Précaution

Chapitre 46

 

Necroyez pas ce qu’on vous a dit de ma démence ; ma tête estsaine ; mais, hélas ! mon cœur ne pouvait braver laviolence d’une semblable douleur.

CRABBE. Le Maniaque.

À l’époque où la santé de lady Pendennyssavait éprouvé une altération si sensible, à la suite de sescouches, les médecins avaient prescrit le changement d’air comme lemeilleur remède à son mal ; et Denbigh revenait avec sonépouse d’une excursion qu’il avait été faire dans le nord del’Angleterre, dans le vain espoir de la distraire et de la guérir,lorsque, surpris par un orage, ils furent obligés de chercher unabri dans la première maison qui s’offrit. C’était une petite fermedont les habitants firent tous leurs efforts pour recevoir de leurmieux leurs hôtes ; un feu fut allumé dans la meilleurechambre, et la bonne ménagère se mit sur-le-champ en devoir de leurpréparer un modeste repas.

La comtesse et son mari étaient assis à côtél’un de l’autre, livrés à une sorte de mélancolie inquiète, quidepuis quelque mois ne les quittait plus, lorsque, dans un momentoù l’orage grondait avec moins de violence, une voix qui semblaitvenir de la pièce voisine commença la ballade suivante. L’air étaitlent, monotone, mais d’une douceur toute particulière ; et lesparoles étaient prononcées si distinctement, que les nouveaux hôtesn’en perdirent pas une seule.

Je vois se consumer ma vie

Dans des tourments affreux, dans d’amères douleurs,

Sans que de mes maux attendrie,

La pitié sur mon sort répande quelques pleurs.

Jamais je ne connus les soins si doux d’un père !

Je ne suis né que pour souffrir.

Vous m’avez repoussé, vous aussi, vous, ma mère ;

Consolez-vous… je vais mourir !

Toi que j’aimais avec ivresse,

Qui ne parus m’aimer que pour mieux me trahir,

Marianne, vois ma faiblesse ;

Malgré ton abandon, je ne puis te haïr !

Sans le savoir, hélas ! une main toujours chère

Fut l’instrument, de mon malheur ;

Puisses-tu ne jamais éprouver, ô mon frère !

Les maux qui déchirent mon cœur !

Mais paix ! un nouveau jour m’éclaire ;

Paix ! je crois entrevoir le terme de mes maux.

Silence ! à ma longue misère

Va succéder enfin un éternel repos…

Tout à coup la voix s’arrêta. Les femmes de lacomtesse s’étaient approchées de la porte pour mieuxentendre ; le valet de Denbigh, occupé à préparer la table,était resté immobile et retenait son haleine. L’infortuné avaitcessé de chanter que tous écoutaient encore, tant la tristemélancolie de ses accents les avait intéressés.

Denbigh lui-même s’était élancé de sa chaisedès que les premiers sons avaient frappé ses oreilles ; ettant que la voix se fit entendre, il resta debout, l’œil fixe, lesmains tremblantes, comme frappé d’une muette stupeur. Tout à coupil court à la porte, l’ouvre précipitamment, et là, sous une espècede hangar qui l’abritait à peine contre la fureur de la tempête, ilvoit assis sur une pierre, couvert des plus misérables lambeaux, ladémence peinte dans tous les traits, le frère qu’il a si longtempspleuré, Francis.

Les paroles de la complainte étaient tropclaires pour avoir besoin d’explication : l’affreuse véritéversait autour de George des torrents de lumière dont il ne pouvaitsupporter la violence… Il voyait tout… il sentait tout… ; et,se précipitant aux pieds de son frère, il s’écria, saisi d’horreur,en serrant ses mains fortement entre les siennes :

– Francis ! mon cher frère ! neme reconnaissez-vous pas ?

