Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 8

 

Le Bar Colonial était le rendez-vous favorides habitants de l’Écluse de Harvey pendant leurs moments deloisir.

Il y avait eu une vive concurrence entre ceBar et l’établissement rival appelé L’Épicerie, et qui, en dépit deson innocente dénomination, aspirait à vendre aussi desrafraîchissements spiritueux.

L’introduction de chaises dans ce dernieravait fait apparaître dans le premier un divan. Des crachoirsfurent introduits au Bar, le jour où un tableau fit son entrée àl’Épicerie, et alors, comme le dirent les clients, la premièremanche fut gagnée.

Toutefois, l’Épicerie ayant arboré desrideaux, pendant que son concurrent inaugurait un cabinetparticulier et un miroir, il fut décidé que ce dernier avait gagnéla partie, et l’Écluse de Harvey montra combien elle appréciait lezèle du propriétaire en retirant sa clientèle à son adversaire.

Bien que le premier venu eût le droit des’aventurer dans le Bar et de se prélasser sous le papillotement deses bouteilles aux couleurs variées, il était admis tacitement,mais généralement, que le cabinet particulier ou boudoir étaitréservé à l’usage des citoyens les plus en vue.

C’était dans cette pièce que se réunissaientles comités, qu’étaient conçues et mises au monde d’opulentescompagnies, que se faisaient ordinairement les enquêtes.

Cette dernière cérémonie, j’ai le regret de ledire, était assez fréquente à l’Écluse, vers 1861, et lesconclusions du coroner se faisaient parfois remarquer par unesaveur et une originalité fort piquantes.

Pour n’en citer qu’un exemple, quand Burke lePourfendeur, un bandit de notoriété, fut abattu d’un coup de feupar un jeune médecin aux façons tranquilles, un jury sympathiquedéclara : « que le défunt avait rencontré la mort dansune tentative imprudente qu’il avait faite pour arrêter dans sontrajet une balle de pistolet ».

Dans le camp, on regarda ce verdict comme unchef-d’œuvre de jurisprudence, en ce qu’il déchargeait le coupable,tout en respectant rigoureusement, incontestablement, lavérité.

Ce soir-là, il y avait dans le petit salon uneréunion de notabilités, quoiqu’elles n’y eussent point été amenéespar une cérémonie pathologique de ce genre.

Il était survenu en ces derniers temps maintschangements qui méritaient discussion et c’était dans cette pièce,somptueusement meublée d’un divan et d’un miroir, que l’Écluse deHarvey avait coutume d’échanger ses idées.

Les habitudes de propreté, qui commençaient às’établir dans la population, causaient encore quelque agitationdans les esprits de plusieurs.

Puis, il y avait des commentaires à faire surmiss Sinclair, ses allées et venues, sur le filon riche duConemara, sur les bruits récents relatifs aux coureurs de labrousse.

Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que lesnotables de la ville se fussent réunis au Bar Colonial.

Les coureurs de la Brousse étaient en cemoment-là l’objet de la discussion.

Depuis quelques jours, on parlait de leurprésence et la colonie éprouvait un sentiment de malaise.

La crainte physique est chose peu connue àl’Écluse de Harvey.

Les mineurs se seraient mis en campagne pourfaire une chasse à mort aux brigands et ils s’y seraient livrésavec autant d’entrain que s’il s’était agi de tuer un même nombrede Kangourous.

Ce qui causait leur inquiétude, c’était laprésence d’une grande quantité d’or dans la ville.

Ils étaient décidés à mettre en sûreté à toutprix le fruit de leur travail.

Des messages avaient été envoyés à Buckhurstpour faire venir tous les soldats disponibles.

En attendant, la rue principale de l’Écluseétait parcourue chaque nuit par des patrouilles de bonnevolonté.

La panique avait augmenté de nouveau à lasuite des nouvelles rapportées le jour même par Jim Struggles.

