Précaution

Chapitre 41

 

Tout n’est pas gain dans le jeu caché d’une fausse modestie ;supposez qu’on vous prenne au mot : il a donc des aïeux !Pourquoi n’en rien dire, s’il vous plait ? Il s’exposaitvraiment à passer pour un sot.

FORD.

La famille du baronnet voyait très souventlady Henriette, que son mariage avec Chatterton et ses qualitésaimables lui avaient rendue également chère. Le jeune lord, sevoyant obligé d’aller à Windsor où l’appelaient les devoirs de sacharge, pria Mrs Wilson et Émilie, qui était devenue lafavorite de sa nouvelle cousine, de venir passer quelques instantsavec la pauvre veuve. Elles le lui promirent volontiers, et le jourmême de son départ elles se rendirent chez Henriette à l’heure dudéjeuner. Chatterton prit congé d’elles, après leur avoir exprimécombien il regrettait d’être forcé de les quitter et les avoirremerciées de vouloir bien tenir compagnie à sa femme.

Lady Henriette avait apporté une fortune assezconsidérable à son mari ; et celui-ci, ayant pourvulibéralement à l’établissement de ses sœurs, jouissait d’uneaisance et d’un bonheur auxquels il était depuis longtempsétranger. Ses revenus lui permettaient d’avoir un grand train, etde prévenir tous les désirs de sa femme ; et Henriette, quiunissait aux qualités les plus brillantes des avantages plussolides, avait établi le plus grand ordre dans toute sa maison.

– Mrs Wilson, dit sa jeune hôtesseen lui versant une tasse de thé, et après avoir jeté un dernierregard sur Chatterton qui s’éloignait, savez-vous que je suis aumoment de marcher sur les traces de miss Harris et de me faireentremetteuse de mariages ?

– Et pour qui donc ? demanda laveuve en souriant.

– Pour qui ? pouvez-vous me ledemander ? pour notre chère petite Émilie.

– Pour moi ! s’écria Émilie entressaillant, et sortant d’une profonde rêverie sur la perspectivedu bonheur qui s’ouvrait pour lady Laura, vous êtes trop bonne,Henriette ; mais pourrais-je savoir à qui votre imagination medestine ? ajouta-t-elle en s’efforçant de sourire.

– À qui, mon Émilie ? au seul hommequi soit digne de vous, à mon cousin Pendennyss. Ah ! dit-elleen riant et en lui prenant la main, il y a longtemps que Derwent etmoi nous avons arrangé cette affaire, et je suis sûre que vousserez de notre avis, dès que vous le connaîtrez.

– Le duc de Derwent ! s’écrial’innocente Émilie avec surprise, et ses joues se couvrirent d’unevive rougeur.

– Oui, le duc, reprit la jeune ladyChatterton ; vous trouvez singulier, je le vois, qu’un amantrebuté dispose si vite de sa maîtresse, mais nous avons pris cetteaffaire à cœur. Le comte est arrivé la nuit dernière, et sa sœur etlui doivent dîner aujourd’hui familièrement avec nous. Ehbien ! ma chère miss Wilson ! ne vous avais-je paspréparé une agréable surprise ?

– Oh ! bien agréable, je vousassure, répondit la veuve enchantée, et pouvant à peine sepersuader qu’elle allait voir enfin celui qu’elle désiraitconnaître depuis si longtemps. Mais d’où arrive-t-il ?

– Du comté de Northampton, où il vientd’acheter un joli manoir… mon Dieu, tout près de chez vous, à cequ’on m’a dit, et vous voyez qu’il entre d’avance dans nosvues.

– Il est vrai, dit Émilie en plaisantant,que l’acquisition du Doyenné m’en paraît une preuveconvaincante ; mais le comte manquait-il donc de maisons, pouracheter celle-là ?

– Non, certainement : sans parler deson hôtel à Londres, qui est un véritable palais, il a troischâteaux qu’il tient de ses ancêtres, et qui, plus grands, plusmagnifiques les uns que les autres, sont situés dans les contréesles plus pittoresques du royaume ; mais il n’en avait pointdans le Northampton, dit Henriette en riant. À dire vrai, il offrità George Denbigh d’aller habiter le Doyenné pendant l’étéprochain ; mais le colonel désire ne pas s’éloignerd’Eltringham ; Pendennyss le sait, et je pense que cette offren’était qu’une ruse pour mieux cacher ses projets. Maintenant quevous connaissez aussi les nôtres, Émilie, vous devez juger que nouslui avons épargné vos louanges, pendant que nous étions avec luidans le Westmoreland.

