Précaution

Chapitre 49

 

Waterloo, tombeau d’un empire !

BYRON.

Buonaparte avait déjà commencé ces mouvementsrapides et audacieux qui pour un moment mirent la paix du monde endanger, et tinrent en suspens le sort de l’Europe.

Un régiment de dragons traversait à toutebride un champ de bataille déjà inondé de sang, lorsque son colonelvit sur les hauteurs des Quatre-Bras un bataillon anglaissuccombant sous la charge pesante d’un parti de cuirassiersennemis.

À l’instant l’ordre fut donné de voler à sonsecours ; les dragons redoublèrent de vitesse, et le sonretentissant du cor anglais se fit entendre au-dessus du bruit ducanon et des cris des combattants. Comme un éclair, ou plutôt commela foudre qu’il précède, le colonel, à la tête de ses braves, tombasur les Français qui déjà se croyaient vainqueurs.

– De grâce, épargnez ma vie, s’écriait unofficier grièvement blessé en cherchant à éviter le sabre menaçantd’un Français furieux. Le colonel de dragons vit le danger qu’ilcourait, et d’un seul coup abattit le bras du cuirassier.

– Dieu soit loué ! murmural’officier qui venait de tomber sous les pieds de son cheval.

Son libérateur se précipita du sien pour lesecourir, et en le relevant pour examiner ses blessures, ilreconnut Egerton. Lorsque le baronnet rouvrit les yeux, il poussaun long gémissement en voyant que celui qui l’avait sauvé était lecomte de Pendennyss. Mais ce n’était pas le moment d’uneexplication.

Sir Henry fut transporté à l’arrière-garde, etle comte remonta à cheval. Les troupes éparses se rallièrent au sonde la trompette ; et, guidées par leur intrépide colonel,elles se précipitèrent au fort de la mêlée et se couvrirent degloire.

L’intervalle qui sépara la bataille desQuatre-Bras de celle de Waterloo fut un moment d’épreuve pour ladiscipline et pour le courage de l’armée anglaise. Les Prussiens,attaqués sur les flancs avec une ardeur incroyable, avaient étéforcés de plier ; leur déroute était complète, et en face setrouvait un ennemi brave, adroit et victorieux, conduit par legrand capitaine du siècle. Le général anglais se replia prudemmentsur la plaine de Waterloo, ce grand théâtre où allait se décider lalutte terrible qui depuis un quart de siècle avait ébranlé presquetout le globe civilisé.

C’était sur ces hauteurs, qui allaient être letombeau de milliers de braves, que le combat le plus sanglant, leplus opiniâtre, en même temps le plus décisif, devaits’engager.

Pendant cette pause solennelle, Pendennyss,libre un moment de se livrer à ses réflexions, se transporta enidée auprès de son Émilie ; il revit cette figure angélique,rayonnante de grâces et d’innocence, ce sourire enchanteur où sepeignait l’affection la plus vive ; et à cette vue son sang seglaça. Quel serait le sort de cette épouse infortunée s’il venait àsuccomber ? Pour chasser des idées aussi pénibles, et quiaffaiblissaient son courage, il tourna ses pensées vers cessentiments religieux qui seuls pouvaient lui offrir lesconsolations dont son âme ulcérée avait besoin. Dans ses autrescampagnes, le comte voyant, par le spectacle qu’il avait sans cessesous les yeux, combien est subit et imprévu le passage de la vie àla mort, y était toujours préparé, et la mort l’eût trouvé à tousles instants ferme dans sa foi et ardent dans ses espérances. Maisalors il ne tenait pas au monde par les liens les plus chers et lesplus sacrés ; il était isolé et comme perdu dans ce vasteunivers. Maintenant l’existence d’Émilie se rattachait à lasienne ; il ne vivait plus pour lui seul ; commentaurait-il pu affronter la mort si la religion ne fût encore venue àson secours, et, cachant d’une main leur séparation momentanée surla terre, ne lui eût montré de l’autre leur réunion éternelle dansle ciel ?

L’ennemi était trop près pour qu’il ne fût pasnécessaire de redoubler de vigilance sur tous les points des lignesanglaises, et pendant la nuit terrible du 17 juin, le comte etGeorge Denbigh, son lieutenant-colonel, n’eurent d’autre lit qu’unmanteau, d’autre abri que le ciel.

Dès que le bruit du canon annonça l’approchedu combat, Pendennyss s’élança à cheval, donna un dernier soupir àson épouse absente, et faisant un violent effort pour l’arracher enquelque sorte de son cœur, il fut dès ce moment tout entier à sondevoir et à son pays.

