Précaution

Chapitre 29

 

LADY RALEIGH. Le futur est charmant ; il n’a pas un seuldéfaut.

Mrs VORTEX. A-t-il un titre ?

LADY RALEIGH. Il a mille livres sterling de rente.

Mrs VORTEX. A-t-il un titre ?

LADY RALEIGH. Lady Dorsey est sa tante.

Mrs VORTEX. Un titre ?

LADY RALEIGH. Il est marquis.

Mrs VORTEX. À la bonne heure, c’est l’époux qu’il nousfaut.

Le Galant.

Le jour n’avait pas encore paru, qu’on vintavertir John Moseley que la diligence allait partir. Il s’empressad’aller prendre sa place, et trouva dans la voiture troiscompagnons de voyage.

Aucun d’eux ne semblait disposé à rompre lesilence imperturbable que gardent les Anglais lorsqu’ils setrouvent avec des étrangers, et ils avaient laissé bien loinderrière eux la petite ville de L*** avant de s’être adressé uneseule question. Je ne sais s’il faut attribuer cette taciturniténationale à une modeste défiance ; le noble orgueil qui animeles Anglais semble s’opposer à cette supposition. Peut-êtrel’Anglais n’a-t-il pas moins bonne opinion de lui que ses voisins,mais il craint davantage de se compromettre. Le Français, blessédans son amour-propre, s’indigne un moment, puis l’oublie l’instantd’après ; l’Anglais souffre en silence, et la blessure saignelongtemps dans son cœur.

De quelque cause que provienne cette réservequi caractérise les Anglais, il serait à désirer qu’elle diminuât,et que des hommes qui voyagent ensemble dans leur pays, au lieu dese regarder comme étrangers les uns aux autres, eussent toujours àl’esprit cette réflexion, qu’ils sont aussi voyageurs dans cettevie, et qu’au terme du voyage, qui est le même pour tous, ils seretrouveront également.

John Moseley était occupé de pensées biendifférentes de celles de ses compagnons de voyage, et il ne futtiré de ses tristes rêveries que par un cahot de la voiture qui lejeta contre la poignée de l’épée d’un de ses voisins. En relevantla tête, il reconnut, à la faveur du petit jour qui commençait àpoindre, les traits de lord Henry Stapleton ; leurs yeux serencontrèrent, et les mots :

– C’est vous, Milord !

– Vous voilà, monsieur Moseley !furent prononcés de part et d’autre avec une égale surprise. Johnfut enchanté d’une rencontre qui le tirait de ses sombresréflexions, et qui lui permettait de renouveler connaissance avecle jeune marin. La frégate que montait ce dernier était entrée enrade la nuit précédente, et il se rendait à Londres pour le mariagede sa sœur. La voiture de son frère le marquis devait venirau-devant de lui, et, aussitôt après la noce, il devait partir pourYarmouth, où son vaisseau avait ordre de se rendre.

– Comment se portent vos charmantessœurs, Moseley ? s’écria le jeune marin de ce ton franc etdélibéré qui distingue les gens de sa profession ; ma foi, jeserais devenu amoureux de l’une d’elles, si j’avais eu le temps etl’argent nécessaires… : vous savez que ce sont deux articlesindispensables pour les mariages aujourd’hui.

– Je crois, dit John en riant, que,d’après l’empressement des filles et surtout celui des mères, onpourrait se dispenser du temps… ; quant à l’argent, c’estautre chose.

– Oh ! le temps n’est pas moinsnécessaire. Croiriez-vous que je n’en ai jamais assez pour faireles choses en règle ? Je suis toujours pressé, et je vousserais fort obligé si vous pouviez m’indiquer une femme qui voulûtm’épouser sans tous les préliminaires longs et fastidieux que mongoût et ma profession me font également prendre en horreur.

– Rien n’est plus facile, milord, ditJohn en souriant et pensant à Catherine Chatterton ; maiscomment faites-vous en mer ? Commandez-vous les manœuvrescomme vous voulez improviser un mariage… en courant ?

– Non, non, répondit gravement lecapitaine ; là c’est bien, différent ; tout suit unemarche uniforme et régulière, et chacun ne pense qu’à remplir sondevoir : mais à terre, c’est autre chose ; je ne suisqu’un oiseau de passage. Que la société que j’ai trouvée à L***cette année m’a paru charmante ! Sept ou huit jours après lebal où je rencontrai vos aimables sœurs, j’allai à la chasse, et, àcinq milles environ du village, j’aperçus le plus joli petitermitage, habité par une femme bien plus jolie encore, par uneEspagnole, une Mrs Fitzgerald. Oh ! décidément, jel’adore !… Si polie, si douce et si modeste !

