Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 6

 

Ce qui est certain, c’est que soit par suitede ses visites professionnelles de la matinée, soit de celles qu’ilfaisait le soir comme voisin, le gigantesque mineur était devenu undes êtres familiers du petit salon, dans la villa des Azalées,ainsi que se dénommait somptueusement la maison neuve del’essayeur.

Il se risquait rarement à prendre la parole enprésence de la jeune personne qui l’occupait. Il se bornait àrester assis tout à fait au bord de sa chaise, dans un étatd’admiration muette, pendant qu’elle tapotait un air très dansantsur le piano récemment importé.

Et ses pieds l’entraînaient dans maintsendroits étranges, inattendus.

Miss Carrie en était venue à croire que lesjambes d’Abe agissaient d’une façon tout à fait indépendante dureste de son corps.

Elle avait renoncé à se rendre compte pourquoi elle les rencontrait à un bout de la table, pendant que leurpropriétaire était à l’autre bout, et s’excusait.

Il n’y avait qu’un nuage à l’horizon mental dubrave « Les Os », c’était l’apparition périodique de TomFerguson le Noir, du bac de Rochdale.

Ce jeune et rusé chenapan avait réussi às’insinuer dans les bonnes grâces du vieux Joshua, et il faisait detrès fréquentes visites à la villa.

Des bruits fâcheux couraient au sujet de Tomle Noir.

À l’Écluse de Harvey, on n’est guère porté àla censure et pourtant on y sentait généralement que Ferguson étaitun homme à éviter.

Il y avait néanmoins dans ses manières un élantéméraire, dans sa conversation un pétillement qui charmaient d’unefaçon irrésistible.

Le patron lui-même, si difficile en pareillesmatières, en vint à cultiver sa société, tout en se faisant uneidée exacte de son caractère. Miss Carrie parut accueillir sa venuecomme un soulagement.

Elle jasait pendant des heures à propos delivres, de musique, et des plaisirs de Melbourne.

Dans de telles occasions, le pauvre « LesOs » tombait au fin fond des abîmes du découragement ou biens’esquivait, ou restait à jeter sur son rival des regards empreintsd’une malveillance sincère qui paraissaient divertir beaucoup cegentleman.

Le mineur ne tint point secrète pour sonassocié l’admiration qu’il éprouvait pour miss Sinclair.

S’il était silencieux lorsqu’il se trouvaitavec elle, il se montrait prodigue de paroles, lorsqu’il étaitquestion d’elle dans la conversation.

S’il y avait des flâneurs sur la route deBuckhurst, ils purent entendre au haut de la côte une voix destentor lançant à toute volée un chapelet des charmes féminins.

Il soumit ses embarras à l’intelligencesupérieure du patron.

– Ce fainéant de Rochdale, disait-il, ondirait que ça lui est naturel de dégoiser ainsi. Quant à moi, quandil s’agirait de ma vie, je ne trouve pas un mot. Dites-moi, patron,qu’est-ce que vous diriez à une demoiselle commecelle-là ?

– Eh bien, je lui parlerais des chosesqui l’intéressent, dit son compagnon.

– Ah ! oui, voilà le difficile.

– Parlez-lui des habitudes de l’endroitet du pays, dit le patron ! en aspirant d’un air méditatif unebouffée de sa pipe. Racontez-lui des histoires de ce que vous avezvu dans les mines, des choses de ce genre.

– Eh ! vous feriez ça, vous ?lui répondait son compagnon un peu encouragé. Si c’est de là que çadépend, je suis son homme. Je vais aller là-bas maintenant, je luiparlerai de Chicago Bill, et je lui conterai comment il mit deuxballes dans un homme, au tournant de la route, le soir du bal.

Le Patron Morgan éclata de rire :

– Ce ne serait guère à propos, dit-il. Sivous lui racontiez cela, vous lui feriez peur. Dites-lui quelquechose de plus léger, voyez-vous, quelque chose qui l’amuse, quelquechose de plaisant.

– De plaisant ? dit l’amoureuxinquiet, d’un ton moins confiant. Comment vous et moi nous avonsenivré Mat Roulahan, et l’avons mis dans la chaire du ministre àl’église baptiste, et comme quoi, le matin, il refusa de laisserentrer le prédicateur. Quel effet ça ferait-il ?Hein ?

– Au nom du ciel, dit son mentor toutconsterné, n’allez pas lui raconter de ces sortes d’histoires. Ellen’adresserait plus la parole à vous ni à moi. Non, ce que je veuxdire, ce serait de lui parler des habitudes des mines, de la façondont on y vit, dont on y travaille, dont on y meurt. Si c’est unejeune fille sensée, cela devrait l’intéresser.

– Comment on vit dans les mines ?Camarade, vous êtes bon pour moi. Comment on vit. Voilà de quoi jepeux parler avec autant d’entrain que Tom le Noir, que le premiervenu. J’en ferai l’essai sur elle la première fois que je laverrai.

– À propos, dit son associé d’un airindifférent, ayez l’œil sur cet individu, ce Ferguson. Il n’a pasles mains très pures, vous savez, et il ne s’embarrasse guère descrupules quand il a quelque chose en vue. Vous vous rappelez DickWilliams, de la ville anglaise, qu’on a trouvé mort dans labrousse. On dit pourtant que Tom le Noir lui devait bien plusd’argent qu’il n’eut pu jamais lui en payer. Il y a une ou deuxchoses singulières sur son compte. Ayez l’œil sur lui, Abe, faitesattention à ses actes.

– Je le ferai, dit son compagnon.

Et il le fit.

Il l’épia ce même jour.

Il le vit sortir à grands pas de la maison del’essayeur, la colère et l’orgueil déçu se manifestant dans lesmoindres détails de sa belle figure d’un brun foncé.

Il le vit franchir d’un bond la palissade dujardin, suivre à longues et rapides enjambées les flancs de lavallée, tout en gesticulant avec fureur, pour disparaître ensuitedans les profondeurs de la brousse.

Tout cela, Abe Durton le vit, et ce fut l’airpensif qu’il ralluma sa pipe et regagna lentement sa cabane ausommet de la côte.

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