– Et le colonel Denbigh est-il àLondres ? demanda Mrs Wilson en jetant un coup d’œilinquiet sur Émilie, qui changeait de couleur en dépit de tous sesefforts.

– Oui, Madame, et Laura est aussiheureuse…, aussi heureuse que moi, dit Henriette. Et sa femme decharge étant venue lui demander ses ordres, elle sortit du salonavec elle.

Tandis que ses deux amies, assises en silence,étaient plongées dans leurs réflexions, elles entendirent frapper àla porte de la maison ; on l’ouvrit, et les pas parurent sediriger vers l’appartement où elles étaient. Un domestique enouvrit la porte, et avant d’entrer quelqu’un lui dit :

– C’est très bien ; ne dérangez pasvotre maîtresse, je ne suis pas pressé.

Au son de cette voix bien connue, les deuxdames tressaillirent ; elles ne pouvaient se tromper :ici ce n’était plus l’effet de la ressemblance ; c’était biensa voix ; il était impossible de s’y méprendre. À peineavaient-elles eu le temps de faire ces réflexions rapides que leursdoutes furent dissipés : celui qui avait parlé entra :c’était Denbigh.

Il s’arrêta et resta un moment immobile commeune statue ; il était évident que la surprise était mutuelle.Il devint très pâle, puis un instant après ses joues se couvrirentd’une vive rougeur ; il s’approcha de celles qu’il s’attendaitsi peu à voir, et leur dit d’une voix douce et tremblante.

– Que je suis heureux !… Combien jeremercie le ciel d’une rencontre si agréable et si inespérée !et il demanda avec empressement des nouvelles de la famille dubaronnet.

Mrs Wilson le salua sans rienrépondre ; et Émilie, pâle comme la mort, se laissa retombersur le sopha sans lever les yeux, et sans oser essayer de prononcerun seul mot, dans la crainte de trahir son émotion.

Après avoir lutté un moment pour surmonter ladouleur que lui causait un semblable accueil, Denbigh quittavivement le siège qu’il avait pris, et, se rapprochant des deuxdames, il dit avec énergie, mais d’un ton suppliant :

– Chère Mrs Wilson, et vous,aimable… trop aimable Émilie, une seule imprudence, une supercherieque je croyais bien innocente me fera-t-elle perdre pour toujoursvotre amitié ? Derwent m’avait laissé espérer que vous aviezencore quelque estime pour moi.

– Le duc de Derwent ! monsieurDenbigh ?

– Oh ! chère Mrs Wilson ;je vous en prie, ne me donnez plus un nom qui m’est devenu presqueodieux.

– Si vous ne pouvez plus entendreprononcer votre nom sans rougir, je vous plains, ditMrs Wilson d’un air grave, mais…

– De grâce, ne me rappelez pas ma folie,interrompit-il vivement ; n’en ai-je pas été assez puni ?Daigner m’appeler par mon titre.

– Votre titre ! s’écriaMrs Wilson étonnée. Émilie leva la tête et lui montra sestraits décomposés, sur lesquels une vive rougeur venait deremplacer une pâleur mortelle. Ses yeux, fixés sur lui dansl’attente de ce qu’il allait répondre, semblaient lancer deséclairs.

– Que voulez-vous dire ? demandaDenbigh ; y a-t-il encore entre nous quelque fâcheuse erreurque j’ignore ? et prenant la main de Mrs Wilson, il lapressa tendrement entre les siennes en ajoutant :

– Par pitié ne me laissez pas dans cettecruelle incertitude !

– Pour l’amour de la vérité, par égardpour moi, pour notre bonheur à tous, répondezsincèrement :

– Qui êtes-vous ? ditMrs Wilson d’un ton solennel.

En retenant toujours sa main, il fléchit legenou devant elle, et répondit sur le même ton :

– Je suis l’élève, le fils d’adoption devotre mari, le compagnon de ses dangers, celui qui partagea tousses plaisirs et toutes ses peines, je suis le comte dePendennyss.

Mrs Wilson posa sa tête sur l’épaule dujeune homme agenouillé devant elle ; elle le serra contre soncœur et fondit en larmes ; pendant quelques moments ils furenttout entiers à leurs souvenirs ; mais un cri de Pendennyssrappela la veuve à la situation de sa nièce.

Émilie était tombée évanouie sur le sopha.

