Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 9

 

Il me faut maintenant renoncer au stylepersonnel pour un moment.

Jusqu’à présent, ma petite histoire s’estcomposée simplement d’une série d’extraits de mon journalparticulier, mais j’ai maintenant à raconter une scène que jen’appris qu’au bout de bien des mois.

Le lieutenant Hawthorne, ou Jack, comme je nepuis m’empêcher de l’appeler, avait été fort tranquille depuis lapartie de campagne, et il s’était adonné à la rêverie.

Or, le hasard voulut que master Salomon Barkervînt au fumoir après le lunch, le jour de la cagnotte, et qu’il ytrouvât le lieutenant assis et faisant de la fumée, pour distrairesa grandeur solitaire.

Battre en retraite eût paru une lâcheté.

Aussi l’étudiant s’assit-il sans mot dire etse mit à feuilleter le Graphic.

Les deux rivaux trouvaient la situationégalement embarrassante.

Ils avaient pris l’habitude de mettre le plusgrand soin à s’éviter et maintenant ils se trouvaient brusquementmis face à face, sans qu’un tiers fût là pour jouer le rôle detampon.

Le silence finissait par devenir pénible.

Le lieutenant bâilla, toussa avec unenonchalance mal jouée et continua à examiner d’un air sombre lejournal qu’il tenait.

Le tic-tac de la pendule, le choc des billesqui arrivait de l’autre côté du corridor, où se trouvait la sallede billard, prenaient une intensité et une monotonie qui, à lalongue, devenaient insupportables.

Sol leva les yeux une fois, mais il rencontrales yeux de son compagnon, qui venait de faire exactement la mêmechose.

Les deux jeunes gens se donnèrent aussitôtl’air de s’intéresser profondément, exclusivement aux dessins duplafond.

« Pourquoi me quereller avec lui ?pensait Sol à part lui. Après tout, je ne demande qu’à jouer àchances égales. Probablement je serai mal accueilli, mais je nerisque rien à lui offrir une entrée en conversation.

Le cigare de Sol s’était éteint :l’occasion était trop favorable pour la laisser passer.

– Auriez-vous l’obligeance de me donnerune allumette, Lieutenant ? demanda-t-il.

Le lieutenant était désolé, extrêmementdésolé, mais n’avait pas la moindre allumette.

C’était un mauvais début.

La politesse glaciale vous tient plus àdistance que la grossièreté proprement dite. Mais master SalomonBarker, comme la plupart des gens timides, était l’audace même, dèsque la glace avait été rompue.

Il ne voulait plus de ces coups d’épingle, deces malentendus ; le moment était venu des mesuresdéfinitives.

Il poussa son fauteuil jusqu’au milieu de lachambre et se planta en face du militaire étonné.

– Vous faites la cour à miss NellyMontague, dit-il.

Jack se leva de son canapé aussi promptementque si le taureau du fermier Brown était entré par la fenêtre.

– Et si je la fais, dit-il en tortillantsa moustache roussie, que diable cela peut-il vous faire ?

– Ne vous emportez pas, dit Sol,rasseyez-vous ; et causons de l’affaire en gens raisonnables.Je l’aime, moi aussi.

– Où diable cet individu veut-il envenir ? se demanda Jack en se ressayant, et tout fumant encorede la récente explosion.

– En un mot comme en cent, le fait estque nous l’aimons tous les deux, reprit Sol en soulignant saremarque d’un mouvement de son doigt osseux.

– Et après ? dit le lieutenant,donnant quelques indices d’une rechute. Je suppose que le plusfavorisé l’emportera, et que la jeune personne est parfaitement enétat de faire elle-même son choix. Vous ne vous attendez pas,n’est-ce pas, à ce que je me retire de la course, uniquement parceque vous tenez à gagner le prix ?

– C’est bien cela, s’écria Sol, il faudraque l’un de nous deux se retire. Vous avez émis la bonne idée. Vousvoyez, Nelly, miss Montague veux-je dire, vous aime mieux que moi,autant que je puis voir, mais elle m’aime encore assez pour ne pasvouloir m’affliger par un refus formel.

– L’honnêteté m’oblige à reconnaître, ditJack d’un ton plus conciliant que celui dont il avait parléjusqu’alors, que Nelly, miss Montague, veux-je dire, vous aimemieux que moi, mais que, néanmoins, elle m’aime encore assez pourne pas préférer mon rival ouvertement, en ma présence.

– Je ne suis pas de votre avis, ditl’étudiant. À vrai dire, je crois que vous vous trompez, car elleme l’a dit en propres termes. Toutefois, ce que vous dites nouspermettra d’arriver plus facilement à nous entendre. Il estparfaitement évident que tant que nous nous montrerons égalementamoureux d’elle, aucun de nous deux ne peut avoir le moindre espoirde faire sa conquête.

– Il y a quelque bon sens dans cela, ditle lieutenant, d’un air réfléchi, mais que proposez-vous ?

– Je propose que l’un de nous se retire,pour employer votre expression. Il n’y a pas d’autrealternative.

– Mais qui devra se retirer ?demanda Jack.

– Ah ! voilà la question.

– Je puis alléguer que je la connaisdepuis plus longtemps.

– Je puis alléguer que j’ai été lepremier à l’aimer.

L’affaire semblait arrivée à un point mort. Nil’un ni l’autre des jeunes gens n’était, si peu que ce fût, disposéà abdiquer en faveur de son rival.

– Voyons, dit l’étudiant, si nous tirionsau sort.

Cela paraissait équitable, tous deux entombèrent d’accord. Mais il surgit une nouvelle difficulté.

Tous deux éprouvaient une répugnancesentimentale à risquer l’ange de leurs rêves sur une chance aussimesquine que la chute d’une pièce de monnaie ou la longueur d’unepaille.

Ce fut en ce moment critique que le lieutenantHawthorne eut une inspiration.

– Je vais vous dire de quelle façon nousallons trancher l’affaire, proposa-t-il. Vous et moi nous sommesinscrits pour la cagnotte de notre Derby. Si votre cheval bat lemien, je renonce à ma chance. Si le mien bat le vôtre, vousrenoncez pour toujours à miss Montagne. Est-ce marchéconclu ?

– Je n’ai qu’une réserve à faire, ditSol. C’est dans dix jours qu’auront lieu les courses. Pendant cetemps-là, aucun de nous ne devra rien faire pour gagner sur l’autreun avantage déloyal. Nous conviendrons tous les deux d’ajournernotre cour jusqu’à ce que la chose soit décidée.

– Convenu ! dit le soldat.

– Convenu ! dit Salomon.

Et tous deux scellèrent l’engagement d’unepoignée de mains.

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