Précaution

Chapitre 32

 

LADY MERWIN. – Drôle, souviens-toi que je suis madame lamarquise.

DICK. – Payez-moi donc du moins en valet de marquise.

LADY MERWIN. – Quand tu sauras enfin le prix d’un tel titre.

Le Galant.

Un matin que Clara avait décidé ses sœurs àl’accompagner, elle et Francis, jusqu’à la ville de L***,M. Benfield et le baronnet, Mrs Wilson et sa sœur,étaient rassemblés dans le parloir : les dames s’occupaient àbroder, et les deux messieurs parcouraient les journaux deLondres.

Jane, quand elle était présente, observaittoujours la même réserve à l’égard de ses amis ; et elle setenait à l’écart, tandis qu’on n’aurait pu remarquer aucunchangement dans la conduite d’Émilie, si parfois ses regardsdistraits ou attachés à la terre n’eussent prouvé que ses penséesla reportaient auprès de celui dont elle n’osait plus prononcer lenom, même à sa tante.

Mrs Wilson, qui était assise auprès de sasœur, remarqua que leur hôte respectable était tout à coup livré àune agitation extraordinaire. Il se remuait sur sa chaise,retournait dans tous les sens le journal qu’il tenait à la main,puis le frottait avec sa manche et le relisait encore, comme siquelque article du journal était la cause de toute cette émotion,et qu’il ne pût en croire ses yeux. Enfin, il tira la sonnette avecviolence, et donna ordre qu’on lui envoyât Johnson sans perdre uninstant.

– Peter, lui dit M. Benfeldlorsqu’il entra, lisez cela ; vos yeux sont encore jeunes.

Peter prit le journal, et, après avoir mis seslunettes à sa satisfaction, il se mit en devoir d’obéir à sonmaître. Mais sa vue parut se troubler à son tour. Il s’approcha dela fenêtre, pencha le journal de côté, et parut épeler leparagraphe en lui-même. Il aurait donné ses trois cents livres derevenu pour que John Moseley eût été là, et que dans son impatienceil lui eût arraché la gazette pour lire lui-même ce mystérieuxarticle. Enfin, M. Benfield, voulant à tout prix sortir de cetétat pénible, demanda d’une voix tremblante :

– Eh bien, Peter ! mon pauvrePeter ! qu’en pensez-vous ?

– Ma foi, Votre Honneur, réponditl’intendant en le regardant de l’air le plus piteux, cela ne meparaît que trop certain.

– Je me rappelle, dit le bon vieillard,que lorsque lord Gosford vit annoncer dans les journaux le mariagede la comtesse, il… Le pauvre M. Benfield n’en put diredavantage, et se levant avec dignité, il prit le bras de son fidèleserviteur et sortit de l’appartement.

Mrs Wilson prit le journal, le parcourut,et elle eut bientôt trouvé l’article en question.

« Le 12 de ce mois, par dispensespéciale, à la résidence du très noble marquis d’Eltringham, dansle Devonshire, a été célébré le mariage de George Denbigh, écuyer,lieutenant-colonel du régiment de dragons de Sa Majesté, avec latrès honorable lady Laura Stapleton, sœur du marquis. Eltringhamfut honoré à cette occasion de la présence de Sa Grâce le duc deDerwent et du noble comte de Pendennyss, cousin du marié, ainsi quede celle de lord Henry Stapleton, capitaine de marine. On assureque l’heureux couple doit se rendre à Denbigh-Castle aussitôt aprèsle mois de miel ».

Quoique Mrs Wilson eût repoussé à jamaisl’idée de voir sa nièce devenir l’épouse de Denbigh, elle éprouvaune angoisse inexprimable à la lecture de ce paragraphe. Elle secacha la figure dans ses mains, tant elle éprouvait d’horreur ensongeant combien il s’en était peu fallu qu’Émilie n’épousât unpareil homme. Elle voyait maintenant pourquoi il avait évité deparaître au bal où il savait que lord Henry était attendu :car elle eut la même idée que John, et elle ne pouvait croirequ’une femme telle que lady Stapleton eût donné son cœur en moinsde quinze jours à un homme qui ne lui aurait pas déjà fait la courauparavant. Il y avait donc dans ce mariage un mystère qui restaitencore à éclaircir, et qui sans doute n’était pas à l’honneur deDenbigh.