Une heure se passa avant que lady Chattertonparvînt à se débarrasser des importuns qui l’empêchaient de rentrerdans le salon, où elle fut très étonnée de trouver le comte. Aprèsles avoir tous regardés avec surprise, Henriette s’écria :

– À merveille ! il me paraît quevous ne vous gênez pas. Depuis combien de temps Votre Seigneuriehonore-t-elle ma maison de sa présence, et comment avez-vous prisla liberté de vous présenter vous-même à Mrs Wilson et à missMoseley ?

– Point de gêne et liberté entière, c’estla devise du jour, vous le savez, ma chère cousine ; aussi ya-t-il une heure que je suis ici, et que, ne vous voyant pas làpour faire les honneurs de votre maison, j’ai pris la liberté de meprésenter moi-même à Mrs Wilson et à miss Moseley…

En prononçant ces derniers mots avec unegravité comique, un sourire expressif vint animer les traits dePendennyss, et Émilie jeta sur lui un regard où la malice se mêlaità la joie : elle sentait son cœur pénétré du même bonheur quiavait marqué tous les jours de son heureuse enfance.

Lady Chatterton les regardait tour à tour,étonnée de l’expression singulière qu’elle remarquait sur toutesles physionomies, et surtout du changement qui s’était opéré depuisune heure dans les manières de ses deux amies. Après avoir écoutéquelque temps leur conversation, dans l’espoir de s’instruire de lacause d’une transition si subite, elle s’écria tout àcoup :

– Sur ma parole, vous êtes tous des êtresincompréhensibles ; je laisse ces dames seules, et je lesretrouve avec un beau jeune homme ; elles avaient encore desfigures graves et sérieuses, sinon mélancoliques, je les revoisrayonnantes de gaieté et de bonheur. Je les surprends avec un hommequ’elles n’ont jamais vu, et elles lui parlent de promenades faitesensemble, d’amis communs, de plaisirs passés : de grâce, chèreMrs Wilson, et vous, Milord, vous connaissez la curiosité desfemmes, ne prolongez pas plus longtemps mon supplice.

– Non, s’écria le comte avec gaieté, pourpunir cette curiosité, que vous n’avouez que pour nous engager à lasatisfaire, je ne vous dirai pas le mot de l’énigme ; mais masœur m’attend chez votre voisine, Mrs Wilmot, et il faut queje la rejoigne : nous serons ici tous deux à cinq heures. Etse levant avec vivacité, il prit la main que lui tendaitMrs Wilson et la porta à ses lèvres ; puis s’arrêtantdevant Émilie, dont les joues auraient pu disputer l’éclat avec larose, il prit aussi sa main, la posa quelques instants sur soncœur, la baisa avec respect, et s’enfuit précipitamment pour cacherson émotion. Émilie, ne pouvant réussir à maîtriser la sienne, seretira un moment dans la chambre voisine, pour y verser en libertéquelques larmes. Celles-là du moins étaient sans amertume ;elles provenaient d’un excès de bonheur.

L’étonnement d’Henriette allait toujourscroissant, et son inquiétude serait devenue trop pénible, siMrs Wilson ne se fût empressée de lui témoigner une confiancedont son amitié pour Émilie la rendait si digne ; elle luiraconta en peu de mots le changement de nom du jeune comte, dontelle ignorait encore le motif, et les quiproquo fâcheux qui enétaient résultés.

– N’est-il pas désagréable, dit ladyChatterton gaiement, tandis qu’une larme brillait dans ses yeux,que des plans aussi bien combinés que ceux que nous avions formésavec Derwent deviennent tout à coup inutiles et soient perdus pourla postérité ! Émilie en aurait trompé de plus fins avec sonpetit air posé ; mais mon rigide cousin ! oh ! commeje vais le gronder de sa supercherie !

– Je crois qu’il se repent déjàsincèrement de l’avoir employée, dit Mrs Wilson en souriant,et son erreur est assez punie par les suites qu’elle a eues pourson repos : quatre mois de souffrances sont un châtiment biensévère pour un amant.

– Oui, répondit Henriette avec un souriremalin, s’il avait souffert seul ; mais une autre a partagé lapeine qu’elle n’avait point méritée, et il peut compter que je nel’épargnerai pas.