– Et comment Votre Seigneurie fit-elle saconnaissance ? demanda John un peu surpris.

– Par hasard, mon cher ami, parhasard ; il faisait très chaud, je mourais de soif, etj’approchai de la maison pour y demander un verre d’eau.Mrs Fitzgerald était assise sous le péristyle. Toujours pressépar le temps, comme vous savez, je ne m’amusai pas à me faireannoncer ; j’espérais profiter quelque temps de la bonnefortune que je devais au hasard ; mais en une minute ellem’eut fait donner quelques rafraîchissements, et je fus éconduit leplus promptement et le plus poliment possible. Mais je parvins àsavoir son nom dans une maison voisine.

Pendant le récit de Stapleton, John avait fixéses regards sur celui de ses compagnons de voyage qui était en facede lui. Il paraissait avoir environ soixante ans ; il étaitcriblé de petite vérole ; sa taille droite avait toute laraideur d’un ancien militaire, et son costume était celui d’unhomme comme il faut. Son teint était bruni par le soleil, et sonœil noir et perçant était fixé avec une expression singulière surle jeune marin, qui continuait ses remarques.

– Connaissez-vous la belle veuve,Moseley ?

– Très légèrement, dit John ; elle abien voulu recevoir quelquefois les visites de mes sœurs, et…

– Et les vôtres ! s’écria lordStapleton en éclatant de rire.

– Je les ai accompagnées une fois oudeux, Milord, répondit John avec gravité ; mais l’amie deMrs Wilson et d’Émilie Moseley doit être à l’abri du moindresoupçon. Mrs Fitzgerald vit dans la retraite la plussévère ; le hasard seul nous fit faire sa connaissance.N’étant pas aussi pressés que Votre Seigneurie, nous avons cherchéà cultiver sa société, et nous n’avons eu qu’à nous enapplaudir.

Pendant que John parlait, la physionomie del’étranger variait à chaque minute ; enfin ses yeuxs’arrêtèrent sur le jeune défenseur de Julia avec une expression dedouceur qui paraissait peu ordinaire à cette figure rigide.Désirant changer le sujet d’une conversation qui lui paraissaittrop délicate pour être continuée dans une voiture publique, Johndit en regardant l’étranger :

– Nous allons avoir une bellejournée.

Celui à qui il paraissait s’adresser inclinala tête en signe d’assentiment pour toute réponse ; mais lequatrième voyageur, que John n’avait point encore regardé, ditd’une voix humble et modeste :

– Cela est vrai, monsieur John ; etcelui-ci reconnut la voix de l’honnête Peter Johnson. Il se tournavivement vers lui, et vit le maigre et modeste intendant blottidans un coin de la voiture, de manière à tenir le moins de placepossible.

– Johnson ! s’écria John étonné,vous ici ! et où allez-vous ?… est-ce àLondres !

– Oui, à Londres, monsieur John, réponditPeter d’un air d’importance ; et, comme s’il eût vouluprévenir tout interrogatoire, il ajouta :

– Pour les affaires de mon maître,Monsieur.

Moseley et lord Henry l’examinaientattentivement pendant qu’il parlait : le premier cherchait àdeviner ce qui pouvait amener dans le tourbillon de la capitale unhomme de soixante-dix ans, qui n’avait jamais quitté sa province,et le second ne pouvait assez regarder la figure et l’accoutrementgrotesque de l’intendant. Peter n’avait rien changé au costume quenous avons déjà décrit, et qui était de mode dans le temps où sonmaître siégeait au parlement. Sa vue seule aurait donné envie derire au plus sérieux ; cependant elle ne put dérider le frontde l’étranger, qui avait repris sa physionomie immobile, et quiparaissait concentré en lui-même. Il ne prononça que quelques motsindispensables ; son accent était singulier, et ses jeunescompagnons ne purent décider de quel pays il était. Lord Henry necessait de le regarder d’un air qui semblait dire : – Quelleest votre patrie ?

Un moment avant de remonter en voiture aprèsavoir changé de chevaux, lord Henry dit à John :

– Je parierais que notre taciturnecompagnon est un de ces officiers que la chute de Buonaparte aforcés de se retirer du service ; tâchons de savoir ce qu’ilpense maintenant de son ancien maître, je me charge de sonder leterrain. Mais le vieux militaire resta impénétrable malgré toutesles attaques de Sa Seigneurie, qui abandonna enfin tout espoir d’enrien tirer.