Qui ne connaît les détails de cette journéefuneste, pendant laquelle les destinées de l’Europe furent unmoment en balance ? D’un côté, l’attaque conduite avec lesang-froid du désespoir, dirigée par une expérienceconsommée ; de l’autre, la défense soutenue avec unepersévérance incroyable et un courage sans exemple.

Dans la soirée du 18, Pendennyss, qui était àcheval depuis le lever de l’aurore, mit pied à terre, après avoirreçu l’ordre d’abandonner la poursuite aux troupes prussiennes quin’avaient pas encore donné. Il éprouvait cet accablement quisuccède d’ordinaire à une agitation trop vive, et son premiermouvement fut de remercier le Ciel que cette lutte sanglante fûtenfin terminée. L’image d’Émilie vint planer alors au-dessus de cesscènes de carnage qu’il avait toujours sous les yeux ; ilrespira plus librement, et il put songer au bonheur qui l’attendaità son retour.

– Je suis envoyé vers le colonel durégiment de dragons, dit un courrier en mauvais anglais à un soldatoccupé à étriller le superbe coursier du comte ; est-ce bienici que son régiment est campé, mon ami ?

– Oui, oui, répondit le soldat sansinterrompre son travail, et il était facile de nous trouver ;vous n’aviez qu’à suivre la trace des cadavres de nos ennemis. Maisvous demandez après Milord, n’est-ce pas, mon garçon ?Devons-nous encore changer de position cette nuit ?

– Non pas que je sache, répondit lecourrier ; je suis porteur d’un message pour votre colonel, dela part d’un officier qui est mourant ; voulez-vous bienm’indiquer où je pourrai le trouver ?

Le soldat le conduisit près de Pendennyss, quiétait couché sur la terre, enveloppé dans son manteau. Dès que lecourrier se fut acquitté de sa mission, le comte se leva et demandason cheval. Précédé par le messager et suivi d’Harmer, il repassasur le sol arrosé de sang, où quelques heures auparavant tant demalheureux avaient trouvé la mort.

Quelle impression différente fait sur notreâme la vue d’un champ de bataille pendant ou après le combat !L’ardeur, le feu qui nous anime, les cris de guerre, les succèscontestés, le tumulte, la confusion inséparable entre deux arméesqui en viennent aux mains, le bruit de la mousqueterie, le son dutambour et des instruments guerriers, tout nous empêche deremarquer la scène d’horreur et de carnage qui se déploie autour denous, et soit que nous exécutions une charge brillante ou unesavante retraite, notre imagination, éblouie par l’espérance de lagloire, oublie qu’elle sera trop achetée par le sang de nossemblables.

Après l’action, cette terre jonchée decadavres, qui ne présente de toutes parts que la dévastation et lamort, ce silence effrayant de la tombe qui a succédé aux cris devictoire, de rage ou de douleur, tout nous parle des malheurs de laguerre, dépouillée de ses faux prestiges.

À la vue de ce lugubre spectacle, Pendennysstressaillit comme s’il frappait pour la première fois ses regards.Et comment voir sans émotion ces masses confuses de morts et demourants entassés de toutes parts, et à travers lesquels on avaitpeine à se frayer un passage ? Comment surtout retenir sonattendrissement en jetant les yeux sur ces hauteurs où les monceauxde cadavres, accumulés sur le même point, indiquaient l’endroit oùavaient combattu ces braves bataillons qui avaient résisté silongtemps aux efforts de la cavalerie et de l’artillerie, et quis’étaient laissé hacher à leur place plutôt que de quitter le posteque leur avait confié leur général ? Harmer, le dur Harmerlui-même, qui avait assisté à plus de vingt combats, sentit semouiller sa paupière, et le sourire de triomphe qui l’instantd’auparavant respirait sur ses lèvres fit place à un morneabattement.

Des épreuves plus pénibles encore lesattendaient à leur passage. À mesure qu’ils avançaient sur le champde carnage, des mourants rassemblaient un reste de force pourimplorer leur secours, des blessés les suppliaient de panser leursplaies. Cet appel était irrésistible, et le comte s’arrêtait àchaque pas pour secourir l’infortune. Le messager fut obligé de luirappeler qu’ils arriveraient trop tard au but de leur voyage, etqu’ils n’avaient pas un instant à perdre ; et Pendennys,mettant la main sur ses yeux pour échapper à cet horriblespectacle, se laissa conduire par son guide.

