Précaution

Chapitre 40

 

Vous la trouvez aujourd’hui fraîche et belle ; attendez encorequelques années ; hélas ! elles s’écoulent si vite !Vous verrez l’hiver de la vieillesse blanchir ces cheveux ondoyantsqu’on se hâtera de cacher sous une coiffe complaisante. Alors latable de jeu sera préférée aux danses de la prairie : plus detricheries en amour, mais faites attention à vos cartes.

TH.BROWN.

Le lendemain, avant de quitter Moseley-Hall,Mrs Wilson trouva le temps de s’assurer de la vérité del’histoire que lui avait racontée M. Haugthon.

Le Doyenné avait changé de maître, et unnouvel intendant était déjà arrivé pour en prendre possession aunom du nouveau propriétaire. Quel motif avait pu engager lordPendennyss à faire cette acquisition ? Mrs Wilsonl’ignorait. Peut-être était-ce le désir de se rapprocher de lordBolton ; mais quelle qu’en fût la cause, elle se croyait sûred’avoir le jeune comte pour voisin au moins pendant l’été suivant,et cette certitude lui causait un plaisir auquel elle était depuislongtemps étrangère. La satisfaction qu’elle en ressentaitaugmentait encore lorsqu’elle jetait les yeux sur sa chère Émilie,qui était sa compagne de voyage.

Le Doyenné se trouvait sur la route deLondres. Mrs Wilson vit près de la porte un domestique qui luiparut porter la même livrée que ceux qu’elle avait vus suivrel’équipage du comte ; et, impatiente de savoir quand ellepourrait espérer de voir son maître, elle fit arrêter sa voiture,et fit signe au domestique qu’elle désirait lui parler.

– Je voudrais savoir, Monsieur, quel estle nouveau propriétaire du Doyenné.

– Lord Pendennyss, répondit-il en ôtantrespectueusement son chapeau.

– Le comte n’est pas ici ? demandaMrs Wilson avec intérêt.

– Non, Madame ; je suis venuapporter quelques ordres à son intendant. Milord est dans leWestmoreland avec le duc de Derwent, le colonel Denbigh et cesdames.

– Doit-il y rester longtemps ?

– Je ne le crois pas, Madame ;presque tous les gens de Milord sont déjà à Annerdale-House, et ilest attendu à Londres avec le duc et le colonel.

Le domestique était un homme âgé quiparaissait bien instruit de tous les projets de son maître, etMrs Wilson fut enchantée de la perspective qui s’offrait devoir le jeune lord beaucoup plus tôt qu’elle ne l’avait espéréd’abord.

– Annerdale-House est donc la maison deville du comte ? demanda Émilie dès que le domestique se futéloigné.

– Oui, ma chère ; il a hérité detoute la fortune du dernier duc de ce nom : je ne sais pasprécisément de quel côté, mais je crois que c’est du côté de samère. Le général Wilson ne connaissait pas sa famille ;cependant je crois que Pendennyss porte encore un autre titre.Mais, ma chère, n’avez-vous pas remarqué à quel point sesdomestiques sont honnêtes et respectueux ? C’est encore uneprésomption favorable en faveur du comte.

Émilie sourit à ce nouveau témoignage de lapartialité de sa tante, et elle répondit :

– Votre superbe voiture et vos valetsgalonnés vous attireront le respect de tous les serviteurs que vousrencontrerez, quel que soit le rang de leur maître.

Pendant le reste du voyage la tante et la mèrereprirent bien des fois cet entretien. La première nourrissait,presque à son insu, des espérances dont elle aurait ri elle-même siun autre eût voulu les lui faire concevoir ; et la seconde,quoiqu’elle eût beaucoup de respect pour le caractère connu dujeune comte, n’en parlait souvent que parce qu’elle était sûre defaire plaisir à sa tante.

Après trois jours de voyage ils arrivèrent àla belle maison que possédait le baronnet dans Saint-James-Square,et que le bon goût et la prévoyance de John avaient abondammentfournie de tout ce qui pouvait la rendre agréable et commode.

