Précaution

Chapitre 5

 

L’heure de la prière vous invite au temple : que la voix puredu prêtre trouve un écho dans votre cœur ; qu’elle en chassetoute pensée mauvaise. Dieu peut vous appeler de son sanctuairecéleste, s’il vous trouve prête à paraître devant lui.

KIRKE WHITE.

Il y a dans la saison du printemps quelquechose de particulier qui dispose l’âme aux sentiments religieux.Nos facultés, nos affections sont comme engourdies pendantl’hiver ; mais le souffle bienfaisant des brises de mai vientbientôt nous ranimer, et nos désirs, nos espérances se réveillentavec la nature, qui sort de son long assoupissement. C’est alorsque l’âme, pénétrée de la bonté de son créateur, aime à franchirl’espace pour se reposer auprès de lui. L’œil aime à parcourir cesimmenses tapis de verdure qui se déploient jusqu’à l’horizon, et sefixent sur les nuages qui roulent majestueusement dans la plaineazurée ; il perd de vue la terre pour contempler notredernière demeure.

Ce fut par un de ces beaux jours que leshabitants de B*** se rendirent en foule à leur église, attirés parl’espoir d’entendre prêcher pour la première fois le fils de leurpasteur. Il n’était pas une famille un peu considérée qui ne se fûtfait un devoir d’assister à ce premier essai ; aussi lesJarvis ne manquèrent-ils pas de s’y trouver, et la voiture de sirEdward Moseley et de sa sœur s’arrêta l’une des premières à laporte de l’église.

Tous les membres de cette familles’intéressaient vivement au succès du jeune prêtre ; maisconnaissant toute l’étendue de ses talents naturels, perfectionnésencore par l’éducation, et toute la ferveur de sa piété, ilséprouvaient plutôt de l’impatience que de la crainte. Il y avaitcependant parmi eux un jeune cœur qui palpitait d’une émotion qu’illui devint presque impossible de maîtriser lorsqu’ilss’approchèrent du sanctuaire. Ce cœur franc et naïf appartenaitdepuis longtemps au jeune Francis, et à ses élans impétueux on eûtdit qu’il brûlait d’aller retrouver son maître.

L’entrée d’une congrégation dans une églisepeut fournir dans tous les temps à un observateur attentif un sujetde remarques curieuses et instructives. On aurait peine à lecroire, et cependant l’âme se révèle tout entière dans unecirconstance qui se renouvelle trop souvent pour paraître mériterde fixer l’attention. Il semble qu’en approchant l’autel du Dieu devérité, le fond de nos cœurs se manifeste jusque dans le moindremouvement extérieur, et que les consciences se montrent àdécouvert. Nous avouons sans doute que ces observations peuventparaître un peu profanes, dans un moment où des pensées plussérieuses doivent seules nous occuper ; mais qu’il nous soitpermis de jeter un coup d’œil rapide sur quelques-uns despersonnages de notre histoire, à mesure qu’ils entrent dansl’église de B***.

La figure du baron exprimait à la fois lecalme et la noblesse d’une âme en paix avec elle-même, comme avectout le genre humain ; sa démarche était ferme et assurée. Dèsqu’il fut entré dans le banc qui lui était réservé, il se mit àgenoux, et ses regards, que jusqu’alors il avait tenus baissés, sedirigèrent sur l’autel avec une expression de bienveillance et derespect qui indiquait que chez lui le contact du monde n’avaitjamais pu éteindre le sentiment d’une solide piété.

Lady Moseley suivit son mari d’un pas nonmoins assuré ; il y avait de la grâce, de la décence, dans sonmaintien, sans que cependant il parût étudié. Un voile lui couvraitla figure, mais à la manière dont elle s’agenouilla à côté de sirEdward, il était facile de voir que tout en se rappelant sonCréateur, elle ne s’était pas entièrement oubliée elle-même.

La démarche de Mrs Wilson était plusposée que celle de sa sœur. Ses yeux fixés devant elle semblaientcontempler cette éternité dont elle approchait. Sa figure,naturellement pensive, conservait la même expression, quoiqu’on pûty voir des traces d’une humilité plus profonde. Sa prière futlongue, et lorsqu’elle se releva, son corps seul semblait être dece monde ; son âme était absorbée dans des contemplationssublimes bien au-delà des limites de cette sphère matérielle.

Jane avait pris place à côté de sa mère.Clara, ordinairement si calme et si tranquille, changeait à chaqueinstant de couleur, et ses yeux distraits se dirigeaient de tempsen temps sur la chaire, comme dans l’espoir d’y rencontrer déjàcelui qu’elle brûlait d’entendre. Émilie s’était glissée auprès desa tante, et, dans son maintien modeste, dans ses regards brillantsd’innocence et d’amour, on reconnaissait l’élève deMrs Wilson.

