Précaution

Chapitre 15

 

L’absence a ses regrets, mais le retour, hélas ! apportequelquefois des peines plus cruelles aux amants.

MASSINGER.

Lady Chatterton voyant qu’elle n’avait plusrien à espérer à Moseley-Hall, si ce n’est l’évènement que luipromettait pour l’avenir la passion de John pour la plus jeune deses filles, quelque chancelante que cette passion lui parûtquelquefois, se décida à accepter l’invitation que lui faisait unde ses parents de venir passer quelque temps à son château, situé àsoixante milles de B*** ; mais dans l’espoir que les chosesprendraient une meilleure tournure en son absence, elle parut céderaux instances d’Émilie, et laissa Grace avec elle, n’emmenant queCatherine, son auxiliaire obligé dans toutes ses expéditionsmatrimoniales.

Grace Chatterton avait été douée par la natured’une délicatesse exquise, et d’une réserve poussée quelquefoisjusqu’à la sauvagerie, et que n’avaient fait qu’augmenter encoreles leçons et les préceptes contraires d’une mère qu’ellechérissait, mais dont elle ne pouvait adopter les principes.

Elle était trop clairvoyante pour ne pasapercevoir le but de la nouvelle manœuvre de sa mère ; et,avec sa manière de voir, quoique son cœur fût loin d’êtreinsensible à l’amour de John, rien ne lui fut aussi pénible qued’apprendre que la douairière partait sans elle ; mais ce quecette dernière voulait, elle le voulait bien, et Grace fut obligéed’obéir.

Combien il en coûtait à sa délicatesse !Déjà elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcherle voyage à Moseley-Hall ; il lui semblait que c’était venirau-devant de John, et elle avait eu besoin, pour écarter cetteidée, de tout le désir qu’elle avait d’assister à la noce de Clara.Mais maintenant, rester, lorsque toute sa famille en était partie,dans la maison d’un homme qui ne lui avait jamais demandépositivement l’amitié qu’elle ne pouvait s’empêcher d’avoir pourlui, c’était une humiliation, un avilissement qu’elle ne pouvaitsupporter.

J’ai souvent entendu dire par des hommes quijugent toutes les femmes par celles qu’ils ont rencontrées dans unesociété corrompue, et qui sont l’opprobre de leur sexe, qu’ellessont fertiles en inventions pour mettre à exécution les plans queleur inspirent l’intérêt personnel, la vanité ou l’envie. Moi, qui,plus juste ou plus heureux, ai pris mes modèles dans une classeplus nombreuse et plus respectable, je saisis avec empressementl’occasion de payer un tribut d’admiration à un sexe qu’on se plaità calomnier. Combien n’ai-je pas vu de femmes s’oublier pour nepenser qu’au bonheur des objets de leur affection, et reculer à laseule idée de la dissimulation et de l’artifice ! Oui,dussé-je déplaire à leurs détracteurs, je répéterai toujours qu’ontrouve parmi elles des exemples de vertu, d’innocence, dedévouement et de délicatesse désintéressée, que ces hommesgrossiers ne pourraient seulement comprendre.

Grace, ne pouvant soutenir l’idée de rester enbutte aux soupçons auxquels le manège de sa mère devait donnerlieu, proposa à Émilie d’aller passer quelques jours avec Clara.Émilie, trop ingénue elle-même pour soupçonner les motifs de sacousine, accepta avec empressement cette occasion de consacrerquelques jours à une sœur qu’elle n’avait vue pour ainsi dire qu’àla dérobée pendant le court séjour qu’elle avait fait chez elle,tant les visites s’étaient succédé, tant il était venu d’importunsrompre, par leurs félicitations et leurs compliments, les délicieuxtête-à-tête dans lesquels les deux sœurs avaient tant de choses àse dire.

Mrs Wilson partit avec les deux amies lemême jour que la douairière lady Chatterton. Francis et Clarafurent charmés de cette visite inattendue, et ils se félicitèrentde voir leur nouvelle demeure se peupler ainsi pour quelque tempsde véritables amis.

Le docteur Yves allait tous les ans avec safemme voir un vieil oncle que ses infirmités retenaient chezlui ; le mariage de son fils leur avait fait différerjusqu’alors cette visite ; ils voulaient tenir compagnie aujeune ménage ; mais, dès qu’ils surent que Mrs Wilsonvenait s’établir pour une quinzaine de jours chez les nouveauxépoux, ils profitèrent de cette occasion pour tenir la promessequ’ils avaient faite à leur parent.