L’intérêt qu’Henriette prenait à son amieétait encore augmenté par la découverte inattendue de l’amourmutuel qui l’unissait à Pendennyss ; et, quoique ce dernierfût absent, les heures, qui s’écoulèrent jusqu’à celle de sonretour ne parurent aux trois amies qu’un rapide enchantement. LadyChatterton déclarait que, malgré son amitié pour son frère, ellepréférait qu’Émilie devint la femme de Pendennyss, qui seul étaitdigne d’elle. Mrs Wilson se sentait mille fois plus heureusequ’elle n’avait jamais espéré l’être en voyant se réaliser dessouhaits que son âge, sa philosophie, et même la religion,n’avaient pu l’empêcher de former. Les yeux d’Émilie brillaientd’un nouvel éclat, et son cœur battait d’espérance et debonheur.

À l’heure indiquée, le bruit d’une voitureannonça l’arrivée du comte et de sa sœur.

Pendennyss entra dans le salon en donnant lebras à une jeune personne très délicate, mais douée d’une grandebeauté ; il la présenta à Mrs Wilson, comme lady MarianneDenbigh, sa sœur ; et la douceur et l’affabilité de Mariannefirent bientôt oublier à ses nouvelles connaissances qu’elles lavoyaient pour la première fois. Quoique Émilie eût une confianceentière dans l’honneur et la véracité de son amant, elle éprouva unvif sentiment de joie en l’entendant donner à sa sœur le nom deMarianne. L’amour est une passion si inquiète, si tyrannique, qu’ilveut régner en despote sur le cœur qu’il asservit ; il estjaloux même des apparences, et le seul remède des soupçons inquietsqui l’agitent continuellement ne se trouve que dans une confiancemutuelle, charme le plus doux d’une union bien assortie.

Lorsque cette Marianne, qu’elle avait trouvéelongtemps si formidable, s’approcha pour la saluer, Émilie se leva,les yeux brillants de joie, pour serrer la main qu’elle luioffrait. Marianne la regarda un moment avec attention ; etjetant ses bras autour du cou d’Émilie, elle la pressa sur soncœur, et lui dit tout bas et du ton le plus tendre :

– Ma sœur, ma sœur bien-aimée !

Émilie se sentait émue jusqu’aux larmes ;Pendennyss sépara doucement les deux êtres qu’il chérissait le plusau monde, et elles eurent bientôt repris assez de calme pour semêler à la conversation.

Lady Marianne ressemblait beaucoup à sonfrère, elle avait aussi un air de famille avec sa cousineHenriette ; mais ses manières étaient plus douces et plusréservées, et ses jolis traits avaient presque toujours uneexpression de mélancolie.

Dès que son frère parlait, elle se taisaitaussitôt, non par crainte, mais par suite de l’admiration qu’elleavait pour lui ; elle le regardait comme le meilleur et leplus parfait des hommes, et son attachement était payé du plustendre retour.

La tante et la nièce examinaient attentivementles manières du comte, et elles trouvaient quelque différence entrece qu’il était et ce qu’il avait été. N’étant plus soumis à unedissimulation qui était hors de son caractère, il déployait cetteamabilité, cette aisance que donne l’habitude du grand monde, sansrien perdre cependant de cette sincérité qui était empreinte danstoutes ses actions.

Si Pendennyss avec son air franc et ouvert eûtdit à Mrs Wilson : Je suis innocent, elle n’aurait pus’empêcher de le croire, et une explication bien simple leur eûtépargné quatre mois de chagrins ; mais, s’imaginant que lemécontentement de la veuve ne provenait que de la découverte de sasupercherie (découverte qu’elle aurait faite si elle eût continuél’examen du portefeuille), le sentiment de ses torts et de la rusequ’il s’était permise l’empêcha de rien dire pour sa défense.

Il avait perdu cet air d’embarras etd’inquiétude qui bien des fois avait alarmé la tante, mais il avaitencore cette douceur, ce respect, cette noble modestie, qui luiavaient assuré son amitié et son estime.

Ce léger changement enchantaitMrs Wilson ; Émilie, au contraire, habituée à voir à sonamant un air timide et réservé, fut quelques jours à s’habituer àla gaieté et à l’aisance du comte. Denbigh lui avait paru l’idéalde la perfection, comment aurait-elle pu désirer qu’ilchangeât ?

Lady Marianne, ne prévoyant pas le plaisir quil’attendait chez Henriette, avait promis à sa cousine lady Laura del’accompagner à une fête qu’on donnait le soir même, et elle avaitdemandé sa voiture de bonne heure. Désirant rester le plus tardpossible avec ses nouvelles amies, elle les supplia d’y monterainsi que Henriette, et de l’accompagner à Annerdale-House, où ladyLaura devait venir la prendre ; Henriette y consentit, etaprès avoir laissé un billet pour Chatterton, ils partirent tousensemble.