Ni sir Edward ni lady Moseley n’avaient encoreabandonné toute espérance de voir Denbigh se remettre sur les rangspour obtenir Émilie, et le coup qu’ils ressentirent n’en fut queplus terrible. Le baronnet prit le journal, et après l’avoir reluen silence, il dit tout bas d’une voix tremblanted’émotion :

– Puisse-t-il être heureux ! Jesouhaite qu’elle soit digne de lui.

– Digne de lui ! pensaMrs Wilson indignée ; et prenant le journal, elle seretira dans sa chambre, où Émilie, qui était de retour de sapromenade, venait de se rendre.

Comme il fallait que sa nièce apprît cettenouvelle, elle pensa que le plus tôt serait le mieux. L’exercice etl’aimable enjouement de Francis et de Clara avaient rendu aux jouesd’Émilie une partie des vives couleurs qui les animaientordinairement, et elle accourut embrasser sa tante le sourire surles lèvres. Mrs Wilson sentit qu’il lui fallait rassemblertout son courage pour détruire de nouveau la tranquillité quisemblait renaître dans l’âme de sa nièce. Mais il n’y avait point àbalancer ; il fallait accomplir un rigoureux devoir.

– Émilie, mon enfant, lui dit-elle en lapressant contre son cœur, vous vous êtes montrée jusqu’à présenttelle que je pouvais le désirer ; et, dans les épreuvespénibles que vous avez eues à supporter, votre courage a surpassémon attente. Encore un effort, mon enfant, encore une épreuve àsoutenir, et j’ai la confiance que la blessure que je rouvre serabientôt guérie, et que nous ne reviendrons plus sur ce douloureuxsujet.

Émilie regarda sa tante d’un air inquiet,attendant avec anxiété ce qui allait suivre. Elle prit le journal,suivit la direction du doigt de Mrs Wilson, et lut l’annoncedu mariage de Denbigh.

Émilie sentit ses genoux chanceler ; ellefut obligée de s’appuyer sur une chaise. Les couleurs que lapromenade lui avait rendues disparurent de nouveau ; maisbientôt, revenant à elle, elle serra la main de sa tante, quisuivait avec anxiété tous ses mouvements, et la repoussant avecdouceur, elle alla se renfermer dans sa chambre.

Lorsqu’elle reparut, elle avait repris toutson empire sur elle-même, et elle semblait aussi calme, aussitranquille qu’auparavant. Sa tante la surveillait avec une tendreinquiétude, mais elle ne put apercevoir d’altération sensible nidans sa conduite, ni dans ses manières.

C’est qu’Émilie connaissait trop bien sesdevoirs pour n’avoir pas senti, du moment qu’elle avait cru sonamant indigne de son estime, qu’une barrière insurmontable lesséparait. Quand même Denbigh ne se fût pas marié, ils ne pouvaientjamais être unis ; et si quelques étincelles d’une affectionmal éteinte brûlaient encore dans son cœur, si même, comme elleétait parfois obligée de l’avouer, cette affection semblaitrenaître par intervalle avec autant de force que jamais, elle neformait pas pour cela d’espérance chimérique, et ne rêvait pas unbonheur qui ne pouvait jamais se réaliser.

Elle résolut de redoubler d’efforts pourbannir entièrement de son cœur des sentiments qui naguère avaientfait sa joie, mais qui se trouvaient en opposition directe avec sondevoir, sachant bien que ce serait faiblesse que de s’y abandonner,et qu’elle devait le sacrifice de son amour à son repos autant qu’àsa famille.

Mrs Wilson la regardait avec admiration.Tant de courage, tant de résignation dans un âge si tendre, etlorsque les illusions ont encore tant d’empire ! Si elle avaitlieu de regretter que, malgré sa stricte vigilance, elle se fûtlaissé tromper sur le caractère de Denbigh, elle se consolait dumoins en voyant que sa nièce avait si bien profité de ses leçons,et qu’avec l’aide de la Providence, loin de se laisser abattre,elle semblait puiser de nouvelles forces dans l’excès même de sonmalheur.

La triste impression que causa l’article dujournal s’étendit sur tous les membres de la famille ; Denbighleur était également cher, depuis qu’il avait sauvé les joursd’Émilie.