C’était la première fois que Jane et Émilievenaient à Londres ; et sous les auspices de John et de leurmère, qui, retirée depuis longtemps à la campagne, n’était pasmoins curieuse que ses filles, elles résolurent de voir toutes lescuriosités de la capitale pendant qu’elles en avaient le temps. Lesdeux premières semaines se passèrent dans cette occupation, que lesmerveilleux et les petites-maîtresses eussent trouvée si vulgaireet de si mauvais ton, et la variété des objets vint faire unediversion favorable aux tristes pensées auxquelles les deux jeunespersonnes étaient livrées depuis plusieurs mois.

Tandis que sa sœur et ses nièces couraientaprès le plaisir, Mrs Wilson, aidée de Grace, s’occupait àétablir le plus grand ordre dans toutes les branches de l’économiedomestique, dans la maison de son frère, afin que l’hospitalitédont la famille du baronnet avait toujours fait gloire n’amenât pasla prodigalité et le désordre.

La seconde semaine après leur arrivée, toutela famille était rassemblée dans le parloir après le déjeuner,lorsque Mrs John Moseley eut le plaisir de voir arriver sonfrère donnant le bras à sa jeune épouse. Après avoir reçu lescompliments et les félicitations sincères de tous ses amis, celleque nous devons appeler maintenant lady Chatterton s’écriagaiement :

– Vous voyez, ma chère lady Moseley, quej’ai voulu bannir toute cérémonie entre nous ; et au lieu devous envoyer une carte, j’ai trouvé plus simple et plus agréable devenir vous annoncer moi-même mon arrivée. À peine Chattertonm’a-t-il permis de mettre bien vite un châle et un chapeau, tant ilétait impatient de venir.

– Vous ne sauriez me faire plus deplaisir, et je voudrais que tous nos amis en agissent de même,répondit lady Moseley du ton le plus aimable ; maisqu’avez-vous donc fait du duc ? n’est-il pas arrivé avecvous ?

– Oh ! il est parti pour Cantorbéryavec George Denbigh, Madame, dit Henriette en lançant à Émilie unregard qui peignait à la fois le reproche et l’amitié.

– Il dit qu’il ne saurait supporter en cemoment le séjour de Londres, et le colonel étant obligé de quittersa femme pour les affaires de son régiment, Derwent a été assez bonpour lui tenir compagnie pendant son exil.

– Et ne verrons-nous pas ladyLaura ? demanda lady Moseley.

– Pardonnez-moi, elle est ici ; nousattendons Pendennyss et sa sœur dans quelques jours ; ainsivous voyez que tous les acteurs seront bientôt sur la scène.

Les visites et les engagements se succédèrentbientôt chez les Moseley, et ils s’applaudirent d’avoir profité deleurs premiers loisirs pour satisfaire une curiosité bienexcusable.

Mrs Wilson avait adopté pour sa pupilleet pour elle une règle de conduite qui conciliait tous les devoirsd’un chrétien et ceux qu’impose la société.

Elles allaient dans le monde lorsque lesconvenances l’exigeaient, et se trouvaient à toutes les réunions oùleur absence eût été remarquée ; mais la pratique de lareligion n’en souffrait jamais, et surtout elles observaientreligieusement le jour du sabbat, obligation qu’il n’est pastoujours facile d’accomplir au milieu des distractions du monde,dans une capitale, et même partout ailleurs, où l’influence de lamode l’emporte sur les lois de l’Éternel.

Mrs Wilson ne poussait pas la piétéjusqu’à la bigoterie ; mais elle connaissait son devoir etl’observait rigidement. Elle y trouvait un plaisir extrême, et lamoindre déviation à la règle qu’elle s’était faite eût été pourelle un supplice insupportable. Émilie, dans l’abandon de son cœur,et avec la douce confiance de son âge, suivait en tout l’exemple desa tante, et imitait ses pratiques religieuses. Sachant toutes deuxque les tentations sont plus grandes à la ville qu’à la campagne,elles s’observèrent encore davantage pendant leur séjour à Londres,et leur vigilance faisait leur sécurité.

Un dimanche, après l’office divin, une partiede la famille s’était réunie dans le parloir pour y faire unelecture pieuse, lorsque John, qui le matin avait accompagné sesparents à l’église, entra précipitamment ; il venait cherchersa femme ; il avait fait mettre ses chevaux bais à sonphaéton, et il avait l’intention d’aller faire un tour à Hyde-Park,où tout le beau monde était rassemblé.