Peter était trop modeste pour parler enprésence de M. John Moseley et d’un lord, et ces derniersentretinrent seuls la conversation. À quinze milles de Londres, ilsrencontrèrent une voiture élégante, à quatre chevaux, et décoréed’une couronne de marquis, qui venait au-devant de lord Henry. Johnrésista à toutes les instances que lui fit ce dernier d’y prendreplace avec lui ; il avait suivi Denbigh de poste en poste, etil ne voulait pas risquer de perdre sa trace en changeant demanière de voyager.

Quelques heures après, la diligence arrivasans accident à Londres, et Moseley se hâta de prendre desinformations sur l’objet qui l’intéressait. Une chaise telle qu’illa dépeignait était arrivée une heure auparavant, et le jeune hommequ’elle avait amené s’était fait conduire à un hôtel voisin. Johnse fit conduire à l’instant même à l’hôtel désigné, et il demandaM. Denbigh ; mais, à sa grande mortification, on lui ditque personne de ce nom n’y demeurait. Désespéré d’un si mauvaissuccès, il allait se retirer, lorsqu’un domestique en grande livréelui demanda respectueusement si la personne qu’il désirait voirn’était pas arrivée aujourd’hui de L***, dans le Norfolk.

– Précisément, s’écria John.

– Alors, Monsieur, voulez-vous bien mesuivre ? dit le laquais. Ils frappèrent à la porte d’unparloir. Le domestique entra seul, et bientôt John fut introduitdans un appartement, où Denbigh, assis et la tête appuyée sur samain, paraissait abîmé dans ses réflexions. En apercevant John, ils’élança de sa chaise en s’écriant :

– Monsieur Moseley ! ne me trompé-jepas ?

– Denbigh, lui dit John en lui tendant lamain, est-il bien, est-il digne de vous de nous quitter siprécipitamment, et sans nous laisser du moins l’espoir de nousrevoir bientôt ?

Denbigh fit signe au domestique de se retirer,et il offrit une chaise à son ami.

– Monsieur Moseley, dit-il en cherchant àlui cacher son émotion et sa douleur, vous paraissez ignorer l’aveuque j’avais osé faire à votre sœur.

– Je n’en ai pas entendu parler.

– Et vous ne savez pas que j’ai essuyé unrefus ?

– Est-il possible ! s’écria John ense levant et en marchant à grands pas dans la chambre ; jedois avouer que j’espérais que vous demanderiez sa main ; maisjamais je n’aurais pu penser qu’elle vous refusât.

Denbigh lui donna la lettre d’Émilie ;après l’avoir lue, John la lui rendit en soupirant :

– Voilà donc la raison qui vous a forcé ànous quitter, continua-t-il ; mais Émilie n’est pascapricieuse ; ce refus ne saurait venir d’un moment dedépit ; je la connais trop pour…

– Non, monsieur Moseley, interrompitDenbigh avec tristesse, votre sœur est à l’abri de toutreproche… ; mais je ne suis pas digne d’elle ; masupercherie… En ce moment, le même domestique qui avait introduitJohn ouvrit la porte, et Peter Johnson entra. Après s’être avancéjusqu’auprès de la table qui le séparait des deux jeunes gens,l’intendant mit ses lunettes, tira de sa poche son formidableportefeuille, et y prit une lettre dont il lut l’adresse à hautevoix :

– À. M. George Denbigh, à Londres.Confié aux soins de Peter Johnson, intendant de Benfield-Lodge(Norfolk). Après s’être acquitté de cette partie de son devoir avectout le cérémonial convenable, il remit la lettre à Denbigh, qui laparcourut à la hâte, et en parut vivement touché ; il pressala main de l’intendant, le remercia avec bonté du nouvel intérêtqu’il prenait à lui, et lui dit que, s’il voulait lui donner sonadresse, il lui enverrait, dans la matinée, sa réponse àM. Benfield.

Peter s’empressa de le satisfaire ; maisil paraissait craindre de se retirer avant de s’être assuré quecette réponse serait telle qu’il la désirait ; et, prenantdans sa poche un livre de compte presque aussi grand que leportefeuille, il dit, après l’avoir feuilleté un moment :

– Mon maître a chez Coutts etcompagnie[5] 7000 livres sterling, 5000 dans labanque ; ainsi, Monsieur, vous voyez qu’il peut faire ce qu’ilvous propose sans nous gêner.

