Nouveaux Mystères et aventures

Chapitre 7

 

Pauvre Jack ! Il fut certainement trèsmalheureux ce jour-là.

Même un amoureux accueilli favorablement eûtété quelque peu désorienté, je crois, par un incident survenupendant notre retour à la maison.

Il avait été convenu que nous reviendrionstous à pied. La charrette avait été déjà renvoyée avec le paniervide, de sorte que nous prîmes par l’Allée des Épines, et ensuite àtravers champs.

Nous étions occupés justement à franchir unebarrière à claire-voie pour traverser la pièce de terre de dixacres du père Brown, quand master Cronin revint en arrière et ditque nous ferions mieux de prendre la route.

– La route ? dit Jack. C’estabsurde. Nous gagnons un quart de mille par ce champ.

– Oui, mais il y a quelque danger. Nousferions mieux de faire le tour.

– Où est le danger ? fit notremilitaire en tortillant sa moustache d’un air dédaigneux.

– Oh ! ce n’est rien, dit Cronin. Cequadrupède qui est au milieu du pré, c’est un taureau, et untaureau qui n’a pas très bon caractère. Voilà tout. Je ne suis pasd’avis de laisser aller les dames.

– Nous n’irons pas, dirent en chœur lesdames.

– Alors suivons la haie pour regagner laroute, suggéra Sol.

– Vous irez par où il vous plaira, ditJack d’un ton grognon. Quant à moi, je passe par le pré.

– Ne faites pas le fou, Jack, dit monfrère.

– C’est bon pour vous autres de penser àtourner le dos à une vieille vache ; moi je ne trouve pas.Cela blesse mon amour-propre, voyez-vous, et je vous rejoindrai del’autre côté de la ferme.

Et, ce disant, Jack boutonna son habit d’unair truculent, brandit sa canne avec jactance et entra dans laprairie de dix acres.

On se groupa près de la barrière et on suivitd’un regard anxieux les événements.

Jack fit de son mieux pour avoir l’air absorbépar la contemplation du paysage et de l’état probable du temps, caril jetait des regards autour de lui et vers les nuages d’un airpréoccupé.

Toutefois ses coups d’œil partaient du côtétaureau et y revenaient je ne sais comment.

L’animal, après avoir examiné longuement etfixement l’intrus, avait battu en retraite dans l’ombre de la haiesur un des côtés, et Jack suivait le grand axe du champ.

– Ça va bien, dis-je, il s’est écarté duchemin.

– Je crois qu’il le fait marcher, ditmaster Nicolas Cronin. C’est un animal plein de méchanceté et deroublardise.

Master Cronin finissait à peine ces mots quele taureau sortit de l’ombre de la haie, et se mit à frapper dupied en secouant sa tête noire à l’expression mauvaise.

À ce moment Jack était au milieu du pré etaffectait de ne pas remarquer son adversaire, tout en hâtant un peule pas.

La manœuvre, que fit ensuite le taureau,consista à décrire rapidement deux ou trois petits cercles.

Puis il s’arrêta, lança un mugissement, baissala tête, dressa la queue et se dirigea sur Jack de toute savitesse.

Ce n’était plus le moment de feindre d’ignorerl’existence de l’animal.

Jack regarda un instant autour de lui.

Il n’avait d’autre arme que sa petite canne,pour tenir tête à cette demi-tonne de viande en colère quiaccourait sur lui au pas de charge.

Il fit la seule chose qui fut possible, c’està dire qu’il courut vers la haie de l’autre côté du pré.

Tout d’abord Jack eut la condescendance decourir, mais ensuite il se mit à un trot tranquille, méprisant, unesorte de compromis entre sa dignité et sa crainte, chose siplaisante que, malgré notre effroi, nous éclatâmes de rire enchœur.

Peu à peu, toutefois, comme il entendait legalop des sabots se rapprocher, il hâta le pas, et finit parprendre pour tout de bon la fuite pour trouver un abri.

Son chapeau s’était envolé, les basques de sonhabit voltigeaient au vent, et son ennemi n’était plus qu’à dixyards de lui.

Quand même notre héros de l’Afghanistan auraiteu à ses trousses toute la cavalerie d’Ayoub Khan, il n’aurait puparcourir cet espace en moins de minutes.

Si vite qu’il allât, le taureau allait plusvite encore, et ils parurent atteindre la haie en même temps.

Nous vîmes Jack s’y enfoncer hardiment, et uneseconde après il en sortit de l’autre côté, d’un trait, comme s’ilavait été projeté par un canon, pendant que le taureau lançait unesérie de mugissements triomphants à travers le trou fait parJack.

Nous éprouvâmes une sensation de soulagementen voyant Jack se secouer pour se mettre en route dans la directionde la maison sans jeter un regard de notre côté.

Lorsque nous arrivâmes, il s’était retiré danssa chambre et ce fut seulement le lendemain au déjeuner qu’ilreparut, boitant et l’air fort déconfit.

Mais aucun de nous n’eut la cruauté de faireallusion à l’événement, et par un traitement judicieux nous l’eûmesremis dans son état normal de bonne humeur avant l’heure dulunch.

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