Grace, comme nous l’avons dit, depuis sonvoyage en Portugal, avait une véritable religion, tandisqu’auparavant, élevée sous ce rapport avec une indifférencecoupable, elle n’en avait eu que les apparences. Sa ferveur s’étaitencore augmentée depuis lors par la sage direction du docteur Yveset de Mrs Wilson ; mais elle n’était pas encore assezvive pour être à l’abri de toute atteinte, et il n’eût pas fallu detrop fortes secousses pour l’ébranler. À la proposition de son marielle répondit avec douceur :

– Mais c’est dimanche, mon cherMoseley.

– Croyez-vous que je ne le sachepas ? s’écria John avec gaieté ; c’est le beau jour, toutLondres y sera ; quel plaisir nous allons avoir !

Grace déposa son livre.

– Ah ! Moseley, lui dit-elle en leregardant tendrement, vous devriez donner un meilleurexemple !

– Et quel meilleur exemple voulez-vousque je donne ? repartit John avec affection. En montrantpartout une épouse accomplie, n’est-ce pas indiquer la route quiconduit au bonheur ?

Ces paroles furent prononcées avec ce ton desincérité qui distinguait Moseley. Grace fut plus flattée ducompliment qu’elle n’aurait voulu l’avouer, et John ne disait quece qu’il pensait ; car son unique pensée, pour le moment,était de produire sa femme, et de faire partager à tout le mondel’admiration qu’elle lui inspirait.

Le mari avait trop d’éloquence pour ne pasl’emporter ; d’ailleurs Grace l’aimait si tendrement !Elle monta dans le phaéton à côté de lui, à peu près résolue àprofiter de l’occasion pour lui faire un beau sermon sur des objetssérieux ; mais cette résolution eut le sort de toutes cellesqui sont formées par suite d’une espèce de compromis avec nosdevoirs… Elle fut oubliée l’instant d’après.

Grace voulut essayer, en abandonnant sesoccupations sérieuses pour se prêter à ses folies, de le ramener àses sentiments ; mais l’épreuve eut une issue bien différente.Au lieu de le convertir, ce fut elle qui se laissa entraîner, et lesermon qu’elle avait préparé expira sur ses lèvres.

Mrs Wilson avait écouté attentivement laconversation de John et de Grace, et dès qu’ils furent partis, elledit à Émilie, avec laquelle elle était restée seule :

– Voilà pourtant ce qui arrive, monenfant, lorsque le mari et la femme n’ont pas les mêmes principesreligieux. John, au lieu d’encourager Grace à remplir son devoir,parvient, comme vous le voyez, à l’en détourner.

Émilie sentit la force de la remarque de satante ; elle en reconnaissait la justesse ; cependant sonamour pour le coupable lui fit hasarder de dire :

– John respecte la religion, matante ; il est incapable de pervertir Grace, et cette offensen’est pas impardonnable.

– Non, sans doute, mais ce n’en est pasmoins une infraction expresse aux ordres du Seigneur ; c’estne vouloir pas même observer les dehors de la religion. J’aime àcroire que John n’a écouté que sa légèreté naturelle, et qu’il n’apas vu les conséquences de sa conduite. S’il ne change pas, etqu’il ne se montre pas bon chrétien, j’ai bien peur que la pauvreGrace n’ait de la peine à se maintenir dans ses bonnes résolutions.Mrs Wilson secoua la tête d’un air pensif, et Émilie fit uneprière mentale pour ce qu’elle appelait la conversion de sonfrère.

À son arrivée, lady Laura s’était empressée devenir rendre visite aux Moseley ; elle leur avait appris queson mari était nommé membre du parlement, et qu’il venait deprendre une maison à Londres. Ils virent bien qu’il serait presqueimpossible d’éviter de le rencontrer, puisqu’ils ne pouvaients’empêcher de répondre, au moins par des visites éloignées, àl’empressement que lady Laura leur témoignait, et ils n’auraient puse conduire autrement sans se faire tort à eux-mêmes ; car lemonde, toujours disposé à médire, n’eût pas manqué de publierbientôt que la manière d’être de la famille Moseley envers un hommeauquel elle avait de si grandes obligations ne venait que du dépitqu’elle éprouvait de ce qu’il n’avait pas choisi une femme dans sonsein.