Il était dix heures avant qu’ils arrivassent àla ferme où était étendu, au milieu d’une foule de blessés, lepremier amant de Jane, et nous donnerons un court précis de sa vieet des aveux que la crainte de la mort et la reconnaissancel’engagèrent à faire au comte.

Henry Egerton, comme beaucoup d’autres de sescompatriotes, était entré de bonne heure dans le monde, sans avoirde principes qui pussent contre-balancer la légèreté ordinaire à lajeunesse, et les dangers qu’offre la société à celui qui ose s’ylancer sans expérience et sans guide. Son père, qui avait une placedu gouvernement, s’adonnait tout entier aux spéculationsartificieuses de la diplomatie. Sa mère était une femme à la modequi ne respirait que pour le monde et ses plaisirs. Tant qu’ilresta dans la maison paternelle, Egerton ne reçut, d’une part, quedes exemples d’égoïsme et de dissimulation, et de l’autre, que ceuxde la folie et des extravagances que peut inspirer à une femme legoût effréné de la dissipation.

Très jeune encore, il choisit la carrière desarmes ; le désir de la gloire séduisait, flattait sonimagination, et, par orgueil autant que par tempérament, il necraignait pas le danger. Cependant il aimait Londres et sesplaisirs plus encore que la gloire ; et l’argent de son oncle,sir Edgar, dont il devait être l’héritier, l’avait élevé au rang delieutenant-colonel, avant qu’il se fût trouvé sur un champ debataille.

Egerton avait de l’esprit et la plus viveimagination ; mais une indulgence funeste et de mauvaisexemples l’empêchèrent d’en profiter pour acquérir desconnaissances utiles ou des talents agréables, et de si heureusesdispositions ne lui servirent qu’à savoir plaire et tromper plussûrement. La vivacité de son caractère, toujours avide denouveautés et de mouvement, après l’avoir précipité dans d’autresexcès, le conduisit à une table de jeu. Une imagination brûlanteest un don bien dangereux pour un homme désœuvré et abandonné à sespassions ; s’il ne parvient pas à la maîtriser et à la dirigervers le bien, elle le conduira par une pente rapide hors dessentiers de la vertu.

Les vices se tiennent comme par la main, etils semblent ne former qu’une longue chaîne dont tous les anneauxsont indissolubles. Une sorte d’influence électrique entraîne del’un à l’autre, jusqu’à ce que nous ayons parcouru le cercle toutentier. On dirait aussi qu’il y a dans le vice une sorte demodestie qui le fait rougir de se trouver en bonne compagnie. S’ilnous est impossible de concilier un de nos penchants avec nosprincipes, nous secouons aussitôt ce joug incommode, et une fois cefrein brisé, quelle digue s’opposera au déchaînement de toutes nospassions ? Egerton, comme mille autres, n’abandonna toutes lesvertus, pour ainsi dire, qu’une à une, à mesure qu’elles gênaientses vues ou qu’elles étaient un obstacle à ses plaisirs, et, librede toute entrave, il se livra tout entier à ses penchants, évitantseulement de blesser les convenances sociales, c’est-à-dire dejeter le masque, car il ne voyait de crime que dans lescandale ; tout ce qui restait caché lui semblaitinnocent.

Lorsque son service l’appela pour la premièrefois sur le théâtre de la guerre en Espagne, et que le hasard luimontra Julia pleurant sur le corps de son mari, un sentiment degénérosité et de compassion le fit voler à son secours ; maisce sentiment, vif et rapide comme l’éclair, n’en eut que la courtedurée. Voyant en son pouvoir une jeune femme belle et sans défense,il n’écouta bientôt que la voix de ses passions, et médita saruine.

D’autant plus dangereux qu’il était aimable,Egerton avait tout ce qu’il fallait pour séduire ; son ton, satournure, ses manières, étaient attrayants ; mais sa victimesut lui résister, et ce fut alors qu’il médita l’infâme projet quel’arrivée seule de Pendennyss l’avait empêché de mettre àexécution. Tel était l’aveuglement de l’insensé (et c’est où nousconduit la fatale influence de nos passions), qu’il ne croyait pascommettre un crime, et qu’il regardait son attentat comme une deces fautes légères que tout gentilhomme peut se permettreimpunément.

Malheureux ! ignorais-tu que dans uneautre contrée, dans un pays où les lois auraient eu leur puissance,ton infâme tentative aurait pu te coûter la vie ?