Jim était d’un caractère ambitieux etentreprenant, et après avoir passé quelque temps à considérer avecdégoût le résultat de son travail de la dernière semaine, il avoirsecoué, métaphoriquement s’entend, la poussière de l’argile del’Écluse, et était parti pour les bois dans l’intention deprospecter aux environs jusqu’à ce qu’il trouvât un endroit à saconvenance.

Jim racontait qu’étant assis sur un troncd’arbre tombé et en train de prendre son repas de midi, composé deliquide et de lard rance, son oreille exercée avait perçu le bruitde sabots de chevaux.

Il avait eu à peine le temps de s’allonger àterre derrière l’arbre qu’une troupe de cavaliers traversa le boiset passa à un jet de pierre de lui.

– Il y avait là Bill Smeaton et MurphyDuff, dit-il.

C’étaient les noms de deux bandits bienconnus.

« Il y en avait trois autres que je n’aipas très bien vus. Ils ont pris la piste de droite. Ils avaientl’air d’être partis en expédition pour tout de bon, leurs fusils enmain.

Jim fut soumis ce soir-là à un interrogatoireminutieux, mais rien ne put le faire varier dans sa déposition niajouter quelque clarté à ce qu’il avait vu.

Il raconta l’histoire plusieurs fois et à delongs intervalles, mais bien qu’il y eut peut-être d’agréablesvariations dans les détails, les faits essentiels restaienttoujours les mêmes.

La chose commençait à prendre une tournuresérieuse.

Il y en eut toutefois qui exprimèrentbruyamment leurs doutes au sujet de l’existence de coureurs de labrousse.

Parmi ceux qui se firent ainsi le plusremarquer, était un jeune homme, perché sur un baril, au milieu dela pièce.

C’était évidemment un des membres influents dela population.

Nous avons déjà vu cette chevelure noire etbouclée, cet œil sans éclat, cette lèvre cruelle, chez Tom Fergusonle Noir, prétendant évincé de miss Sinclair.

Il était aisé de le distinguer du reste del’assemblée, grâce à son complet à carreaux et à d’autres indicesd’un caractère efféminé, que fournissait son costume et quiauraient pu lui procurer une fâcheuse réputation ; mais, commel’associé d’Abe, il s’était fait de bonne heure connaître pour unhomme capable de tout sans en avoir l’air.

Dans la circonstance actuelle, il paraissaitêtre jusqu’à un certain point sous l’influence de la boisson, faitfort rare chez lui, et qu’il fallait probablement mettre sur lecompte de son échec récent.

Il mettait un véritable emportement àcombattre Jim Struggles et son récit.

– C’est toujours la même chose,disait-il, qu’un homme rencontre dans la forêt quelques voyageurs,il n’en faut pas davantage pour qu’il perde la tête et vienneraconter des histoires de coureurs de la brousse. S’ils avaientaperçu Jim Struggles en cet endroit, ils seraient partis avec deshistoires à n’en plus finir, d’un coureur de Brousse vu par euxderrière un arbre. Quant à reconnaître des hommes qui vont àcheval, et vite, parmi des troncs d’arbres, c’est uneimpossibilité.

Mais Struggles s’obstinait à soutenir sapremière assertion, et les sarcasmes, les arguments se brisaientsur l’épaisseur invulnérable de sa placidité.

On remarqua que Ferguson avait l’airsingulièrement ennuyé de toute cette affaire.

On eût dit aussi que quelque chose pesait surson esprit, car de temps à autre il se levait brusquement,arpentait la pièce en long et en large, sa figure brune animéed’une expression très menaçante.

Tous éprouvèrent un vrai soulagement, quand ilprit brusquement son chapeau, et disant sèchement bonsoir à lacompagnie, il sortit, traversa le bar et s’en alla par la rue.

– Il a l’air comme qui diraitdésappointé, dit Mac Coy le Long.