Si le baronnet eût été instruit de la fataledécouverte que sa sœur avait faite, il eût cherché à éloigner toutrapprochement avec la famille de Denbigh ; mais la discrétiondont Mrs Wilson et Émilie s’étaient fait un devoir lesexposait non seulement aux avanies de lady Laura, mais encore audésir qu’éprouvait toute la famille d’y répondre, et elles sesoumirent aux épreuves qui peut-être les attendaient, avec unchagrin qu’adoucissait un peu leur respect pour lady Denbigh etleur pitié pour sa confiance abusée.

Une parente éloignée de lady Moseley désirantdonner une fête où elle comptait rassembler ses amis, s’empressad’y faire inviter son vénérable parent, M. Benfield, aussitôtson arrivée à Londres. Si ce fut seulement parce que la dame serappela qu’il était cousin de son père, ou si ce souvenir futappuyé de celui des codiciles que les gens âgés ajoutentquelquefois à leur testament, c’est ce que nous n’entreprendronspas de décider : quoi qu’il en soit, le vieillard fut flattéde l’invitation qu’il reçut ; il était encore trop galant pourne pas se rendre à l’appel d’une dame, et il consentit àaccompagner chez elle le reste de sa famille.

Lorsqu’ils arrivèrent, toute la société étaitdéjà rassemblée ; lady Moseley fut mise à une partie dequadrille, et les jeunes gens se livrèrent aux plaisirs de leurâge. Émilie, désirant se soustraire à la gaieté bruyante d’unefoule de jeunes gens qui s’étaient rassemblés autour de sa tante etde sa sœur, offrit son bras à M. Benfield, qui désirait fairele tour des salons.

Ils erraient de l’un à l’autre sanss’apercevoir de l’étonnement qu’excitait la vue d’un homme de l’âgeet du costume de M. Benfield, appuyé sur le bras d’une jeuneet charmante personne, et sans même entendre les exclamations desurprise et d’admiration qu’on laissait échapper autour d’eux,lorsque enfin Émilie, craignant que la foule n’incommodât sononcle, l’entraîna doucement vers un salon écarté, destiné auxtables de jeu, où l’on circulait un peu plus librement.

– Ah ! chère Emmy, dit le vieuxgentilhomme en s’essuyant le front, que les temps sont changésdepuis ma jeunesse ! on ne voyait point alors une foulesemblable resserrée dans un si petit espace, les hommes coudoyantles femmes, et, oserai-je le dire, chère Emmy, les femmeselles-mêmes coudoyant les hommes, comme je viens d’en êtretémoin.

M. Benfield prononça cette dernièrephrase à voix basse, comme s’il eût craint qu’on entendît un telblasphème.

– Je me rappelle, continua-t-il, quependant une fête donnée par lady Gosford, quoique je puisse dire,sans vanité, que j’étais un des hommes les plus galants de lasociété, il ne m’arriva pas d’effleurer même du bout du doigt larobe ou même le gant d’aucune dame, si ce n’est pourtant que jedonnai la main à lady Juliana pour la conduire à sa voiture.

Émilie sourit, et ils se promenèrent lentementau milieu d’une longue rangée de tables, jusqu’à ce qu’ils fussentarrêtés par une partie de wisk qui interceptait le passage, et quiattira leur attention par la différence d’âge et d’humeur qui sefaisait remarquer entre ceux qui la composaient.

Le plus jeune des joueurs était un homme devingt-cinq à vingt-six ans, qui jetait ses cartes avec un air denégligence et d’ennui, et qui jouait avec les guinées qui servait àmarquer les points. Il lançait à la dérobée des regards d’envie surles scènes plus animées qui se passaient dans les salons voisins,et l’impatience qu’exprimaient toutes ses manières prouvait assezqu’il n’attendait qu’une occasion de s’échapper de sa prison, et dequitter une ennuyeuse partie pour rejoindre les jeunes gens de sonâge dont la vue lui faisait éprouver le supplice de Tantale.