Denbigh sourit, et assura l’intendant qu’ilrépondrait comme il le devait aux ordres de M. Benfield.

La porte s’ouvrit de nouveau, et le militaireétranger fut introduit. Il salua, et parut fort étonné de retrouverdeux de ses compagnons de voyage : mais il ne dit rien, etprésenta une lettre à Denbigh avec autant de gravité que le bonPeter. Denbigh l’invita à s’asseoir, et, après avoir parcouru lalettre qu’il lui avait remise, il lui parla dans une langue queJohn reconnut pour de l’espagnol, et que Peter prit pour dugrec.

Pendant quelques minutes la conversation futsoutenue de part et d’autre avec la plus grande vivacité, et lesdeux auditeurs ne pouvaient revenir de la volubilité inattendue quedéployait tour à tour leur taciturne compagnon ; enfin,celui-ci se leva pour se retirer ; déjà il s’avançait vers laporte, lorsqu’elle s’ouvrit de nouveau, et quelqu’uns’écria :

– Me voilà, George ! me voilà sainet sauf… ! prêt à embrasser les filles de noce, si ellesveulent me le permettre, et si j’en puis trouver le temps… Mais,Dieu me pardonne, voilà M. Moseley !… le général !et vous aussi, noble débris du siècle dernier !… Il ne nousmanque plus que le conducteur et le postillon.

C’était lord Henry. L’Espagnol salua ensilence, et se retira, tandis que Denbigh, ouvrant la porte d’unechambre voisine, pria Stapleton de vouloir bien l’y attendre unmoment.

– Très volontiers, mon cher ; mais,sur ma parole, il est bien singulier de nous retrouver tous ici.Nous faisons tous voile vers le même port, à ce qu’il mesemble.

– Vous connaissez donc lord Henry ?dit John pendant que le jeune marin se retirait.

– Oui, répondit Denbigh. Et l’intendant,après lui avoir répété encore une fois son adresse dans le plusgrand détail, prit respectueusement congé des deux amis. Dès qu’ilsse trouvèrent seuls, Moseley eût bien voulu reprendre laconversation que Peter avait interrompue, mais il avait trop dedélicatesse pour chercher à pénétrer la cause du refus de sa sœur.Il commençait à espérer qu’ils n’étaient point séparés pourjamais ; et décidé à revenir voir Denbigh le lendemain matin,il le quitta, pour lui laisser la liberté de rejoindre lord HenryStapleton.

Le lendemain vers midi, John et l’intendant serencontrèrent à la porte de l’hôtel où logeait Denbigh. Petertenait la réponse que ce dernier avait faite àM. Benfield ; mais, avant de partir, il désirait lerevoir. En demandant après celui qu’ils cherchaient, ils apprirentavec autant de contrariété que de surprise, qu’il était parti degrand matin avec tous ses bagages, et qu’il n’avait point dit où ilse rendait.

Essayer de découvrir un homme dans une villetelle que Londres, lorsqu’on n’a pas la moindre idée du côté où ila dirigé ses pas, c’est perdre à la fois son temps et ses peines.Moseley le savait ; et, après avoir refusé l’expédient que luiproposait Peter, il retourna à son hôtel. Si le projet del’intendant n’indiquait pas une grande sagacité, du moins ilfaisait honneur à sa persévérance ; il avait engagé John àsuivre un des côtés de la rue, tandis qu’il se chargerait del’autre, et à s’informer ainsi de porte en porte, jusqu’à ce qu’ilseussent trouvé le fugitif.

– Monsieur, dit Peter avec simplicité,lorsque notre voisin White perdit sa petite fille, ce fut de cettemanière que nous la retrouvâmes, après avoir battu presque tout levillage sans nous décourager, monsieur John. Mais celui-ci n’ayantpas voulu le seconder, il fut obligé de renoncer à l’entreprise,faute d’un coadjuteur, et, le cœur bien serré, il reprit la routede Benfield-Lodge.

Malgré la contrariété qu’il éprouvait de cettenouvelle fuite, à laquelle il ne comprenait rien, John désiraittrop retrouver son ami pour ne pas tenter une nouvelle recherche.Il se rendit à l’hôtel du marquis d’Eltringham, frère de lordHenry, et il y apprit qu’ils étaient partis tous deux de grandmatin pour le château du marquis, dans le Devonshire, où devait secélébrer le mariage de leur sœur.