Une lettre de John, par laquelle il leurannonçait l’intention où il était de les rejoindre à Bath, pourleur demander leur consentement à son mariage avec Grace, vintheureusement faire quelque diversion à l’accablement général.M. Benfield seul semblait insensible. Il aimait John comme sonneveu, et il trouvait que Grace ferait une très bonne petitefemme ; mais ni l’un ni l’autre n’occupaient dans son cœur lamême place qu’Émilie et que Denbigh.

– Peter, dit-il un jour après s’êtreépuisé en conjectures pour découvrir ce qui avait pu faire avortersi subitement un mariage qui lui semblait immanquable, n’avais-jepas raison de vous dire que la Providence bouleverse parfois tousnos projets, pour nous apprendre à nous humilier dans cettevie ? Pourtant, Peter, si lady Juliana n’avait consulté queson inclination en se mariant, elle serait à présent maîtresse deBenfield-Lodge.

– Oui, Votre Honneur ; mais queserait devenu alors l’article de votre testament qui concerne cettechère miss Emmy ? Et Peter se retira en songeant à ce quiserait arrivé si Patty Steele avait montré plus de bonne grâcelorsqu’il avait voulu en faire Mrs Johnson ; associationd’idées qui n’était nullement rare dans l’esprit du bonintendant ; car si Patty avait jamais eu une rivale dans soncœur, c’était dans la personne d’Émilie Moseley, pour laquellePeter éprouvait le plus tendre attachement.

Mrs Wilson et Émilie avaient continuéd’aller voir Mrs Fitzgerald ; et comme il n’y avait plusd’étrangers dont la présence pût les gêner, toute la famille, en ycomprenant sir Edward et M. Yves, avait été rendre visite à lajeune veuve.

Les Jarvis étaient partis pour Londres, où ilsdevaient retrouver leur fille, qui était alors repentante sous plusd’un rapport, et sir Edward apprit avec plaisir que laréconciliation avait été complète, et qu’Egerton était reçu avecson épouse dans la maison du marchand.

Sir Edgar mourut subitement, et le colonel, àprésent sir Henry, hérita de son titre et des biens qui y étaientsubstitués ; mais la plus grande partie de la fortune dudéfunt se composait de biens meubles dont sir Edgar avait pudisposer à son gré, et qu’il avait légués à un autre de ses neveuxqui venait d’entrer dans les ordres.

Mrs Jarvis fut indignée de voir ravir àsa fille une partie de l’héritage auquel il lui semblait qu’elleavait des droits incontestables ; mais elle se consola ensongeant au nouveau titre de son gendre, et au plaisir qu’elleaurait à entendre appeler Marie lady Egerton. Sa fille partageaitson ivresse, et son plus grand désir était de se trouver avec lesMoseley dans quelque endroit où l’on observât les lois ducérémonial, afin de pouvoir prendre le pas sur eux. Elle ne sesentait pas d’aise lorsque, dans quelque grande assemblée, onvenait annoncer :

– La voiture de lady Egerton est à laporte ; et cependant lady Egerton n’avait pas de voiture àelle. Ce fut même l’objet d’une discussion assez plaisante qui eutlieu quinze jours après la réconciliation de Marie avec safamille.

Mrs Jarvis avait une fort jolie voitureque son mari lui avait donnée pour son usage personnel. Convaincueque le baronnet, titre dont le colonel jouissait depuisvingt-quatre heures, n’avait pas le moyen de donner un carrosse àson épouse, elle forma la résolution magnanime de lui abandonner lesien, pour aider sa fille à soutenir dignement sa nouvellegrandeur. En conséquence il s’établit une consultation entre lesdeux dames sur les changements qu’il faudrait faire à lavoiture.

– D’abord, dit lady Egerton, il est denécessité absolue de changer les armes pour y substituer celles desir Henry, avec la main sanglante et les six quartiers :ensuite il fallait commander de nouvelles livrées.

– Oh ! mon Dieu, Milady, si lesarmes sont changées, M. Jarvis s’en apercevraitinfailliblement ; il ne me le pardonnerait jamais, etpeut-être…

– Eh bien ! peut-être ? s’écriala jeune dame en secouant dédaigneusement la tête.

– Ma foi, il pourrait bien ne pas medonner les cent guinées qu’il m’a promises pour la faire peindre àneuf, reprit la mère avec quelque chaleur.

– Comme il vous plaira, Mrs Jarvis,dit la nouvelle lady avec beaucoup de dignité ; mais j’entendsque ma voiture porte mes armes et la main sanglante.