Son partner était une femme dont il eût étédifficile de dire l’âge : on lisait dans ses yeux qu’ellen’était pas disposée à résoudre ce problème, et qu’il n’aurait sasolution que lorsque son extrait mortuaire viendrait divulguer aumonde une vérité si longtemps contestée. Son regard errait aussi detemps en temps dans les autres salons, mais c’était pour avoiroccasion de censurer des plaisirs qu’elle ne pouvait plus partager,et ces moments de distraction ne l’empêchaient pas de tâcher deréparer par son adresse la négligence de son associé. Elle comptaitd’un air de convoitise les points de ses antagonistes, etl’attention que portait son voisin de droite à tous ses mouvementsprouvait qu’il croyait sa surveillance utile aux intérêtscommuns.

Ce voisin pouvait avoir environ soixante ans,et la forme de son vêtement noir annonçait qu’il étaitecclésiastique. L’attention qu’il apportait au jeu venait plutôt del’habitude qu’il avait de réfléchir, que du désir de gagner ;et si un léger sourire animait sa physionomie, ordinairement grave,lorsqu’il remportait quelque avantage, on pouvait l’attribuer à lasatisfaction qu’il éprouvait en voyant déjouer les artifices demiss Wigram.

Le quatrième acteur d’une partie sisingulièrement composée était une vieille dame qui avait la maniede porter un costume qui eût été plus convenable pour sapetite-fille. Elle paraissait mettre au jeu le plus vifintérêt ; et entre elle et le jeune homme s’élevait une hautepile de guinées qui paraissait être sa propriété exclusive ;car plusieurs fois elle en jeta une ou deux sur la table, comme sonenjeu des paris qu’elle proposait sur le point ou sur la partie,paris que la négligence du jeune homme lui faisait presque toujoursgagner.

– Double et rob ! mon cherdocteur, s’écria la vieille dame d’un air de triomphe. – SirWilliam, vous me devez dix guinées.

Elles furent payées avec autant de facilitéqu’elles avaient été gagnées, et l’antique douairière se mit àrégler les dernières gageures qu’elle avait faites avec missWigram.

– C’est encore deux guinées, je crois,Madame, dit-elle après avoir compté avec soin la rétribution decette dernière.

– Je crois vous avoir donné votre compte,Milady, répondit miss Wigram avec un regard qui voulait dire :prenez cela, ou vous n’aurez rien.

– Je vous demande pardon ; ma chère,mais vous ne me donnez que quatre guinées, et vous devez vousrappeler que vous m’en devez cinq pour le rob et une pour notredernier pari. Docteur, oserais-je vous prier de m’avancer deuxguinées sur celles que miss Wigram a mises en réserve auprès devous ? je suis impatiente de me rendre à la soirée de lacomtesse.

Le docteur, pour se faire payer, avait étéobligé d’avoir recours à la réserve dont parlait la vieille dame,et il s’applaudissait d’avoir réussi à empêcher par sa surveillancela tricherie qu’il soupçonnait ; mais miss Wigram, qui n’avaitpas osé s’opposer à ce que le docteur se payât, voulut essayer aumoins de défendre le reste de son enjeu, et elle s’écria avecvéhémence :

– Mais Votre Seigneurie oublie les deuxguinées qu’elle a perdues contre moi chez Mrs Howard.

– Non, ma chère, si je les ai perdues, jevous les ai payées, répondit la vieille très vivement ; et,malgré les efforts de son adversaire, elle s’empara des deuxguinées contestées.

M. Benfield et Émilie étaient restés lestémoins silencieux de toute cette scène, la jeune fille, ne pouvantrevenir de la surprise que lui causaient de semblables manières, etson oncle accablé sous le poids de sentiments difficiles à décrire,car dans les traits flétris et enflammés par la colère de lavieille joueuse il avait reconnu les restes de sa Juliana,maintenant la vicomtesse douairière d’Haverford.

– Sortons, chère Emmy ! dit levieillard en poussant un profond soupir, comme s’il se fût éveilléd’un long sommeil, et qu’il eût regretté le songe qui l’avaitcharmé, sortons à l’instant. Le fantôme qu’il avait adoré pendantquarante ans s’était évanoui devant la réalité ; et son cœursouffrait d’avoir reconnu dans cette vieille joueuse acariâtrecelle que son imagination malade se plaisait depuis si longtemps àparer de toutes les vertus.

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