Pendennyss ne s’était pas trompé. Egerton,caché dans la voiture, avait vu la figure de celui qui s’étaitinterposé entre lui et celle qu’il voulait rendre sa victime. Il nevoulut pas le tuer, à moins de nécessité absolue ; mais ilvoulait pouvoir s’échapper, et s’échapper avant d’être reconnu.Heureusement il réussit du premier coup à démonter le comte quisans cela eût été probablement sacrifié à la sûreté et à laréputation d’un homme dont l’honneur était établi sur des bases sisolides, quoique personne ne fit moins de cas cependant de l’estimedes gens de bien que le colonel Egerton.

Tandis que Julia était dans la cabane despaysans espagnols, et qu’Egerton méditait sa perfidie, il s’étaitbien gardé de laisser connaître à qui que ce fût qu’il eût unefemme sous sa protection.

Avant d’entreprendre un voyage pendant lequelil espérait exécuter ses coupables projets, il attendit que lecorps d’armée qui occupait cette partie de l’Espagne se fûtéloigné, et lui eût laissé le champ libre.

Lorsque l’arrivée inattendue de Pendennyssvint s’opposer à ses odieuses tentatives, et qu’il l’eut mis horsd’état de le poursuivre, il pensa que la fuite était le seul partiqui lui restât ; et craignant que sa voiture ne le fîtreconnaître, il l’abandonna bientôt et se jeta dans les bois. Depeur d’être découvert, il jugea prudent de changer de route ;prétextant le vif désir qu’il éprouvait de se trouver à la bataillequ’on allait livrer, il rejoignit secrètement son corps d’armée, etla valeur du colonel Egerton occupait plusieurs lignes du bulletindu lendemain.

Sir Herbert Nicholson commandait le posteavancé auquel arrivèrent le comte et dona Julia, et comme touthomme d’honneur l’eût été à sa place, il fut indigné de la conduitede l’officier fugitif. La confusion de ces temps de troubles et lescrimes qui se commettaient tous les jours sur le théâtre de laguerre empêchèrent qu’on pût découvrir ses traces. Egerton avaitété si heureux et si adroit qu’il s’était entouré d’un mystèreimpénétrable, que la rencontre de Julia eût pu seule dévoiler.

Egerton connaissait beaucoup sir Herbert, qui,pendant une conversation qu’ils eurent ensemble à la caserne deF***, lui raconta sa propre histoire ; mais le hasard fitqu’il ne nomma point le libérateur de la belle en détresse. Egertonse garda bien de laisser paraître l’intérêt qu’il prenait à cerécit ; mais, craignant de se trahir, il chercha à faireprendre un autre tour à la conversation, et il n’apprit ni le nomde celui qui avait arraché Julia de ses mains, ni ce qu’étaitdevenue cette dernière ; mais, comme il jugeait les autresd’après lui, il supposait qu’elle n’avait point gagné au change ense mettant sous la garde d’un militaire inconnu.

Il avait eu plusieurs motifs pour venir dansle Northampton d’abord il désirait se soustraire pendant quelquetemps aux poursuites de ses créanciers ; ensuite Jarvis avaitpris tout à coup une violente passion pour le jeu ; il jouaitmal, quelle bonne connaissance pour le colonel ! Enfin, dansl’état précaire de ses affaires, la fortune de miss Jarvis ne luiparaissait pas à dédaigner.

Mais dès qu’il vit les filles de sir Edward,les beautés de la Cité perdirent tout leur attrait à sesyeux ; bientôt il prit une sorte de goût pour Jane ; elleétait bien plus aimable et au moins aussi riche que les missJarvis, et puisque ses parents imprudents se contentaient de voirqu’il avait l’extérieur et les manières d’un gentilhomme, il sedétermina à en faire sa femme.

Lorsqu’il vit Denbigh pour la première fois,il ne put le méconnaître, et il lui fut impossible de cacherl’impression que lui causait sa vue. Il n’était pas sûr de n’enavoir pas été aperçu à son tour, et dans cette supposition, saréputation et sa fortune étaient au pouvoir du libérateur de Julia,qu’il apprenait enfin se nommer Denbigh.

À la manière dont celui-ci l’aborda, ilespérait lui être inconnu ; mais lorsqu’un jour sir Herbertlui reparla des malheurs de Mrs Fitzgerald, il se sentit mal àl’aise, sans trop savoir pourquoi, et, remarquant que Denbighévitait soigneusement sir Herbert, il résolut de profiter de cettecirconstance, et il dit à ce dernier, sous le sceau du secret,qu’il s’était procuré des renseignements certains sur l’aventure dedona Julia, et que son persécuteur se nommait Denbigh.