Le village de B*** se trouva presque désert,par suite de ces départs successifs, et Egerton se vit maître duchamp de bataille.

L’été était arrivé, et la campagne déployaittout le luxe de la végétation : c’est alors que la naturesemble inviter plus particulièrement aux passions tendres ; lespectacle qu’elle présente de toutes parts plaide éloquemment pourles amants, et lady Moseley, quoique observatrice rigide desconvenances, laissait l’intimité qui s’était établie entre Jane etle colonel s’étendre aussi loin que ces convenances pouvaient lepermettre.

Cependant le colonel ne s’expliquait pas, etJane, dont la délicatesse redoutait une déclaration à laquelle illui faudrait répondre par un aveu non moins sincère, ne luifournissait pas d’occasions marquées de lui déclarer formellementson amour. Mais, comme ils étaient presque toujours ensemble, sirEdward et son épouse regardaient leur union comme infaillible.

Lady Moseley avait confié si entièrement laplus jeune de ses filles aux soins de Mrs Wilson, qu’elle nes’occupait guère de son établissement. Elle avait pour sa sœurcette confiance aveugle que les esprits faibles accordent toujoursà ceux qui leur sont supérieurs ; et elle approuvait même,sous beaucoup de rapports, un système qu’elle ne se sentait pas laforce d’imiter. Malgré son indifférence apparente, son affectionpour Émilie n’était pas moins vive que celle qu’elle éprouvait pourses autres enfants : c’était même sa favorite, et parfois ellevoulait intervenir dans les plans d’éducation de sa sœur, maiscelle-ci lui rappelait alors leurs conventions, et lady Moseleyreprenait aussitôt sa neutralité.

Au bout de cinq ou six jours John commença àtrouver fort longue l’absence d’Émilie, et surtout celle de Grace.Malgré les visites continuelles du colonel, l’ennui legagnait ; il sentait qu’il lui manquait quelque chose. Enfin,un beau matin, il fit mettre les chevaux bais à son phaéton, et,sans rien dire à personne, il se dirigea vers le presbytère deBolton.

– Bonjour, mon cher John, s’écria Émilieen lui tendant affectueusement la main, et en souriant avec malice,tandis qu’il s’approchait de la fenêtre où elle était assise avecson ouvrage ; comme ces pauvres chevaux sont couverts desueur ! je vois que vous avez brûlé le pavé. C’est bienaimable à vous de mettre tant d’empressement à venir nous voir.

– Comment se porte Clara ? dit Johnvivement en baisant la main qu’elle lui présentait ; – et matante Wilson ?

– Parfaitement l’une et l’autre ;elles ont profité du beau temps pour aller prendre l’air.

– Comment se fait-il que vous ne les ayezpas accompagnées ? demanda John en promenant un regarddistrait dans l’appartement ; êtes-vous restée touteseule ?

– Non, Grace était ici il n’y a qu’uneminute. Elle va revenir.

– Je suis venu dîner avec Émilie,reprit-il en s’asseyant auprès d’elle, les yeux toujours fixés surla porte. Il m’a semblé que je devais une visite à Clara, et j’aitrouvé moyen de m’échapper avant l’arrivée du colonel, à qui Janeet ma mère pourront bien, pour cette fois, faire seuls les honneursdu château.

– Clara sera bien charmée de vous voir,ainsi que ma tante Wilson, dit Émilie ; quant à moi, mon cherJohn, j’espère que cela va sans dire.

– Et pensez-vous donc que Grace me voiearriver avec chagrin ! s’écria John un peu alarmé de sonomission.

– Non, certainement ; mais la voici,et elle pourra répondre pour elle-même.

En voyant John, Grace contint l’expression desa joie, mais sa physionomie respirait tellement la sérénité et lebonheur, qu’Émilie lui dit avec amitié :

– Je savais bien que l’eau de Colognecalmerait votre migraine.

– Miss Chatterton serait-ellemalade ? demanda John avec intérêt.

– Non, non, répondit Gracedoucement ; j’avais un léger mal de tête, mais je me trouvebeaucoup mieux.

