Précaution

Chapitre 33

 

ÔBath, ville illustrée par le règne de Beau Nash, rendez-vous desjoueurs, des fripons et des fats, je te salue, capitale desmondes !

ANSTEY. Le Guide de Bath.

En prenant congé de Mrs Fitzgerald,Émilie et sa tante lui firent promettre de leur écrire ;l’amitié qu’elles avaient conçue pour la jeune veuve était encoreaugmentée, et c’était avec peine qu’elles la laissaient dansl’isolement où elle persistait à vouloir se renfermer. Le généralMaccarthy était reparti pour l’Espagne sans avoir rien changé à sespremières propositions, et laissant sa nièce livrée à une douleurd’autant plus amère qu’un instant elle avait cru en entrevoir leterme.

M. Benfield, contrecarré dans l’un de sesprojets favoris, dans celui que peut-être il avait eu le plus àcœur de voir réussir, et d’où il faisait dépendre le bonheur dureste de sa vie, refusa obstinément d’être du voyage lorsque sirEdward lui proposa de les accompagner à Bath ; et Yves étantretourné à Bolton avec Clara, le reste de la famille descendit àl’hôtel que John lui avait retenu peu de jours après l’entrevuerapportée dans le chapitre précédent. Aucun de ses membres n’étaitdisposé à prendre beaucoup de part aux plaisirs qui se trouventréunis à Bath dans la saison des bains ; mais lady Moseleyavait témoigné le désir de paraître encore une fois sur ce grandthéâtre de la mode, au milieu de ce rendez-vous général de lameilleure société ; et ses enfants s’étaient fait, comme sonépoux, un devoir de lui obéir.

Lady Moseley y trouva un grand nombre deconnaissances, qui toutes se firent une fête de revoir son aimablefamille ; les visites se succédèrent, et elle se voyait tousles jours entourée d’un cercle aussi brillant que nombreux.

Sir William Harris, le propriétaire duDoyenné, qui autrefois avait été leur voisin, fut des premiers avecsa fille à venir renouer connaissance avec ses anciens amis.

Sir William jouissait d’une grande fortune etd’une réputation irréprochable ; mais il se laissaitentièrement gouverner par les caprices et les fantaisies de safille unique. Caroline Harris ne manquait ni d’esprit ni debeauté ; mais elle savait qu’elle était riche, et elle avaitporté trop haut ses prétentions. Elle avait d’abord visé à lapairie, et comme elle croyait pouvoir consulter son goût aussi bienque son ambition, elle n’avait pu réussir ; aucun cœur n’avaitvoulu se laisser prendre à ses filets, peut-être parce qu’elle neles tendait pas avec assez d’adresse : car, loin d’être prudeou coquette, elle s’était fait une réputation toute contraire. Aumilieu de ces tentatives inutiles, elle avait atteint l’âge devingt-six ans, et elle commençait alors à prendre un vol un peumoins élevé, et à ne porter ses vues que sur la chambre descommunes.

Sa fortune lui aurait fait aisément trouver unmari de ce côté, mais elle voulait encore choisir ; elle semontrait difficile. Encore quelques années, et ceux qu’ellerebutait alors la dédaigneront à leur tour. Elle connaissait depuisl’enfance les miss Moseley, quoiqu’elle eût quelques années de plusqu’elles, circonstance à laquelle elle ne faisait jamais allusionsans une absolue nécessité.

L’entrevue entre Grace et les Moseley futtendre et sincère. John ne se sentait pas de joie en voyant cellequi allait devenir sa femme, pressée entre les bras de tous ceuxqu’il aimait ; et la rougeur et les douces larmes de Graceajoutaient encore à sa beauté.

Jane perdit l’air de contrainte et de froideurqui lui était devenu habituel, en embrassant sa sœur future, etelle prit la résolution de reparaître avec elle dans le monde, afinde montrer au colonel Egerton qu’elle n’était pas triste etlanguissante, comme son amour propre le lui persuadait sansdoute.

La douairière était dans son centre ;elle passait toutes ses journées à régler avec lady Moseley lespréparatifs de la noce ; mais cette dernière avait tropsouffert des chagrins de Jane et d’Émilie pour la seconder avec lavivacité et la gaieté que lui eût inspirée, six mois auparavant,l’approche du mariage de son fils.

Après un délai bien court, mais que Johntrouva encore long, toutes les publications se trouvant terminées,Francis et Clara arrivèrent, et John et Grace furent unis dans unedes principales églises de Bath.

