Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 2

 

Lorsque nous descendîmes à la salle à manger,le reste de la maisonnée était déjà réuni pour le dîner.

Le vieux Jérémie, toujours coiffé de sasingulière façon, occupait le haut bout de la table.

À côté de lui, et à droite, était une jeunedame très brune, à la chevelure et aux yeux noirs, qui me futprésentée sous le nom de miss Warrender.

À côté d’elle étaient assis deux jolisenfants, un garçon et une fille, ses élèves, évidemment.

J’étais placé vis-à-vis d’elle, ayantà ma gauche Copperthorne.

Quant à John, il faisait face à son oncle.

Je crois presque voir encore l’éclat jaune dela grande lampe à huile qui projetait des lumières et des ombres àla Rembrandt sur ce cercle de figures, parmi lesquelles certainesétaient destinées à prendre tant d’intérêt pour moi.

Ce fut un repas agréable, en dehors même del’excellence de la cuisine et de l’appétit qu’avait aiguisé monlong voyage.

Enchanté d’avoir trouvé un nouvel auditeur,l’oncle Jérémie débordait d’anecdotes et de citations.

Quant à miss Warrender et à Copperthorne, ilsne causèrent pas beaucoup, mais tout ce que dit ce dernier révélaitl’homme réfléchi et bien élevé.

Pour John, il avait tant de souvenirs decollège et d’événements postérieurs à rappeler que je crains qu’iln’ait fait maigre chair.

Lorsqu’on apporta le dessert, miss Warrenderemmena les enfants. L’oncle Jérémie se retira dans la bibliothèque,d’où nous arrivait le bruit assourdi de sa voix, pendant qu’ildictait à son secrétaire.

Mon vieil ami et moi, nous restâmes quelquetemps devant le feu à causer des diverses aventures qui nousétaient arrivées depuis notre dernière rencontre.

– Eh bien, que pensez-vous de notremaisonnée ? me demanda-t-il enfin, en souriant.

Je répondis que j’étais fort intéressé par ceque j’en avais vu.

– Votre oncle est tout à fait un type. Ilme plaît beaucoup.

– Oui, il a le cœur excellent avec toutesles originalités. Votre arrivée l’a tout à fait ragaillardi, car iln’a jamais été complètement lui-même depuis la mort de la petiteEthel. C’était la plus jeune des enfants de l’oncle Sam. Elle vintici avec les autres, mais elle eut, il y a deux mois environ, unecrise nerveuse ou je ne sais quoi dans les massifs. Le soir, on l’ytrouva morte. Ce fut un coup des plus violents pour levieillard.

– Ce dut être aussi fort pénible pourmiss Warrender, fis-je remarquer.

– Oui, elle fut très affligée. À cetteépoque, elle n’était ici que depuis une semaine. Ce jour-là elleétait allée en voiture à Kirby-Lonsdale pour faire quelqueemplette.

– J’ai été très intéressé, dis-je, partout ce que vous m’avez raconté à son sujet. Ainsi donc, vous neplaisantiez pas, je suppose.

– Non, non, tout est vrai commel’Évangile. Son père se nommait Achmet Genghis Khan. C’était unchef à demi indépendant quelque part dans les provinces centrales.C’était à peu près un païen fanatique, bien qu’il eût épousé uneAnglaise. Il devint camarade avec le Nana, et eut quelque part dansl’affaire de Cawnpore, si bien que le gouvernement le traita avecune extrême rigueur.

– Elle devait être tout à fait femmequand elle quitta sa tribu, dis-je. Quelle est sa manière de voiren affaire de religion ? Tient-elle du côté de son père ou decelui du sa mère ?

– Nous ne soulevons jamais cettequestion, répondit mon ami. Entre nous, je ne la crois pas trèsorthodoxe. Sa mère était sans doute une femme de mérite. Outrequ’elle lui a appris l’anglais, elle se connaît assez bien enlittérature française et elle joue d’une façon remarquable. Tenez,écoutez-la.

Comme il parlait, le son d’un piano se fitentendre dans la pièce voisine, et nous nous tûmes pourécouter.

Tout d’abord la musicienne piqua quelquestouches isolées, comme si elle se demandait s’il fallaitcontinuer.

Puis, ce furent des bruits sonores,discordants, et soudain de ce chaos sortit enfin une harmoniepuissante, étrange, barbare, avec des sonorités de trompette, deséclats de cymbales. Et le jeu devenant de plus en plus énergique,devint une mélodie fougueuse, qui finit par s’atténuer ets’éteindre en un bruit désordonné comme au début.

Puis, nous entendîmes le piano se refermer, etla musique cessa.

– Elle fait ainsi tous les soirs,remarqua mon ami. C’est quelque souvenir de l’Inde, à ce que jesuppose. Pittoresque, ne trouvez-vous pas ? Maintenant ne vousattardez pas ici plus longtemps que vous ne voudriez. Votre chambreest prête, dès que vous voudrez vous mettre au travail.

Je pris mon compagnon au mot, et le laissaiavec son oncle et Copperthorne qui étaient revenus dans lapièce.

Je montai chez moi et étudiai pendant deuxheures la législation médicale.

Je me figurais que ce jour-là je ne verraisplus aucun des habitants de Dunkelthwaite, mais je me trompais, carvers dix heures l’oncle Jérémie montra sa petite tête rougeaudedans la chambre :

– Êtes-vous bien logé à votre aise ?demanda-t-il.

– Tout est pour le mieux, je vousremercie, répondis-je.

– Tenez bon. Serez sûr de réussir, dit-ilen son langage sautillant. Bonne nuit.

– Bonne nuit, répondis-je.

– Bonne nuit, dit une autre voix venantdu corridor.

Je m’avançai pour voir, et j’aperçus la hautesilhouette du secrétaire qui glissait à la suite du vieillard commeune ombre noire et démesurée.

Je retournai à mon bureau et travaillai encoreune heure.

Puis je me couchai, et je fus quelque tempsavant de m’endormir, en songeant à la singulière maisonnée dontj’allais faire partie.

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