Annerdale-House était un des plus beaux hôtelsde Londres ; il avait été bâti dans le dernier siècle, et entraversant ses grands et riches appartements Émilie sentit unmoment son cœur se serrer ; mais un coup d’œil jeté surPendennyss la réconcilia avec une magnificence à laquelle elleavait été jusqu’alors étrangère. En le voyant dans ces beaux lieux,on ne pouvait douter qu’il n’en fût le maître ; mais il enexerçait la domination avec tant de douceur et de bonté ; ilétait si aimable, si attentif pour elle, qu’avant de quitter lamaison, Émilie commençait à croire qu’on pouvait goûter le bonheurau sein de la splendeur et du luxe.

Bientôt après leur arrivée, on annonça lecolonel Denbigh et lady Laura ; et l’homme dont la veilleencore le nom seul eût fait pâlir Émilie entra dans le salon. Ilressemblait encore plus à Pendennyss que le duc de Derwent, et ilparaissait à peu près du même âge.

Mrs Wilson vit bientôt qu’elle n’avaitplus besoin de plaindre lady Laura, comme elle l’avait fait biendes fois, depuis qu’elle la croyait la femme du lâche suborneur deJulia. Le colonel était un homme du meilleur ton, aimable,spirituel, et qui paraissait adorer sa femme. Tous ses parentsl’appelaient George, et il donnait souvent au comte ce nom qui leurétait commun.

La conversation étant tombée sur un buste degrand prix que possédait Pendennyss, les dames, qui ne leconnaissaient pas, manifestèrent le désir de le voir, et l’on passadans la grande et magnifique bibliothèque du comte. Émilieparcourait les titres des beaux ouvrages qu’elle renfermait,lorsque ses yeux en rencontrèrent un qui attira sonattention ; souriant et rougissant tout à la fois, elle setourna vers Pendennyss, qui suivait tous ses mouvements, et ellelui dit avec enjouement :

– Ayez pitié de mon embarras, etpermettez-moi de vous emprunter ce volume.

– Très volontiers, répondit-il ;quel est l’ouvrage que vous désirez lire ? Mais Émilie avaitpris le volume, et l’avait caché dans son mouchoir. Le comteremarquant que, tout en plaisantant, Émilie voulait lui déroberl’objet de sa curiosité, jeta les yeux sur la case d’où elle avaittiré le tome en question ; il devina aussitôt son motif, ilsourit, et lui dit en lui présentant un autre livre :

– Je ne suis pas pair d’Irlande, maispair d’Angleterre, Émilie, et vous vous êtes trompé de volume.Celle-ci ne put s’empêcher de rire à son tour en se voyantdécouverte, tandis que le comte, ouvrant le livre qu’il tenait à lamain, et qui n’était autre que le premier tome de laPairie[6], de Debrett, lui indiqua l’article où ilétait question de sa famille, et dit à Mrs Wilson quis’approchait d’eux :

– Demain, ma respectable amie, jesolliciterai votre attention pour une histoire bien triste, maisqui, je l’espère, atténuera un peu ma faute à vos yeux. En disantces mots, il alla rejoindre le reste de la compagnie pour détournerson attention, tandis qu’Émilie et sa tante lisaient le paragraphesuivant.

– George Denbigh, comte de Pendennyss,baron Lumley, de Lumley-Castle, baron Pendennyss, Beaumaris etFitzwalter, né le…, de…, dans l’année de…

La liste des comtes et des barons remplissaitplusieurs pages, mais le dernier article était ainsiconçu :

« George, vingt-unième comte du nom,succéda à sa mère Marianne, comtesse de Pendennyss, de son chef,étant né de son mariage avec George Denbigh, écuyer, cousin germainde Frédéric, neuvième duc de Derwent, héritier présomptif.

« Le titre et le domaine de Pendennyssn’étant point substitués passeront à Marianne Denbigh, sœur ducomte, si Sa Seigneurie meurt sans laisser d’enfants. »

Ces derniers paragraphes ayant expliqué, engrande partie, ce qui a pu paraître mystérieux dans cette histoire,nous allons maintenant raconter à nos lecteurs, d’une manièresuivie, les détails que Pendennyss donna en différentes fois à sesamis sur sa famille et sur ses ancêtres.

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