Chatterton avait aussi assisté aumariage ; et la même gazette, qui donnait les détails de lanoce, annonçait l’arrivée aux eaux du duc de Derwent et de sa sœur,du marquis d’Eltringham et de ses sœurs, au nombre desquelles étaitlady Laura Denbigh. La douairière, qui lisait ce paragraphe, ajoutaqu’elle avait entendu dire que le mari de cette dernière étaitresté près d’un vieux parent très malade, dont, il attendait unegrande fortune. Émilie avait changé plusieurs fois de couleur enentendant parler de Denbigh, mais elle fit tous ses efforts pourécarter de son imagination des souvenirs trop dangereux, et bientôtelle reprit au moins l’apparence de la sérénité.

Jane et Émilie se trouvaient placées toutesdeux dans une position bien délicate ; elles avaient besoind’appeler à leur secours toute leur force de caractère, car ellesétaient exposées à rencontrer tous les jours et à toute heure,l’une son ancien amant, l’autre la femme de celui qu’elle avaittant aimé, et que, malgré tous ses efforts, elle aimait encore.

Jane était soutenue par sa fierté, et Émiliepar ses principes. L’aînée, dans les lieux de réunion, se tenaittoujours à l’écart, pour éviter tout contact avec ceux qu’ellehaïssait maintenant, et elle se montrait toujours froide etcontrainte. Sa sœur, douce, humble et réservée, n’en était que plusséduisante. Le dépit et le désappointement de l’une étaientsoupçonnés de tous ceux qui l’approchaient, tandis que la douleurprofonde de l’autre n’était connue que de ses plus chers amis.

La première rencontre que craignaient les deuxsœurs eut lieu dans le salon où se réunissaient chaque soir lesétrangers que la saison des eaux amenait à Bath, et où les deuxmères désirèrent présenter la jeune mariée.

En entrant dans le salon, les premièrespersonnes qu’elles aperçurent furent les Jarvis. Lady Jarviss’empressa de venir saluer les dames, toute fière de pouvoir faireétalage devant elles de son titre et de son gendre ; son mariapprocha aussi d’un air respectueux de ses anciens voisins. Lapremière fut reçue avec une politesse froide, et son mari avec unefranche cordialité. Egerton, sa femme et miss Jarvis saluèrent deloin ; le colonel se retira aussitôt après dans un autre coinde l’appartement, et son absence seule empêcha Jane de s’évanouir.Sa fierté n’eût pu supporter plus longtemps de voir le bel Egertonprès de Marie Jarvis, qui avait l’air de la narguer ; et soncœur se révoltait en revoyant l’homme dans lequel elle avait crutrouver le fantôme de perfection idéale qu’elle poursuivait depuislongtemps.

– En vérité, lady Moseley, dit l’anciennemarchande, sir Timo et moi, j’ose dire aussi sir Henry et ladyEgerton, nous sommes enchantés de vous voir à Bath.Mrs Moseley, permettez-moi de vous faire mon compliment, ainsiqu’à lady Chatterton ; j’espère qu’elle me reconnaîtmaintenant ; je suis lady Jarvis. Monsieur Moseley, jeregrette bien pour vous que mon fils, le capitaine Jarvis, ne soitpas ici : vous vous aimiez tant, et vous aviez tant de plaisirà chasser ensemble.

– Assurément, milady Jarvis, réponditJohn d’un air railleur, c’est une très grande perte pour moi ;mais je présume que le capitaine est devenu maintenant trop bontireur pour que j’ose aller de pair avec lui.

– Il est vrai qu’il réussit dans tout cequ’il entreprend, dit la dame d’un air satisfait, et j’espère qu’ilapprendra bientôt comme vous à se servir des flèches de Cupidon.L’honorable Mrs Moseley me paraît jouir d’une bien bonnesanté.

Grace s’inclinait en ne pouvant s’empêcher desourire de l’espèce de comparaison que lady Jarvis voulait établirentre son cher John et le lourd capitaine, lorsqu’une personneplacée derrière elle attira l’attention de toute la famille endisant :

– Henriette, vous avez oublié de memontrer la lettre de Marianne.

C’était le son de voix de Denbigh. Émilietressaillit malgré elle, et tous les yeux, excepté les siens, setournèrent vers celui qui avait parlé.

Il était assez près des Moseley, donnant lebras à deux jeunes dames ; un second coup d’œil fut nécessairepour leur prouver qu’ils s’étaient trompés. Ce n’était pointDenbigh, mais un jeune homme qui avait absolument la même taille,les mêmes manières et presque les mêmes traits que lui ; deplus, il possédait aussi cette voix douce et sonore qu’on nepouvait oublier dès qu’on l’avait entendue. Ils s’assirent toustrois près des Moseley et continuèrent leur conversation.

– Je crois vous avoir entendu dire quevous avez eu aujourd’hui des nouvelles du colonel ? dit lejeune homme à celle de ses compagnes qui s’était placée prèsd’Émilie.

– Oui, mon cousin, et c’est uncorrespondant très exact, je vous assure ; il m’écritrégulièrement tous les deux jours.

– Comment se porte son oncle,Laura ? demanda l’autre dame.

