car bien qu’ils n’eussent rien àvoir dans les débuts de ce désordre, ils témoignaient vivement leurintérêt pour les fuyards, couraient après eux de toute la vitessede leurs courtes pattes jaunes et embarrassaient les pas despoursuivants.

– Nous la tenons, criai-je toutehaletante, quand la poule à crête fut cernée dans un angle.Attrapez-la, master Cronin. Ah ! vous l’avez manquée !Vous l’avez manquée ! Arrêtez-la, Sol. Oh ! monDieu ! Elle arrive de mon côté.

– C’est très bien, miss Montague, s’écriamaster Cronin, pendant que j’attrapais par les pattes lamalheureuse volatile et que je me disposais à la mettre sous monbras pour l’empêcher de reprendre la fuite. Permettez-moi de vousla tenir.

– Non, non, je vous prie d’attraper lecoq. Le voilà ! Tenez, là, derrière la meule de foin !Passez d’un côté, je passe de l’autre.

– Il s’en va par la grande porte, criaSol.

– Chou ! criai-je à mon tour,Chou ! Oh ! il est parti.

Et nous nous élançâmes tous deux dans le parcpour l’y poursuivre.

On tourna l’angle, on passa dans l’avenue, oùje me trouvai face à face avec un jeune homme à figure très halée,en complet à carreaux, qui se dirigeait vers la maison, enflânant.

Il n’y avait pas à se méprendre avec ces yeuxgris et rieur.

Lors même que je ne l’aurais pas regardé, uninstinct, j’en suis sûre, m’aurait dit que c’était Jack.

M’était-il possible d’avoir un air digne, avecla poule à crête fourrée sous mon bras ?

Je fis un effort pour me redresser, mais legredin d’oiseau semblait se douter qu’il avait enfin trouvé unprotecteur, car il se mit à piauler avec un redoublement deviolence.

Dans mon désespoir, je la lâchai et j’éclataide rire.

Jack en fit autant.

– Comment ça va-t-il, Nell ? dit-ilen me tendant la main.

Puis, d’une voix qui marquaitl’étonnement :

– Tiens, vous n’êtes plus du tout commequand je vous ai vue pour la dernière fois.

– Ah ! alors je n’avais pas unepoule sous le bras, dis-je.

– Qui aurait cru que la petite Nellyserait jamais devenue une femme ? dit Jack tout entier encoreà sa stupéfaction.

– Vous ne vous attendiez pas à ce que jedevienne un homme en grandissant, n’est-ce pas ? dis-je avecune profonde indignation.

Et alors, renonçant brusquement à touteréserve :

– Nous sommes rudement contents de votrearrivée, Jack. Ne vous pressez pas tant d’aller à la maison. Veneznous aider à attraper le coq bantam.

– Vous avez bien raison, dit Jack avec savoix si gaie d’autrefois. Allons !

Et nous voici tous les trois à courir commedes fous, à travers le parc, pendant que le pauvre Sol s’empressaità notre aide, embarrassé à l’arrière-garde avec les ciseaux et laprisonnière.

Jack avait son costume très froissé pour unhomme en visite, quand il présenta ses respects à maman dansl’après-midi, et mes rêves de dignité et de réserve étaientdispersés à tous les vents.

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