– Il ne peut pas avoir peur des coupeursde la brousse, assurément, dit Joe Shamees, autre personnaged’importance et principal actionnaire de l’Eldorado.

– Non, ce n’est pas un homme à avoirpeur, répondit un autre. Voici un jour ou deux qu’il a l’air toutsingulier. Il fait de longues tournées dans les bois sans emporteraucun outil. On dit que la fille de l’essayeur l’a envoyépromener.

– Elle a parfaitement bien fait. Elle estbien trop jolie pour lui, remarquèrent plusieurs voix.

– Ce serait bien drôle qu’il n’eut pas unautre tour dans son sac. C’est un homme difficile à battre quand ils’est mis quelque chose en tête.

– Abe Durton est le cheval gagnant,remarqua Roulahan, un petit Irlandais barbu. Je parie sept contrequatre pour lui.

– Vous tenez donc bien à perdre votreargent, l’ami, dit un jeune homme en riant. Il lui faut un hommequi eût plus de cervelle que « Les Os » n’en eut jamais.Voulez-vous parier ?

– Qui a vu « Les Os »aujourd’hui ? demanda Mac Coy.

– Je l’ai vu, dit le jeune mineur. Ilallait de tous côtés, demandant un dictionnaire. Probablement ilavait une lettre à écrire.

– Je l’ai vu en train de le lire, ditShamees. Il est venu me trouver et m’a dit qu’il avait trouvé dupremier coup quelque chose de bon. M’a montré un mot presque aussilong que votre bras… abdiquer… quelque chose dans ce genre.

– C’est aujourd’hui un richard, jesuppose, conclut l’Irlandais.

– Oui, il a presque fait son magot. Ilpossède cent pieds dans le Conemara et les actions montent d’heureen heure. S’il vendait, il serait en état de retourner au pays.

– Je parie qu’il compte emmener quelqu’unau pays avec lui, dit un autre. Le vieux Joshua ne ferait pas dedifficulté, vu que l’argent est là.

Je crois avoir déjà rapporté dans ce récit queJim Struggles, le prospecteur ambulant, s’était fait la réputationd’homme spirituel du camp.

Il avait conquis cette réputation nonseulement par ses propos légers et plaisants, mais encore par laconception et l’exécution de farces plus compliquées.

Son aventure du matin avait causé une certainestagnation dans le cours habituel de son humour, mais la société etla boisson le remettaient peu à peu dans un état plus gai.

Depuis le départ de Ferguson, il avait couvéen silence une idée, qu’il se disposait à exposer à ses compagnonsattentifs.

– Dites donc, les enfants, commença-t-il,quel jour sommes-nous ?

– Vendredi, n’est-ce pas ?

– Non, non, pas ça ; quel jour dumois ?

– Le diable m’emporte si je le sais.

– Eh bien ! je vais vous le dire.Nous sommes au premier avril. J’ai trouvé dans la cabane uncalendrier qui le dit.

– Qu’est-ce que ça fait ? firentplusieurs voix.

– Eh bien, ne le savez-vous pas ?C’est le jour des farces. Ne pourrions-nous pas en arranger unepour quelqu’un ? Ne pourrions-nous pas nous en divertir unpeu ? Eh bien, voilà le vieux « Les Os » parexemple, il ne se méfiera de rien. Ne pourrions-nous pas le fairealler quelque part et le regarder marcher. Nous aurionsensuite de quoi le blaguer pendant un grand mois.

Il y eut un murmure général d’assentiment.

Une farce, si piteuse qu’elle fût, étaittoujours bienvenue à l’Écluse.

Plus l’esprit en était pataud, plus elle étaitappréciée. Dans les fosses d’exploitation, on ne va point jusqu’àune délicatesse morbide de sensation.

– Où l’enverrons-nous ? sedemanda-t-on.

Depuis un instant, Jim Struggles était plongédans ses pensées.

Puis une inspiration sacrilège parut luivenir.