– C’est faute d’air et d’exercice. Monphaéton est à la porte ; on y tient trois à l’aise. Courez,Émilie, allez chercher vos chapeaux, nous allons faire unepromenade délicieuse ; et tout en parlant, il poussait presquesa sœur hors de la chambre. Quelques minutes après ils partirent.John était au comble de la joie, il n’y avait pas là de mère dontla présence vînt corrompre son bonheur.

À deux mille du presbytère ils prirent uneavenue assez étroite, dont un cabriolet, qui était arrêté, tenaitle milieu.

– Peste soit du cabriolet ! s’écriaJohn avec impatience, il devrait bien au moins se mettre sur lecôté.

Près du cabriolet se trouvait un petit groupecomposé d’un homme, d’une femme, et de plusieurs enfants. Un jeunehomme, descendu de la voiture, paraissait leur parler, et iln’entendit pas le bruit du phaéton, dont les chevaux avaient prisle galop.

– John, s’écria Émilie avec terreur, vousne pourrez jamais passer là… Vous allez nous verser !

– Ne craignez rien, chère Grace, réponditle frère en tâchant de retenir ses chevaux ; il y réussit enpartie, mais pas assez tôt pour empêcher qu’une des roues n’allâtfrapper rudement une des bornes qui bordaient l’avenue. Le jeunehomme qui parlait aux paysans accourut à leur secours, c’étaitDenbigh.

– Miss Moseley ! s’écria-t-il du tonde l’intérêt le plus tendre ; j’espère que vous n’êtes pasblessée ?

– Non, répondit Émilie toute tremblante,mais j’ai eu bien peur ; et acceptant la main qu’il luioffrait, elle sauta légèrement hors du phaéton.

Grace eut assez de patience pour attendre queJohn pût l’aider à en sortir. Les mots : chère Grace !résonnaient encore délicieusement à son oreille ; ils avaientdonné du courage à la jeune fille la plus timide, et plus d’unefois ensuite elle plaisanta doucement Émilie sur la frayeur qu’elleavait montrée. Les chevaux n’étaient pas blessés, les harnais seulsavaient souffert, et, après les avoir raccommodés le mieuxpossible, John engagea sa sœur à remonter dans le phaéton. MaisÉmilie n’était pas encore revenue de son effroi ; et,indécise, elle regardait alternativement son frère, la frêlevoiture qui venait de recevoir un si rude choc, et les chevauxfringans qui frappaient du pied, dans l’impatience de reprendreleur course.

– Si monsieur Moseley veut monter avecces dames dans mon cabriolet, dit M. Denbigh avec modestie, jereconduirai le phaéton à Moseley-Hall, d’autant plus qu’il neserait pas prudent d’y remonter trois.

– Non, non, Denbigh, répondit Johnfroidement, vous n’êtes pas habitué à mener des chevaux aussifougueux que les miens, et je craindrais qu’ils ne vous jouassentquelque mauvais tour ; mais, si vous étiez assez bon pourprendre Émilie dans votre cabriolet, Grace, j’en suis sûr, voudrabien encore se confier à moi, et nous regagnerons ainsi le châteausans danger.

Grace, presque involontairement, présenta samain à John, qui la plaça dans le phaéton, tandis que Denbighoffrait la sienne à Émilie d’un air respectueux.

Ce n’était pas le moment de montrer unepruderie déplacée, lors même qu’Émilie en eût été capable, et ellemonta en rougissant dans le cabriolet. Avant de s’y placer prèsd’elle, Denbigh tourna ses regards vers les malheureux auxquels ilavait déjà parlé. Arrêtés près de là, ils venaient d’attirer aussil’attention de John, qui demanda à Denbigh ce qu’étaient cespauvres gens. Leur triste histoire n’était pas longue, et leurmisère était évidente. Le mari, ancien jardinier d’un gentilhommedu comté voisin, venait d’être renvoyé par l’intendant, qui avaitbesoin de sa place pour la donner à un de ses parents ; cepauvre homme, se voyant sur le pavé, avec une femme et quatreenfants, n’ayant pour tout bien que les gages d’une semaine,s’était mis en route avec sa famille pour se rendre dans le villageoù il était né, et où il aurait des droits au secours de laparoisse. Mais ses petites ressources étaient épuisées ; lesenfants pleuraient de faim et de fatigue, et la mère, quinourrissait le plus jeune, incapable d’aller plus loin, et desupporter le spectacle déchirant qui l’entourait, s’était laisséetomber à terre, près de succomber à l’épuisement et à ladouleur.

