Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 1

 

La cabane d’Abe Durton n’était pointbelle.

On a entendu des gens affirmer qu’elle étaitlaide, et morne, suivant l’exemple des gens de l’Écluse de Harvey,aller jusqu’à faire précéder leur adjectif d’un explétif pleind’expression qui soulignait leur appréciation.

Mais Abe était un homme impassible, qui allaitson train, et pour l’esprit duquel les commentaires d’un publicdépourvu de goût ne faisaient guère d’impression.

Il avait bâti lui-même la maison.

Elle faisait son affaire et celle de sonassocié ; leur fallait-il quelque chose de plus ?

À vrai dire, il montrait quelquesusceptibilité sur ce point.

– Quoique je dise que c’est moi qui l’aibâtie, remarquait-il. Elle est bien préférable à tous les hangarsde la vallée.

« Des trous ? mais oui,naturellement ; est-ce que vous prétendriez avoir de l’airfrais sans qu’il y ait des trous ? Ça ne sent pas le renferméchez moi.

« La pluie ? Eh bien, si elle laisseentrer la pluie, n’est-ce pas un avantage de savoir qu’il pleutsans avoir à ouvrir la porte.

« Je ne voudrais pas d’une maison qui nelaisserait pas passer l’eau quelque part.

« Quant à être un peu écartée de laperpendiculaire, eh bien, il ne me déplaît pas qu’une maison pencheun peu de côté.

« En tout cas elle plaît à mon camarade,le patron Morgan, et ce qui est bon pour lui est assez bon pourvous, je suppose.

Et alors son interlocuteur, sentant venir lesarguments ad homineum, s’esquivait ordinairement, etlaissait l’architecte indigné maître du champ de bataille.

Mais si différentes que pussent être lesopinions quant à la beauté de l’édifice, il n’y en avait qu’une ausujet de son utilité.

– Pour le voyageur fatigué, après unemarche pénible de la route de Buckhurst dans la direction del’Écluse de Harvey, la belle lueur qui brillait au sommet de lahauteur était comme un phare d’espoir et de confort.

Ces mêmes trous, dont parlaient les voisinsnarquois, contribuaient à répandre au dehors une joyeuse atmosphèrede lumière, qui était deux fois la bienvenue en un soir commecelui-ci.

Il n’y avait qu’un homme à l’intérieur de lahutte.

C’était le propriétaire, Abe Durton, enpersonne, ou « Les Os », comme on l’avait baptisé d’aprèsles règles primitives du blason en usage au camp.

Il était assis devant le grand feu de bois,contemplant d’un air farouche les profondeurs brûlantes, et donnantde temps à autre un coup de pied à un fagot en manière de leçon dèsque ce fagot faisait mine de se consumer en cendres.

Sa figure de saxon au teint clair, aux yeuxnaïfs et hardis, à la barbe blonde et frisée, se dessinait en uncontour découpé nettement sur l’obscurité, quand la lumièrefantasque s’y jouait.

C’était celle d’un homme viril, résolu.

Cependant, un physionomiste aurait pudécouvrir, dans le dessin de la bouche, des indices quitrahissaient je ne sais quelle faiblesse, une indécision quicontrastait étrangement avec ses épaules d’hercule et ses membresmassifs.

Cette faiblesse d’Abe, c’était d’être une deces natures confiantes, simples, qui sont aussi aisées à mener quedifficiles à faire marcher, et cette heureuse flexibilité decaractère avait fait de lui en même temps le jouet et le favori deshabitants de l’Écluse.

Dans cette colonisation primitive, le badinageavait des allures assez lourdes, et cependant, si loin qu’onpoussât la blague, on n’était jamais arrivé à faire prendre à laphysionomie de « Les Os » un air sombre, à faire naîtreen son brave cœur une méchante pensée.

C’était seulement quand il se figurait qu’onmettait en jeu son aristocratique associé, que l’on voyait sa lèvreinférieure prendre une contraction de mauvais augure et qu’unéclair de colère dans ses yeux bleus obligeait le plaisant le plusincorrigible de la colonie à rentrer jusqu’à l’apparence de saraillerie préférée et à bifurquer vers une dissertation sérieuse etabsorbante sur le temps qu’il faisait.

– Le patron est en retard ce soir,murmura-t-il en se levant et s’étirant en un bâillement de géant.Par mes étoiles ! quelle pluie, quel vent ! N’est-ce pas,Blinky ?

Blinky était une chouette pleine de réserve, àl’humeur méditative, dont le confort et le bien-être étaient pourson maître un sujet de sollicitude constante, et qui, en ce momentmême, le contemplait gravement, perchée sur une des solives dutoit.

« C’est dommage que vous ne sachiezparler, Blinky, reprit Abe, en jetant un coup d’œil à sa compagneemplumée, car il y a terriblement de raison dans votre figure. Etaussi pas mal de mélancolie, on le dirait. Amour malheureux,peut-être, quand vous étiez jeune… À propos d’amour, ajouta-t-il,je n’ai pas vu Suzanne de la journée.

Il alluma la bougie plantée dans une bouteillenoire sur la table, traversa la chambre et alla considérer d’un airgrave une des nombreuses gravures des journaux illustrés quis’étaient égarés par là, où elles avaient été découpées par leshabitants de la maison et collées au mur.

La gravure qui attirait particulièrement sonattention représentait une actrice au costume très voyant, qui, unbouquet à la main, minaudait devant un auditoire imaginaire.

Ce dessin avait, pour je ne sais quel motifinsondable, fait une impression profonde sur le cœur sensible dumineur.

Il avait conçu à l’égard de la jeune personneun intérêt tout humain, et sans que rien l’y autorisât, il l’avaitbaptisée Suzanne Banks, et avait fait d’elle son idéal de la beautéféminine.

– Vous voyez ma Suzanne, disait-il, quandun voyageur venant de Buckhurst ou même de Melbourne décrivait lescharmes d’une Circé qu’il avait laissée là-bas. Il n’y a pas dejeune fille comparable à ma Suz. Si jamais vous retournez au vieuxpays, ne manquez pas de demander à la voir. Suzanne Banks, c’estson nom, et j’ai trouvé son portrait, que j’ai mis dans lacabane.

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