Il partit d’un bruyant éclat de rire, sefrotta les mains entre les genoux tant il était content.

– Eh bien ! Qu’est-ce quec’est ? demanda l’auditoire empressé.

– Voici, les enfants. Voilà missSinclair. Vous disiez qu’Abe en est fou. Vous pensez bien qu’ellene fait pas grand cas de lui. Supposez que nous lui écrivions unbillet, que nous le lui envoyions ce soir, voyez-vous.

– Eh bien, quoi alors ? dit MacCoy.

– Eh bien, on dirait que le billet vientd’elle. On mettrait son nom en bas. On mettrait qu’elle veut levoir et qu’elle lui donne un rendez-vous à minuit dans le jardin.Il ne manquera pas d’y aller. Il croira qu’elle veut se sauver aveclui. Ce sera la plus belle farce jouée cette année.

Éclat de rire général.

L’évocation de ce tableau : l’honnête« Les Os » faisant le pied de grue au clair de lune dansle jardin et le vieux Joshua sortant pour le réprimander, un fusilà deux coups à la main : c’était d’un comiqueirrésistible.

Le plan fut approuvé à l’unanimité.

– Voici un crayon, et voici du papier,dit l’humoriste. Qui est-ce qui va écrire la lettre ?

– Écrivez-la vous-même, Jim, ditShamees.

– Bon, qu’est-ce que je dirai ?

– Dites ce qui vous paraîtraconvenable.

– Je ne sais pas comment elles’exprimerait, dit Jim en se grattant le front, fort perplexe. Ilest vrai que « Les os » ne s’apercevra pas de ladifférence. Et ceci fera-t-il l’affaire : « Cher vieux,venez ce soir à minuit, au jardin. Autrement je ne vous adresseraiplus la parole. » Hein ?

– Non, ce n’est pas le style qu’il faut,dit le jeune mineur. Rappelez-vous que c’est une demoiselle qui areçu de l’éducation… Faut mettre ça comme qui dirait dans un genrefleuri, bien tendre.

– Eh bien, écrivez ça vous-même, dit Jimsur un ton maussade en lui faisant passer le crayon.

– Voici ce qu’il faut, dit le mineur enmouillant la pointe avec ses lèvres : « Quand la lune estdans le ciel… »

– C’est bien ça, c’est magnifique, fitl’assistance.

– « Et que les étoiles envoient leuréclat brillant, venez, oh ! venez me trouver, Adolphus, à laporte du jardin, à minuit. »

– Il ne s’appelle pas Adolphus, objectaun critique.

– C’est comme ça qu’on fait en poésie,dit le mineur ; c’est comme qui dirait fantastique,voyez-vous. Ça vous a un autre son que Abe. Rapportez-vous en à luipour deviner ce que ça veut dire. Je vais signer ça Carrie.Voilà !

Cette épître passa gravement de main en mainet fit le tour de la chambre.

On la contempla avec le respect dû à uneproduction aussi remarquable du cerveau de l’homme.

Elle fut ensuite pliée et confiée aux soinsd’un petit garçon, qui reçut, avec accompagnement de terriblesmenaces, l’ordre de la porter à la cabane et de s’esquiver avantqu’on eût le temps de lui poser des questions embarrassantes.

Ce fut seulement quand il eut disparu dansl’obscurité qu’un peu, bien peu de componction se fit jour dansl’âme d’un ou deux assistants.

– Et n’est-ce pas jouer un assez vilaintour à la demoiselle ? dit Shamees.

– Et se montrer assez cruel pour le vieux« Les Os », suggéra un autre.

Mais la majorité passa outre à ces objections,qui furent noyées complètement sous une nouvelle tournée dewhisky.

L’on ne songeait presque plus à la chose aumoment où Abe reçut la missive et se mit à l’épeler, le cœurpalpitant, à la lueur de sa chandelle solitaire.

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