En écoutant ce triste récit, Émilie et Gracene purent retenir leurs larmes ; John oublia ses chevaux,oublia Grace elle-même, en entendant les plaintes de la pauvremère, qui distribuait à ses enfants affamés le morceau de pain queDenbigh avait été chercher dans une chaumière voisine, où il leurdisait de se rendre lorsque Moseley l’avait interrompu.

John, les mains tremblantes et le cœurpalpitant d’émotion, tira sa bourse et donna quelques guinées aujardinier. Grace pensa qu’il n’avait jamais paru plus à sonavantage que dans ce moment. Ses yeux brillaient du plus douxéclat, et l’attendrissement et la pitié donnaient à sa physionomiele seul charme qui y manquât souvent, la douceur.

Denbigh, après avoir attendu que John eûtdistribué ses aumônes, répéta gravement au jardinier le cheminqu’il devait prendre pour trouver la chaumière, et les voiturespartirent.

Pendant quelque temps, Émilie ne put penserqu’au malheur des pauvres gens qu’elle venait de quitter ;comme son frère, elle était charitable et généreuse jusqu’à laprodigalité, et elle regrettait bien d’être sortie sans sa bourseet de n’avoir pu rien ajouter aux bienfaits de John.

Elle éprouvait un sentiment pénible de ladifférence qu’il y avait eue entre l’aumône de son frère et cellede M. Denbigh. Au moment où John avait vidé presque toute sabourse dans le bonnet du jardinier, celui-ci avait regardé avec uneespèce de dédain la demi-couronne qu’il avait reçue de son premierbienfaiteur. Denbigh, sans remarquer son ingratitude, avaitcontinué à lui parler avec la même bienveillance ; mais ladélicatesse de John l’engagea à presser le départ de ses compagnonset de son ami.

– Une demi-couronne est bien peu, pensaitÉmilie, pour une famille dans une si grande détresse ! Mais nepouvant se décider à concevoir une opinion défavorable de l’hommequi avait su lui inspirer tant d’estime, elle en conclut qu’iln’était pas aussi riche qu’il le méritait.

Jusqu’à ce moment, ses pensées ne s’étaientpoint dirigées sur le rang que Denbigh tenait dans le monde ;elle savait qu’il était officier, mais de quel grade ? dansquel régiment ? elle l’ignorait. Souvent dans la conversationil avait parlé des coutumes des différents pays qu’il avaitparcourus ; il avait servi en Italie, dans le nord del’Europe, dans les Indes-Orientales et en Espagne. Il savait lesdétails les plus intéressants sur les mœurs de tous ces peuples, etles racontait avec un goût, un discernement, une vivacité qui yajoutaient un nouveau charme. Mais jamais il ne parlait de lui, etc’était surtout lorsqu’il était question du temps qu’il avait passéen Espagne qu’il se montrait le plus réservé. D’après cesobservations, Émilie était portée à croire que son rang était moinsélevé que son mérite, et que c’était peut-être pour cette raisonqu’il éprouvait une sorte d’embarras à se trouver avec le colonelEgerton, qui avait un grade supérieur.

La même idée avait frappé toute la famille etavait empêché que personne ne cherchât à prendre des informationsqui eussent pu être désagréables à un jeune homme qui s’étaitacquis l’estime générale, et qui était l’ami du docteur Yves. Ileût été trop cruel de s’adresser à ce dernier, puisqu’on n’auraitpu lui demander des détails sur la famille de Denbigh sans rappelerla mort de son père, qui avait été un coup si douloureux pour toutela famille du bon ministre. Peut-être Francis avait-il été pluscommunicatif avec Clara, mais elle était trop discrète pourdivulguer les secrets que son mari lui confiait, et d’ailleurs sesparents n’eussent jamais voulu l’engager à trahir la confiance deFrancis.

De son côté Denbigh ne semblait pas moinspréoccupé ; il ne parlait à Émilie que pour lui demander avecintérêt des nouvelles de toute la famille de sir Edward. Comme ilsapprochaient de la maison, il mit son cheval au pas, et après avoirhésité quelques instants, il tira une lettre de sa poche, et laprésenta à Émilie.