– En vérité, vous n’êtes pas raisonnable,dit Mrs Jarvis d’un air mécontent ; puis elle ajoutaaprès un moment de réflexion :

– Est-ce aux armes ou bien à la mainsanglante que vous tenez, ma chère ?

– Oh ! je me soucie fort peu desarmes ; mais je suis bien résolue, maintenant que je suisl’épouse d’un baronnet, Mrs Jarvis, de faire peindre sur mavoiture l’emblème de mon rang.

– Assurément, Milady, c’est avoir lesentiment de sa dignité. Eh bien donc, nous mettrons la mainsanglante au-dessus des armes de votre père, et il n’y fera pasattention, car il ne regarde jamais ces sortes de choses.

Cet arrangement fut adopté, et dès lelendemain la voiture de Mrs Jarvis fut décorée de l’emblème sidésiré. Tout alla pour le mieux pendant quelques jours, etMrs Jarvis s’applaudissait tout bas du succès de sa ruse.Mais, un malheureux jour, le marchand, qui était dans l’usaged’aller à la Bourse toutes les fois qu’il devait s’y faire quelquegrande opération, rentra brusquement chez lui pour chercher uncalcul que le dimanche précédent il avait fait sur son livre deprières pendant le sermon ; il le découvrit après quelquesrecherches, descendit précipitamment, et, trouvant la voiture de safemme à la porte, il y monta pour se rendre chez son banquier.

M. Jarvis oublia de dire au cocher de nepoint l’attendre, et pendant plus d’une heure l’équipage dont lespanneaux portaient la main sanglante resta arrêté dans l’une desrues les plus fréquentées de la Cité. Aussi quelle fut sa surpriselorsque, de retour chez lui, il voulut examiner le compte que luiavait remis son banquier, de lire en tête : Compte courant desir Timothée Jarvis, baronnet, avec John Smith.

Sir Timothée tourna le papier dans tous lessens, et il le relut autant de fois que M. Benfield avait relule paragraphe relatif au mariage de Denbigh, avant de pouvoir encroire ses yeux. Lorsque enfin il fut bien assuré du fait, ilsaisit son chapeau, et sortit pour aller trouver l’homme qui avaitosé l’insulter, et se permettre de pareilles plaisanteries aumilieu d’affaires aussi sérieuses. À peine avait-il fait quelquespas, qu’il rencontra un de ses amis qui l’appela par son nouveautitre. Une explication s’ensuivit, et le baronnet sans le savoir serendit droit à la remise.

Pour le coup la vérité lui fut dévoilée. Ilfit appeler sa femme ; et, pour toute punition, la brosse dupeintre effaça sous ses yeux le malheureux emblème des panneaux dela voiture.

Tout cela fut fort facile, mais ses amis de laBourse et de la Cité n’en continuèrent pas moins à l’appeler sirTimothée, et, soit oubli, soit malice, ce nom lui resta.

M. Jarvis n’avait aucune ambition, maisil voulut se venger, et il résolut de mettre les rieurs de soncôté.

Un bourg récemment acheté ayant fait uneadresse où respirait le dévouement au roi, il se chargea de laprésenter lui-même.

Le bon marchand se mettait rarement à genoux,même devant son Créateur ; mais dans cette occasion il fléchitrespectueusement le genou devant son souverain, et il sortit dupalais avec le droit de porter à jamais le titre que ses vieillesconnaissances de la Bourse persistaient à lui donner pardérision.

Il est plus facile de se figurer que dedécrire les transports de joie que lady Jarvis fitéclater. Il n’y avait que le prénom qui la tourmentât un peu ;mais, par une licence bien permise, elle le raccourcit de manière àen faire le nom plus doux et plus harmonieux de sir Timo. Deuxdomestiques furent renvoyés, dès le second jour, parce que, peuhabitués aux nouveaux titres, ils l’avaient appeléemistress. Quant à son fils le capitaine, qui était alorsen voyage, on s’empressa de lui écrire pour lui apprendre cettegrande nouvelle.

Pendant ce temps sir Henry Egerton neparaissait que rarement dans la famille de sa femme ; il avaitsa société particulière, et il passait la plupart de ses soiréesdans une célèbre maison de jeu. Cependant Londres devenait désert,et lady Jarvis et ses filles, après avoir eu la condescendanced’aller faire des visites de cérémonie à leurs anciennesconnaissances de la Cité, pour y faire étalage de leurs titres etde leurs nouvelles grandeurs, dirent à sir Timo qu’elles nepouvaient tarder davantage à se rendre à Bath, et quelques joursaprès toute la famille y était établie.