– Sont-ils partis seuls ? demandaJohn d’un air pensif.

– Il y avait deux voitures, Monsieur,celle du marquis et celle de Sa Grâce le duc de Derwent.

– Et le duc était-il seul ?

– Un jeune homme était avec SaGrâce ; mais le domestique auquel John s’était adressé ne leconnaissait pas. Voyant qu’il ne pourrait rien apprendre de plus,il se retira.

Au désappointement de John se mêlait un peud’humeur ; car il lui paraissait évident que Denbigh avaitvoulu l’éviter ; il ne doutait pas qu’il ne fût compagnon devoyage du duc de Derwent, et il perdit tout espoir de le trouver àLondres. Tandis qu’il retournait chez lui dans une situationd’esprit que personne n’eût pu lui envier, et qu’il réfléchissaitaux tristes nouvelles qu’il avait à reporter à L***, il rencontraChatterton. Si quelqu’un pouvait consoler John, c’était son ami.Les deux jeunes gens s’accablèrent réciproquement de questions surleur famille, et John apprit avec bien du plaisir que la douairièreétait à Londres avec ses filles. Chatterton demanda avecempressement des nouvelles d’Émilie, il s’informa ainsi de Denbighavec un intérêt tout particulier, et ce fut avec une surprise maldéguisée qu’il apprit son départ subit de L***.

Lady Chatterton n’avait pu se dissimulercombien les tentatives qu’elle avait faites pour rapprocher Moseleyde sa fille avaient été funestes à ses projets ; aussi sepromit-elle bien, en le voyant entrer, de cacher avec soin sesdésirs secrets, et aucun mot de sa part ne vint alarmerl’amour-propre et la susceptibilité de John. On peut croirecependant qu’elle fut enchantée de le revoir ; et, si on peuts’en rapporter au trouble, à la rougeur, aux palpitations du cœurd’une jeune fille, Grace n’en était pas fâchée non plus. Il estvrai qu’elle désirait depuis longtemps avoir des nouvelles d’Émilieet du reste de sa famille, et qu’elle se trouvait heureuse d’enavoir d’aussi directes que celles que lui donnaitM. Moseley ; enfin elle cherchait à déguiser son embarrassous un prétexte qui parût plausible. Les yeux de Grace exprimaienttout ce que disait sa bouche, peut-être plus encore ; etjamais John ne l’avait trouvée aussi jolie.

Lorsque John arriva chez la douairière, il s’ytrouvait un homme d’un certain âge, qui paraissait d’une mauvaisesanté, quoiqu’il affectât beaucoup de gaieté, et qu’une toilettetrès soignée cherchât à déguiser les outrages du temps. Quelquesminutes suffirent pour convaincre John que c’était un prétendant àla main de Catherine ; et la partie d’échecs dont il futtémoin lui prouva que ce prétendant paraissait digne à Catherine età sa mère des soins et des attentions les plus marquées. LadyChatterton le présenta à John sous le nom de lord Herriefield, etJohn comprit par quelques mots qui lui échappèrent qu’il était pairdu royaume. Chatterton lui en parla comme d’un parent éloigné de samère, qui était revenu depuis peu des Indes-Orientales, où iloccupait un emploi important, pour venir prendre possession de lagrande fortune et du rang distingué que lui assurait la mort d’unfrère aîné. Il était garçon, et outre les richesses dont il venaitd’hériter, il en avait acquis beaucoup en pays étranger. Chattertonaurait pu ajouter, si le respect filial ne l’eût contraint ausilence, que l’offre de lord Herriefield d’assurer à Catherine unepartie de sa fortune avait été acceptée, et que la semaine suivanteelle deviendrait la femme d’un débauché dont les traits amaigrisportaient l’empreinte de tous les excès.

Lorsque Chatterton et Grace avaient appris lespropositions de lord Herriefield, ils avaient manifesté toute larépugnance qu’il leur inspirait, et ils s’étaient réunis pour faireà lady Chatterton les plus humbles et les plus vaines remontrancescontre une telle union. Ils avaient fait à leur sœur les plus vivesinstances pour qu’elle ne devînt pas elle-même l’instrument de sonmalheur ; il n’y avait pas de sacrifices pécuniaires qu’ils nefussent prêts à faire pour l’arrêter sur le bord de l’abîme ;mais tout fut inutile : Catherine avait mis dans sa têtequ’elle serait vicomtesse, et sa mère qu’elle serait riche.

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