Le maniaque le regarda d’un air égaré. Lavoix, les traits de son frère semblaient avoir rallumé dans son âmequelques étincelles de raison. Il se leva, alla droit à lui, etécartant avec la main les cheveux de George, pour voir son front enentier, il le considéra quelques instants en silence ; puis,d’une voix que les faibles souvenirs qui se réveillaient dans sonâme rendaient encore plus douce, il se remit à chanter.

Voilà sa noble chevelure,

Son front, ses traits si doux, son regardenchanteur !…

Comblé des dons de la nature,

De Marianne, hélas ! il m’a ravi le cœur.

C’est lui !… Mais tout à coup la lumièreaffaiblie…

Je ne vois plus rien… tout est noir…

À peine ai-je entrevu le matin de la vie

Infortuné ! déjà le soir !

Le soir !… Eh bien ! quel vain délire…

Profitons des instants… et vous qui m’écoutez,

Pourquoi verser des pleurs ! insensés ! il fautrire…

Allons, imitez-moi, chantez !

À ces mots, le maniaque laisse retomber lamain de son frère ; ses traits se contractent, et il pousse unéclat de rire effroyable.

– Francis ! ô Francis ! monfrère ! s’écria George dans l’amertume de sa douleur. Tout àcoup un cri perçant qui retentit jusqu’au fond de son âme lui faittourner les yeux vers la porte qu’il vient de franchir, et sur leseuil il voit étendue sa femme sans connaissance. Le mari désespéréoublie tout pour ne s’occuper que de sa Marianne ; il lasoulève dans ses bras, il cherche à la réchauffer contre soncœur :

– Ô Marianne ! s’écrie-t-il, machère Marianne, reviens à toi ! Ouvre les yeux,regarde-moi !

Francis l’a suivi ; il est à ses côtés,et il examine attentivement le corps inanimé. Son œil est moinshagard, son air est moins sauvage ; tranquille à l’extérieur,un volcan semble fermenter dans ses veines.

– Marianne ! s’écria-t-il d’une voixconcentrée… c’est aussi ma Marianne !

La lutte est trop pénible pour ses forcesépuisées ; la nature ne peut résister plus longtemps au chocqu’il éprouve ; il se fait une sorte d’ébranlement dans toutson être ; un vaisseau s’est rompu dans sa poitrine ;l’infortuné tombe aux pieds de son frère ; on vole à sonsecours… il était mort !

Lady Pendennyss survécut dix-sept ans à cettehorrible catastrophe ; mais, de retour dans son château, ellevécut plus isolée que jamais ; et, pendant ce long espace detemps, elle ne quitta jamais sa chambre.

Le docteur Yves et son épouse furent seulsinstruits de la véritable cause de sa douleur. Cet événement futtoujours un mystère pour tous leurs autres amis.

Denbigh n’avait d’autre consolation que des’occuper de l’éducation de ses deux enfants ; et c’était dumoins pour lui un plaisir bien doux que de voir se développerinsensiblement leur jeune intelligence. George idolâtrait son pèrequi seul était son maître, et qui s’étonnait souvent lui-même desdispositions surprenantes de son jeune élève. Denbigh, tout entierà ses importantes fonctions, formait à la fois son cœur et sonesprit, et son fils n’avait pas encore seize ans, que déjà iljoignait à une instruction solide des principes qu’il est rare detrouver dans un âge aussi tendre.

George témoigna le désir d’entrer dansl’armée ; son père y consentit, et il fit l’apprentissage dela guerre sous les ordres du général Wilson, qui se chargea de lediriger dans sa nouvelle carrière. Le général n’eut qu’à se louerde son jeune officier, qui faisait une heureuse exception parmi lesmilitaires de son âge.

À la fin de la guerre d’Espagne, George revintdans ses foyers ; et il arriva à temps pour recevoir lesderniers soupirs de sa mère.