Jugeant toujours les autres d’après son cœurcorrompu, il ne doutait pas que la crainte que Denbigh laissaitpercer malgré lui de rencontrer sir Herbert ne vint de ce qu’ilavait abusé à son tour de la position critique où se trouvait sabelle protégée ; sans doute il craignait que les questions desir Herbert ne jetassent sur cette histoire un jour qui n’eût pasété avantageux pour lui :

Egerton espérait que si Denbigh n’était pasaussi coupable que lui, il l’était du moins assez pour désirer quecette affaire ne fût jamais connue d’Émilie. Le départ subit de sirHerbert le délivra de la crainte qu’une rencontre imprévue entreles deux officiers ne trahît un secret qu’il lui était si importantde cacher, et, croyant enfin qu’il allait devenir beau-frère deDenbigh, et que leurs intérêts seraient communs, il se rassura unpeu.

Comme Pendennyss avait cru se le rappeler, ilavait mis son portefeuille sur une table, après en avoir tiré lesplantes curieuses qu’il voulait montrer à Egerton. Tandis qu’ilsles examinaient ensemble, Émilie passa sous les fenêtres duparloir. Le comte sortit pour la rejoindre, et le colonel, ne levoyant pas revenir, mit le portefeuille dans sa poche pour le luirendre dès qu’il le trouverait.

Les Moseley, se conformant aux désirs deMrs Fitzgerald, ne s’entretenaient jamais qu’en famille de sasituation et de ses malheurs. Mais Jane, qui ne pouvait avoir desecret pour son amant, lui avait parlé de celle qui habitaitl’ermitage. Egerton fut sur le champ frappé de l’idée que Denbighl’avait placée là pour ne se séparer ni de sa maîtresse ni de celledont il voulait faire son épouse, et, quoiqu’il fût surpris d’unepareille audace, il résolut d’en profiter.

Tandis que Pendennyss trouvait un prétextepour ne pas se rendre à la fête, où son ami Henry Stapleton n’eûtpas tardé à trahir son incognito, Egerton méditait de consommer laruine de Julia, et il dit à Jane qu’il ne pourrait arriver que pourle bal.

Les affaires qu’il avait prétextéesl’empêchèrent de voir Denbigh pour lui rendre son portefeuilleavant sa visite à l’ermitage. Les grandes phrases qu’il débita àMrs Fitzgerald sur l’amour et la confiance, l’offre derenoncer à la femme qu’il allait épouser, la présomption qui leporta à parler des termes où il en était avec miss Moseley, toutcela n’était que des moyens préparés pour en venir à ses fins, etil croyait réussir plus sûrement auprès de Julia, en attaquant soncœur et son amour propre. Pendant l’espèce de lutte qui s’établitentre eux, tandis qu’il tâchait de l’empêcher de tirer le cordon dela sonnette, le portefeuille de Denbigh tomba de sa poche, et ilfut forcé de s’enfuir si précipitamment qu’il ne s’en aperçutpas.

Mrs Fitzgerald était trop alarmée pour leremarquer dans le premier moment, et Egerton se rendit au bal avecl’indifférence d’un criminel endurci. Les propos de M. Holt,sa conversation avec sir Edward, le convainquirent que bientôt ilallait être démasqué. Sa passion pour le jeu n’était déjà plus unmystère ; il lui serait impossible de fournir au baronnet leséclaircissements qu’il lui avait promis ; il ne lui restaitqu’un parti à prendre pour sortir de cette positiondifficile : c’était de tenter un coup de main. Miss Jarviss’était prise d’une belle passion pour lui ; elle avait unetête ardente et romanesque, il ne lui serait pas difficile de lafaire entrer dans ses projets. Il n’avait pas un instant àperdre ; il fallait brusquer la déclaration, tenter unenlèvement, sauf ensuite à apaiser le courroux des parents… Noslecteurs ont déjà vu que tout ne lui réussit que trop bien.

La blessure d’Egerton était mortelle. Peu dejours après l’entretien qu’il avait désiré avoir avec le comte dePendennyss, pour lui ouvrir toute son âme, il expira dans la mêmecabane où le comte l’avait trouvé ; heureux si son repentirtardif a pu expier ses fautes et lui mériter le pardon de celuiqu’il avait offensé tant de fois pendant sa vie !

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