En voyant M. Jarvis se rendre d’un airposé et réfléchi au banc de sir William Harris, on aurait pu leprendre pour un autre sir Edward Moseley ; mais le calme aveclequel il écarta les pans de son habit avant de s’asseoir,lorsqu’on aurait cru qu’il allait se mettre à genoux, la prise detabac qu’il prit tranquillement en jetant les yeux autour de luipour examiner l’édifice, n’eussent pas tardé à détromper et àconvaincre que ce qui avait paru d’abord du recueillement, n’étaitque la supputation de quelque intérêt commercial, et que saprésence était un sacrifice qu’il faisait à l’usage ;sacrifice rendu plus facile par l’épaisseur des coussins surlesquels il était assis, et par l’agrément de pouvoir du moins dansun banc étendre commodément ses jambes.

Sa femme et ses filles avaient fait unetoilette brillante, propre à faire ressortir les charmes de leurspersonnes ; et, avant de s’asseoir, elles examinèrentlongtemps les places qui leur avaient été préparés, pour aviser auxmoyens de chiffonner le moins possible leur superbe parure.

Enfin le ministre, accompagné de son fils,sortit de la sacristie. Il y avait tant de dignité dans la manièredont ce respectable ecclésiastique remplissait les fonctions de sonministère, que son aspect seul frappait de respect ceux quiassistaient aux saints offices, et les disposait à écouter avecrecueillement la parole divine. Un silence imposant régnait dansl’église, lorsque le banc réservé pour la famille du ministres’ouvrit tout à coup, et les deux étrangers qui étaient arrivés laveille au presbytère vinrent y prendre place. Tous les yeux setournèrent vers le vieillard affaibli qui semblait avoir déjà unpied dans la tombe, et n’être retenu encore sur les limites decette vie que par la tendresse vigilante de son fils. Refermantavec précipitation la porte de son banc, Mrs Yves se cacha lafigure dans son mouchoir ; et le service divin était commencédepuis longtemps, avant qu’elle eût pu se décider à la relever. Lavoix du ministre était tremblante, et trahissait une émotion qui nelui était pas ordinaire ; ce que ses paroissiens attribuèrentà la tendre sollicitude d’un père qui est au moment de voir sonfils unique montrer s’il est digne de recueillir la plus noblepartie de son héritage ; mais, dans le fond, ce troubleprovenait d’une autre cause plus puissante encore.

Après les prières accoutumées, le jeuneFrancis monta dans la chaire. Il garda un moment le silence, jetaun regard inquiet sur le banc de sa mère, et enfin commença sonsermon. Il avait pris pour sujet la nécessité de placer toute notreconfiance dans la grâce divine pour notre bonheur en cette viecomme dans l’autre. Après avoir éloquemment démontré la nécessitéde cette confiance, comme étant seule capable de nous prémunircontre les maux de l’humanité, il se mit à peindre l’espoir, larésignation, la félicité qui accompagnent une mort chrétienne.

Bientôt le jeune prêtre, s’échauffant à mesurequ’il entrait plus avant dans son sujet, s’abandonna à tout sonenthousiasme ; son regard plein de feu donnait un nouvelintérêt à ses paroles ; et, dans un moment où toute lacongrégation attentive était captivée par son éloquenceentraînante, un soupir convulsif et prolongé attira tout à couptous les yeux sur le banc du ministre. Le jeune étranger, frappé destupeur, pâle comme la mort, était debout, tenant dans ses bras lecorps inanimé de son père, qui à l’instant même venait de tombermort à ses côtés.

L’église n’offrit plus alors qu’une sorte detumulte. On arracha le jeune homme à un spectacle aussi déchirant,et le ministre l’entraîna presque sans connaissance hors del’église.

La congrégation se dispersa en silence ;on se forma en petits groupes pour s’entretenir de l’événementterrible dont ils venaient d’être les témoins. Personne neconnaissait le défunt ; on savait seulement que c’était l’amidu ministre, et on transporta son corps au presbytère.

Le jeune homme était évidemment sonfils ; mais les renseignements n’allaient pas plus loin. Ilsétaient venus dans une chaise de poste, et sans être accompagnésd’un seul domestique.

Leur arrivée au presbytère fut décrite par lesJarvis avec quelques embellissements qui ajoutèrent encore àl’intérêt, sans cependant que personne, pour pénétrer ce mystère,osât faire au docteur Yves des questions qui auraient pul’affliger.

La dépouille mortelle du vieillard fut placéesur un char funèbre qui partit du village à la fin de la semaine,sous l’escorte de Francis Yves et du fils inconsolable.

Le docteur et sa femme prirent le grand deuil,et le jour du départ de Francis, Clara reçut un billet de sonamant, qui lui apprenait que son absence durerait probablement unmois, mais qui, du reste, ne jetait aucun jour sur ce mystère.

Cependant on lut quelques jours après, sur lesjournaux de Londres, ce peu de mots, qui semblaient ne pouvoir serapporter qu’à l’ami du docteur Yves :

« Est mort subitement à B***, le 10 ducourant, George Denbigh, écuyer, à l’âge de soixante-troisans ».

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