Quelques jours avant sa mort, la comtessevoulut que ses enfants connussent son histoire, et elle remit entreles mains de son fils une lettre qu’elle lui recommanda de n’ouvrirque lorsqu’elle ne serait plus. Cette lettre était adressée à sesdeux enfants. Après avoir récapitulé les principaux événements desa vie, elle ajoutait : « Vous voyez, mes enfants,quelles ont été les conséquences de la légèreté, de l’imprudence dema conduite. Votre oncle en a été le premier la victime ;votre père, trop généreux pour m’en faire des reproches, a vutroubler par des regrets amers le bonheur que lui faisaientéprouver vos caresses ; et moi-même, livrée à des remordstardifs, que dix-sept ans de larmes n’ont pu apaiser, je descendsprématurément au tombeau. Puisse du moins mon funeste exemplen’être pas entièrement perdu pour vous. J’étais jeune, sansexpérience, douée de quelques attraits qui furent la premièresource de mes malheurs. Ils m’inspirèrent un amour-propredémesuré ; les flatteurs qui m’entouraient ont fait le reste.Accoutumée aux hommages, à l’adulation, je devins exigeante,impérieuse : j’allai plus loin ; je me fis bientôt unmalin plaisir des souffrances que je causais ; j’aimais à mevoir entourée d’un cercle brillant d’adorateurs qui se disputaientmes sourires. Bientôt mon orgueil ne connut plus de bornes, et siles lois de notre pays souffraient que nos princes se choisissentune épouse parmi leurs sujettes, je crois que, dans mon aveugleprésomption, j’aurais porté mes vues jusque sur le trône.Hélas ! du moins alors, votre oncle n’eût pas été la victimede ma fatale coquetterie !

« Ah ! Marianne, ma chère enfant, nevous abaissez jamais à ces vils artifices qui ont dégradé votremalheureuse mère. Croyez-en sa triste expérience ; elle lui acoûté assez cher ! Il n’est peut-être pas de défaut plusfuneste pour notre sexe que la coquetterie. Elle rend dure,cruelle ; elle dessèche le cœur, elle détruit cettedélicatesse de sentiment qui ajoute un nouveau charme à labeauté ; elle est incompatible avec la modestie qui fait sonplus bel ornement.

« Et ne pensez pas, ma pauvre enfant, quela femme coquette dans son jeune âge puisse cesser aisément del’être lorsqu’elle a des devoirs essentiels à remplir, etqu’épouse, mère de famille, elle voudrait s’occuper exclusivementdu bonheur de son mari et de ses enfants. La coquetterie, lorsqu’ona le malheur de l’écouter, jette dans l’âme de trop profondesracines pour qu’il soit facile de les extirper. Il faut des effortspénibles et réitérés ; encore seront-ils presque toujoursinfructueux, à moins que la religion ne vienne à notre aide etn’oppose à l’orgueil humain, qui se révolte et nous entraîne, sonhumilité divine. Autrement, celle qui, grâce aux charmes de lajeunesse et de la beauté, aura joué avec succès le rôle decoquette, arrivera à la vieillesse, changée il est vrai, mais nonpoint corrigée, tenant toujours au monde qui alors la repoussera,et regrettant inutilement les illusions de sa jeunesse.

« Adieu, mes enfants, sachez quelque gréà votre mère de vous avoir ouvert son cœur avec autant defranchise. Croyez qu’il lui en a coûté pour déchirer le voile quicachait ses malheurs à vos yeux. Le désir de vous éclairer, de vousêtre utile, même après sa mort, a pu seul l’y déterminer. Profitezde cette terrible leçon. Consolez votre estimable père ; quevotre tendresse le dédommage de tout ce qu’il a perdu ; etlorsque vous aurez le malheur d’être orphelins, placez alors votreconfiance dans le Père céleste, qui n’abandonne jamais ceux qui lecherchent dans la sincérité et dans l’effusion de leur cœur.

« Votre mère mourante, »

« M. PENDENNYSS ».

Cette lettre, évidemment écrite sousl’inspiration du plus cuisant remords fit une impression profondesur ses enfants ; lady Marianne ressentait à la fois la plustendre pitié pour les chagrins de sa mère, et une espèce d’horreurpour le défaut qui les avait causés ; et son frère, le comtede Pendennyss, joignait à ces sentiments une vive appréhension dusort qui l’attendait dans le mariage.