– Un peu mieux ; mais, mon cher duc,faites-moi le plaisir de voir où est le marquis et miss Howard.

– Ramenez-les-nous, ajouta sacompagne.

– Sans doute, reprit la première enriant, et je vous assure qu’Eltringham vous en sera pour le moinsaussi obligé que moi. Quelques instants après, le duc revintaccompagné d’un jeune homme d’environ trente ans, et d’une dame àqui on pouvait en donner cinquante sans lui faire tort.

Pendant cette courte conversation, que lesMoseley se trouvaient à portée d’entendre, et qui excitait tout àla fois leur curiosité et leur surprise, Émilie jeta un coup d’œilà la dérobée sur celui qu’on appelait le duc, et elle seconvainquit que ce n’était pas Denbigh : elle se sentit un peusoulagée ; mais quel fut son étonnement quand elle découvritque la dame qui était assise près d’elle était la femme de celuidont elle s’était crue aimée ! La pauvre Émilie avait une âmetrop noble pour éprouver une vile jalousie ; et, lorsqu’elleput se tourner sans affectation du côté de lady Laura, elleconsidéra avec un plaisir mélancolique ces traits charmants quiportaient l’empreinte de la douceur et de la franchise. Au moins,se dit-elle, j’espère qu’il s’amendera ; et, s’il s’amende, ilpeut encore être heureux.

Ce souhait généreux lui était inspiré parl’amour et par la reconnaissance, sentiments bien difficiles àarracher d’un cœur où ils ont pris racine. John ne voyait cesnouveaux venus qu’avec un déplaisir qu’il ne pouvait surmonter, etil se douta que miss Howard était la vieille fille de noce contrelaquelle lord Henry s’était vainement récrié lorsqu’on avait soumisce choix à son approbation.

Lady Jarvis, étonnée de se trouver rapprochéede personnes d’une si haute distinction, se retira à peu dedistance pour étudier leurs manières et tâcher d’en faire sonprofit ; tandis que la douairière lady Chatterton, à la vued’un duc et d’un marquis qui étaient encore à marier, soupiraitprofondément en pensant qu’il ne lui restait plus de fille àpourvoir. Le reste de la société les regardait avec curiosité etécoutait avec intérêt leurs moindres paroles.

Deux ou trois jeunes personnes, suivies dequelques jeunes gens, vinrent joindre lady Laura et sa compagne, etla conversation devint générale. Les dames refusèrent dedanser ; mais elles passèrent une heure à causer et à examinerla société qui les entourait.

– Ô William ! s’écria une des jeunespersonnes, voilà votre ancien ami, le colonel Egerton.

– Mon ami ! répondit son frère ensouriant d’un air dédaigneux ; heureusement il ne l’estplus.

– Il a une bien mauvaise réputation, ditle marquis d’Eltringham, et je vous conseille, William, de ne pasrenouveler connaissance avec lui.

– Je vous remercie, marquis, réponditlord William ; je le connais trop maintenant pour devenir sadupe.

Jane avait eu bien de la peine à maîtriser sonémotion pendant ce peu de mots. Tandis que sir Edward et sa femmedétournaient la tête par un mouvement simultané, comme accabléssous le poids des reproches qu’ils se faisaient, leurs yeux serencontrèrent ; ils virent qu’ils reconnaissaient en mêmetemps leur imprudence, et ils semblèrent prendre l’engagementtacite d’être moins confiants à l’avenir.

Mrs Wilson avait bien des fois gémi ensilence de l’inutilité des conseils qu’elle leur avait donnés surce qu’elle regardait comme le devoir des parents envers leursfilles ; mais depuis que ses tristes pressentiments s’étaientréalisés, jamais elle n’avait voulu, par des reproches devenusinutiles, ajouter à leurs trop justes angoisses.

– Quand verrons-nous doncPendennyss ? demanda le marquis ; j’espérais qu’ilviendrait ici avec George. Puisqu’il nous délaisse à ce point, j’aienvie d’aller le surprendre dans le pays de Galles. Qu’endites-vous, Derwent ?

– C’est aussi mon intention, milord, sije puis décider ma sœur à quitter sitôt les plaisirs de Bath. Qu’enpensez-vous, Henriette ? êtes-vous disposée à vous mettre sitôt en route ? Ces mots furent accompagnés d’un sourire simalin que tous les yeux se portèrent sur celle à qui il étaitadressé.

– Je suis prête à vous suivre à l’instantsi vous le désirez, Frédéric, se hâta de répondre lady Henriette enrougissant beaucoup.

– Mais où est Chatterton ? demandasir William ; il doit être à Bath ; une de ses sœurs s’yest mariée la semaine dernière.

Le mouvement que fit Grace en entendantprononcer le nom de son frère attira l’attention du duc et de sesamis sur la famille réunie près d’eux.