Lady Chatterton était venue avec Grace habiterla maison de son fils. John Moseley les y avait suivies, plusheureux, plus épris que jamais ; et il reçut bientôt unelettre de son père qui le priait de lui retenir un logement pourlui et sa famille.

Lord et lady Herriefield étaient partis pourle midi de la France, et Catherine, éloignée de ses parents et deslieux où se rattachaient les doux souvenirs de ses premièresannées, se trouvant seule avec un homme qu’elle n’aimait point,pour lequel elle n’avait même pas d’estime, commença à sentir qu’untitre et une grande fortune ne suffisent pas pour assurer lebonheur.

Lord Herriefield était d’un caractère dur etnaturellement soupçonneux ; mais la position de sa fille aînéene donnait aucune inquiétude à la douairière intrigante, qui,croyant avoir tout fait pour elle en lui ménageant un si brillantmariage, s’applaudissait du résultat de ses manœuvres.

Une fois ou deux, l’habitude l’emportant surla prudence, elle s’était efforcée de faire avancer de quelquesjours l’époque fixée pour le mariage de Grace ; mais Johnavait pris aussitôt l’alarme, et son absence pendant vingt-quatreheures l’avertit du danger de blesser en aucune manière unesusceptibilité poussée aussi loin.

Dans ces occasions John se punissait autantque la douairière ; mais le sourire de Grace lorsqu’elle lerevoyait, sa main qu’elle posait franchement dans la sienne, nemanquaient jamais d’effacer l’impression désagréable queproduisaient les artifices de la mère.

Les Chatterton et les Jarvis se rencontrèrentbientôt dans les assemblées, et l’épouse du baronnet, s’approchantde la douairière, avec ses deux filles, lui fit le salut le plusamical.

Lady Chatterton, qui ne se souvenaitréellement pas de l’avoir vue à B***, rougissant de paraître connued’une personne qui avait un air aussi commun, se retira d’un pas enarrière, en lui rendant son salut d’un air de dignité.

La femme du marchand ne se rebuta pas ;elle tenait trop à passer pour l’amie d’une dame de qualité ;et, soupçonnant avec raison que la douairière ne la remettait pas,elle ajouta, avec un sourire prétentieux, tel qu’elle en voyaitsouvent faire avec succès dans le monde :

– Je suis lady Jarvis, Milady, vous savezbien, lady Jarvis du Doyenné, à B***, dans le comté de Northampton.Permettez-moi de vous présenter mes filles, lady Egerton et missJarvis.

Lady Egerton baissa à peine la tête, et seredressa aussitôt avec fierté, quoique la douairière eût enfindaigné prendre un air plus gracieux ; mais sa jeune sœur, serappelant qu’il y avait un jeune lord dans la famille, se montrabeaucoup plus affable, et elle se fût volontiers inclinée jusqu’àterre, tant il lui tardait de devenir une grande dame comme sasœur.

– J’espère que sir Edward se porte bien,ajouta lady Jarvis. Combien je regrette que sir Timo, mon époux,sir Henry, mon gendre, et mon fils le capitaine, ne soient pas icipour vous présenter leurs hommages ! Mais heureusement nousnous reverrons plus d’une fois, et c’est une occasion qui n’est quedifférée.

– Sans doute, Madame, répondit ladouairière ; et voyant passer une dame de ses amies, ellecourut à elle pour éviter une plus longue conversation avec despersonnes qui semblaient être sur un pied fort équivoque dans lemonde, et avec lesquelles elle rougissait d’être aperçue.

Telle est la tyrannie que l’opinion des autresexerce sur nous, qu’il n’en est ni de plus absolue, ni de plusredoutée. De là l’influence de la mode sur toutes nos actions. Unepersonne est à la mode, c’est assez : tout le monde larecherche, et personne ne s’informe de son mérite. La mode estchangeante, capricieuse, bizarre ; quelques fous, quelquesoisifs en sont les coryphées : on n’ose appeler de leursarrêts, et voilà où nous conduit l’erreur que nous commettons deprendre l’homme au lieu de Dieu pour juge de nos opinions et denotre conduite !

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