Lorsque son oncle avait été si cruellementtrompé, il passait, il est vrai, pour l’héritier d’un titre plusélevé que le sien ; mais lui-même maintenant ne portait-il pasun nom aussi honorable, et n’avait-il pas une fortune plus grandeencore ? Les grands biens de son aïeul maternel et ceux de sonpère ne seraient que trop tôt réunis en sa personne, et si unefemme, aussi aimable et aussi accomplie que l’amour filial luimontrait sa mère, avait pu céder aux tentations de l’orgueil et del’intérêt, combien ne devait-il pas craindre que les mêmes motifsne décidassent une femme à lui donner sa main, lorsque son cœur seserait peut-être donné à un autre.

Pendennyss était modeste par nature et humblepar principes : il n’était pas défiant ; mais larévolution que lui avait fait éprouver la découverte de la faute desa mère, les tristes souvenirs de sa mort, et la santé de son pèrequ’il voyait décliner chaque jour, tout contribuait à le jetersouvent dans une foule de réflexions qu’il faisait de vains effortspour repousser.

Peu de temps après la mort de la comtesse,M. Denbigh, sentant qu’il ne tarderait pas à la suivre,résolut de finir ses jours dans les bras de son ami le docteurYves. Depuis plusieurs années, ils ne s’étaient point vus, leursdevoirs et leurs infirmités toujours croissantes ayant suspenduleurs visites.

Il quitta donc le pays de Galles accompagné deses deux enfants, et prit à petites journées le chemin deLumley-Castle, château qui lui appartenait, et où il arriva épuiséde fatigue. Après quelques jours de repos, il dit à sa fille undernier et solennel adieu, ne voulant pas que son jeune cœur, àpeine remis du choc que lui avait fait éprouver la mort de sa mère,eût encore à supporter la vue de ses derniers moments ; et,renvoyant son équipage et ses domestiques à une demi-journée dupresbytère, il s’y rendit seul avec son fils et dans la voiture laplus simple.

Il avait écrit au docteur pour lui annoncer savisite sans lui parler de sa mort prochaine. Il lui avait expriméle désir de le trouver tout à fait en famille, et il avait fixé lejour de son arrivée une semaine plus tard que celle qui l’avait vuentrer au presbytère. Il avait été forcé de se hâter en voyant leflambeau de sa vie se consumer rapidement, et beaucoup plus près des’éteindre qu’il ne l’avait d’abord pensé.

Le lecteur connaît déjà l’effet que produisitl’arrivée inattendue des deux voyageurs, la mort de Denbigh, et ledépart de son fils, que Francis accompagna lorsqu’il alla déposerles restes de son père dans le tombeau de ses ancêtres, dans leWestmoreland.

Depuis qu’il connaissait l’histoire de safamille, le comte désirait vivement dérober à tous les yeux laconduite de sa mère. Jusqu’à quel point était-elle connue dans lemonde ? il l’ignorait ; mais son vœu le plus ardent étaitd’ensevelir ce funeste secret dans sa tombe.

Les circonstances frappantes de la mort de sonpère pouvaient réveiller l’attention, et inspirer le désir deconnaître les causes réelles de sa maladie, qui jusques alorsn’étaient connues que de la famille du docteur. Il était impossibled’empêcher que la mort d’un homme du rang de M. Denbigh fûtannoncée dans les papiers publics ; et ce fut par les soins deFrancis qu’une notice, sans commentaires, et ne renfermant que lasimple vérité, y fut insérée. N’était-il pas naturel que le fils deM. Denbigh portât les mêmes noms que son père ?

Les amis de la famille du docteur ne sepermirent jamais aucune allusion à un sujet qui l’eût affligé, etles paysans, ainsi que les voisins du presbytère, n’en sachant pasdavantage, parlaient des deux voyageurs comme du vieux et du jeuneM. Denbigh.