– J’espère que miss Moseley mepardonnera, si je me suis permis d’être le messager de son cousin,de lord Chatterton. Il m’a si vivement prié de vous remettre cettelettre, que je n’ai pas eu le courage de le refuser. Je sais quec’est prendre une grande liberté, que je risque de vous déplaire,car je n’ignore ni son amour, ni le peu d’espérance que vous luiavez laissé ; mais il était triste, il m’a paru siprofondément affecté, que j’ai craint d’irriter son mal en ne meprêtant pas à ses désirs.

Les joues d’Émilie se couvrirent d’une viverougeur, elle prit cependant la lettre sans dire un seul mot, etpendant le reste de la route tous deux gardèrent le silence ;Denbigh ne le rompit qu’au moment où il allait entrer dans la cour,et dit alors avec émotion.

– J’espère, miss Moseley, que je n’ai pasoffensé votre délicatesse. Lord Chatterton m’a fait son confidentmalgré moi. Son secret est un dépôt sacré qu’il a confié à monamitié, et que je ne trahirai jamais. Dites-moi que je n’ai pasperdu votre estime.

– Oh ! mon Dieu non, monsieurDenbigh, dit Émilie à voix basse, et les joues plus brillantes quejamais. Le cabriolet venait de s’arrêter, et elle descenditaussitôt en acceptant la main que lui présentait son frère.

– Peste ! ma sœur, s’écria John enéclatant de rire, Denbigh, à ce qu’il paraît, partage le système deFrancis : il aime à ménager ses chevaux. Grace et moi, nouspensions que vous n’arriveriez jamais. En parlant ainsi, Johnn’était pas très sincère ; Grace et lui n’avaient pas pensé unseul instant à eux ; tout entiers au bonheur de se trouverensemble, ils étaient trop occupés d’eux-mêmes pour s’occuper desautres.

Émilie ne répondit rien à sesépigrammes ; et saisissant le moment où les deux jeunes gensétaient allés donner quelques ordres pour leurs chevaux, elles’empressa de lire la lettre de Chatterton.

« Je profite du départ de mon ami,M. Denbigh, qui retourne dans le sein de l’heureuse famille delaquelle la raison me force à m’exiler, pour assurer mon aimablecousine de mon respect, et la remercier de la bonté avec laquelleelle a accueilli l’expression de sentiments qu’elle ne peut payerde retour. Si j’écrivais à toute autre femme, je lui peindrais mondésespoir toujours croissant ; mais je connais Émilie et sonbon cœur qui ne saurait connaître la coquetterie ni s’applaudir dumalheur d’un ami, et je lui dirai que, grâce aux soins tendres etfraternels de M. Denbigh, j’ai retrouvé un peu cetterésignation et ce calme que je croyais perdus pour jamais. ÔÉmilie ! vous trouverez dans M. Denbigh, je n’en doutepas, une âme, des principes semblables aux vôtres ; il estimpossible qu’il ait pu vous voir sans désirer posséder un teltrésor, et maintenant le désir le plus ardent de mon cœur serait devoir l’union de deux êtres si dignes l’un de l’autre, et auxquelsmon amitié ne pourrait souhaiter un plus grand bonheur.

CHATTERTON. »

En lisant cette lettre, Émilie se sentitpresque aussi émue que si Denbigh lui-même eût été à ses pieds,sollicitant ce cœur que Chatterton le croyait digue deposséder ; et lorsqu’elle le revit, elle osait à peineregarder en face celui que son cousin lui désignait si ouvertementcomme l’amant, comme l’époux qui lui convenait.

Les manières ouvertes de Denbigh luiprouvèrent bientôt qu’il ignorait le contenu de la lettre dont ilavait été porteur, et Émilie sentit se dissiper son embarras.

Francis revint bientôt, accompagné de sa femmeet de sa tante, et il fut enchanté de voir les nouveaux hôtes quilui étaient arrivés. Ses parents n’étaient point encore de retourde leur petit voyage, et il engagea Denbigh à rester àBolton ; John promit aussi de leur consacrer quelques jours,et tout fut arrangé à la satisfaction générale.

En toute autre occasion, Mrs Wilson n’eûtpas vu avec plaisir que des jeunes gens vinssent habiter sous lemême toit que les jeunes personnes qui lui étaient confiées ;mais son séjour chez Clara tirait à sa fin, et il pourrait luifournir l’occasion de juger le caractère de Denbigh. Quant à GraceChatterton, quoiqu’elle eût trop de délicatesse pour avoir l’air desuivre un amant, elle aimait assez à en être suivie, surtoutlorsque l’amant était John Moseley.

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