Le nom du comte de Pendennyss, illustré par savaleur, était connu de toute l’Angleterre ; mais la longuesolitude dans laquelle avaient vécu son père et sa mère les avaitfait oublier d’un monde inconstant. Mrs Wilson elle-même,malgré les questions dont elle accablait tous ceux quiconnaissaient son jeune héros, ignorait que personne de sa familleportât le nom de Denbigh. Pendennyss-Castle était depuis plusieurssiècles la résidence de cette famille, et le changement de nom deses prédécesseurs avait été oublié avec les circonstances quil’avaient amené. Lorsque Émilie rencontra le comte pour la secondefois au presbytère, elle l’appela naturellementM. Denbigh.

Pendennyss était venu de Londres pour voir sonparent, lord Bolton ; mais ne l’ayant point trouvé, il ne putrésister au désir d’embrasser ses amis du presbytère ; enconséquence, il quitta sa voiture à un demi-mille de là, renvoyases domestiques à Londres, et arriva à pied chez le docteurYves.

Les mêmes motifs qui l’avaient dirigéauparavant, le désir de pouvoir se livrer à sa douleur sans en êtredistrait par des visites et des cérémonies inutiles, le décida à nepas faire connaître son véritable nom.

Rien n’était plus aisé. Dès son enfance, ledocteur et Mrs Yves l’avaient appelé George, et jamais ils nelui donnaient le nom de Pendennyss, qui ne servait qu’à leurrappeler à tous de pénibles souvenirs.

Le comte avait souvent entendu parler d’Émiliepar ses amis ; leurs lettres la lui peignaient partageantleurs plaisirs et leurs peines, et il lui sembla même qu’ilsexprimaient plus d’affection encore pour elle que pour la femme deleur fils ; un soir, Mrs Yves, voulant écarter lestristes souvenirs qui accablaient son jeune ami, lui avait fait ladescription la plus animée de la beauté, des grâces d’Émilie, etsurtout de son charmant caractère.

Un portrait aussi séduisant avait excité lacuriosité du comte ; il s’attendait à le trouver un peuflatté, comme c’est l’ordinaire ; quelle fut sa surprise devoir que le peintre était encore resté au-dessous de laréalité ! Il ne lui suffit pas d’avoir vu une fois Émilie, ilvoulut avoir le temps de la juger, et il pria le docteur de l’aiderà garder l’incognito.

Le docteur lui fit quelquesremontrances : c’était un artifice qui répugnait à soncaractère et plus encore à ses principes, et le comte se renditd’abord ; mais la beauté d’Émilie, plus attrayante encorelorsqu’il la vit entourée du cortège de ses vertus, avait fait surPendennyss une impression profonde, et il revint bientôt à lacharge.

Plus il sentait que l’amour faisait desprogrès dans son cœur, plus son ancienne défiance se réveillait enmême temps, et le souvenir de sa mère, qu’il se représentait àl’âge d’Émilie, parée des mêmes attraits, venait lui recommander deprofiter de son exemple et de se tenir sur ses gardes. Il fit audocteur l’aveu du nouveau motif qui l’engageait à cacher son rang,sans pourtant lui en faire connaître la douloureuse origine. Le bonministre, au fait de tous les secrets de la famille, lut aisémentau fond de son cœur ; il eut pitié de lui, et il finit par luipromettre de garder le silence.

– Mais, ajouta-t-il, n’en exigez pasdavantage ; c’est déjà bien assez mal à moi de m’exposer àpasser pour votre complice ; n’espérez pas que je favoriseouvertement votre duplicité ; un silence absolu, voilà tout ceque je puis vous promettre. Je n’ai pas fort bonne idée de vosprojets. Si Mrs Wilson et Émilie venaient à découvrir lafourberie, je crains que vous ne perdiez beaucoup dans leur esprit.Prenez-y garde, George. Après tout, ajouta le bon docteur ensouriant, votre intention n’est sans doute pas d’épouser la jeunepersonne incognito et toujours sous le nom de M. Denbigh.

– Oh ! non, répondit le jeune comtesur le même ton ; il est encore trop tôt pour songer aumariage… Tout ce que je désire, c’est de voir un peu quel accueilon me fera dans le monde, lorsque je n’y paraîtrai que sous lesimple nom de M. Denbigh, sans rang et sans fortune.

– Je crains, Milord, dit le docteur avecmalice, que cet accueil ne soit bien peu favorable, en comparaisonde vos mérites ; mais ce sera du moins une douce compensationpour vous d’entendre les éloges que Mrs Wilson ne manquejamais à faire du comte de Pendennyss.

– C’est l’effet d’une partialité bienflatteuse sans doute, reprit le comte avec tristesse, ses penséesse reportant sur l’ami généreux qu’il avait perdu ; mais jem’étonne que vous ne l’ayez jamais tirée d’erreur, et que vous nelui ayez pas appris dès le principe…

– Mais elle ne m’en a jamais fournil’occasion. On ne sait pas ici que j’ai été chapelain chezM. votre père ; on croit, du moins je le présume, que jedesservais une petite cure dans le pays de Galles. Les relationsque j’ai eues avec votre famille se rattachent aux plus douxmoments de ma vie, ajouta M. Yves en regardant tendrement sonépouse ; il y aurait eu une sorte d’orgueil à les rappeler, etquoique le souvenir m’en fût toujours cher, jamais je n’y ai faitallusion dans la société. Mrs Wilson n’a parlé de vous quedeux fois en ma présence, et cela depuis qu’elle a su votre retouren Angleterre, et qu’elle a conçu l’espoir de faire votreconnaissance. Votre nom lui a sans doute rappelé le souvenir de sonmari.

– La mémoire du général me sera toujourschère. Que de droits n’a-t-il pas acquis à ma reconnaissance !s’écria le comte avec chaleur. Mais, docteur, n’oubliez pas monincognito ; appelez-moi seulement George, je ne vous endemande pas davantage.

Le plan de Pendennyss fut mis à exécution. Ilne devait d’abord rester que quelques jours dans leNorthampton ; mais il se plaisait trop dans la famille de sirEdward pour pouvoir se décider à s’en éloigner.

L’embarras qu’il manifestait souvent provenaitde la crainte d’être découvert. Peu s’en fallut que sir HerbertNicholson ne fît échouer tous ses projets. Il avait surtout intérêtà ne voir ni Mrs Fitzgerald ni lord Henry Stapleton ;car, ayant été aussi loin, il était décidé à soutenir jusqu’au boutson personnage.

Il pensait qu’Egerton pouvait le connaître, etil n’aimait ni son ton ni ses manières.

Dans le moment où Chatterton s’était passionnépour Émilie, plein de franchise et de candeur, il s’était empresséd’instruire le comte de ses sentiments et de la position où il setrouvait. Pendennyss était trop généreux pour abuser de saconfiance.

Chatterton semblait croire que son peu defortune était le seul obstacle à son mariage ; le comte voulutl’aplanir lui-même, et il écrivit au duc de Derwent, son cousin,pour le prier d’employer toute son influence pour faire nommer lejeune lord à la place qu’il sollicitait. Le résultat de cettenomination est connu ; Chatterton n’en fut pas moins refusé,et Pendennyss ne craignait pas de le prendre à son tour pourconfident. Il l’emmena, à Londres, chargea Derwent du soin de ledistraire, et revint ensuite s’occuper de ses propres affaires. Lebillet qu’il envoya de Bolton-Castle était une ruse pour mieuxcacher son nom ; il savait que la famille du baronnet allaitpartir, et que par conséquent il ne courait aucun danger d’êtrereconnu.

– Fort bien, Milord, lui dit un jour ledocteur Yves ; tout vous réussit à souhait ; mais jecrains bien, je vous l’avoue, lorsque votre amante découvrira laruse, que votre rang et votre fortune ne produisent un effet toutdifférent de celui que vous paraissez en attendre.

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