– Quelle charmante personne est assiseprès de vous ! dit le duc à l’oreille de lady Laura.

Cette dame sourit en lui faisant signe par uncoup d’œil expressif qu’elle partageait son opinion ; maisÉmilie, qui était trop près pour n’avoir pas entendu la remarque deDerwent, se leva en rougissant, et proposa à sa mère et à sa tantede faire un tour de salon.

Chatterton entra quelques minutes après.Depuis longtemps il avait avoué à Émilie qu’après le refus formelqu’elle avait fait de sa main, tous ses efforts avaient eu pour butd’arracher de son cœur une passion qui ne lui permettait plus lebonheur ; mais son estime, son respect et son amitié étaienttoujours les mêmes. Il ne lui parla plus de Denbigh, et elle luisut gré de sa délicatesse.

Les Moseley venaient de commencer leurpromenade autour du salon lorsque Chatterton entra. Il s’empressade se joindre à eux. Bientôt lady Laura et sa société se levèrent àleur tour, et Chatterton courut les saluer ; il parut enchantéde les voir. Le duc avait beaucoup d’amitié pour lui, et l’émotionque fit paraître lady Henriette en le voyant fit penser à tous sesamis que son frère ne s’était pas trompé en doutant qu’elle voulûtsitôt quitter Bath.

Après quelques moments de conversation, le ducet ses amis députèrent Chatterton auprès de la familleMoseley ; et son ambassade ayant été reçue comme elle devaitl’être, il se chargea de présenter les deux sociétés l’une àl’autre.

Lady Henriette et lady Laura témoignèrent àÉmilie la plus aimable bienveillance ; elles se placèrent prèsd’elle, et Mrs Wilson fut frappée de la préférence qu’ellesmarquaient pour sa nièce. La beauté touchante et les manièresvraiment aimables d’Émilie en étaient-elles seules la cause, oudevait-elle attribuer à des motifs plus puissants le désir queparaissaient avoir les deux cousines de se lier avec sapupille ?

Mrs Wilson avait entendu dire queChatterton faisait la cour à lady Henriette ; lady Laura étaitla femme de Denbigh : était-il possible qu’elles fussentdevenues les confidentes des premières amours des hommes qu’ellesaimaient ? Cette supposition était au moins singulière, et laveuve jeta un regard d’admiration et de pitié sur l’air deconfiance et de bonheur de la jeune femme, qui se croyait si sûrede la tendresse de son mari.

Émilie était un peu embarrassée desprévenances des deux cousines, surtout de celles de ladyLaura ; mais elles paraissaient être de si bonne foi, leuramabilité était si entraînante, que bientôt Émilie ne pensa plusqu’à répondre comme elle devait à leur bienveillance.

La conversation devint plusieurs foisembarrassante pour la famille du baronnet, et par moments bienpénible pour ses filles.

Vers la fin de la soirée ils s’étaient assisen cercle tous ensemble à quelque distance du reste de la société,et de manière à voir tout ce qui se passait dans le salon.

– Mon frère, dit lady Sarah Stapleton,dites-moi donc quelle est cette femme qui est assise auprès ducolonel Egerton, et qui a un air si commun ?

– Ce n’est rien moins que lady Jarvis, labelle-mère de sir Henry Egerton et l’épouse de sir Timo, réponditle marquis avec un ton de gravité comique qui amusa beaucoup sessœurs.

– Egerton est marié ! s’écria lordWilliam ; quelle est la malheureuse qui lui a donné samain ? C’est l’amoureux des onze mille vierges, et il se faitun jeu de tromper toutes les femmes. Toutes les richesses del’Angleterre n’auraient pu me décider à lui laisser épouser une demes sœurs.

– Ah ! pensa Mrs Wilson enentendant cette diatribe, combien nous pouvons être trompées sur lecaractère d’un homme, quelques précautions que nous ayons puprendre ; et que sont les travers connus d’Egerton près desvices cachés et de l’hypocrisie consommée de Denbigh !

La manière dont sir William venait des’expliquer sur Egerton avait été bien pénible à quelques-uns deses auditeurs, à qui elle avait rappelé de cruels souvenirs dedevoirs négligés et d’affections déçues.

Sir Edward Moseley était disposé par caractèreà juger toujours favorablement son prochain, et c’était autant parbonté d’âme et par philanthropie que par indolence qu’il avait prissi peu de peine pour connaître ceux qui avaient compromis lebonheur de ses filles ; mais, après avoir vu les fatalesconséquences de sa conduite, il était trop bon père pour ne pasprendre la résolution d’être plus prudent à l’avenir ;résolution tardive, puisque celles dont il voulait protéger lebonheur n’avaient que trop appris à leurs dépends à se tenirelles-mêmes sur leurs gardes.

Pendant le reste de la soirée lady Lauracontinua à s’entretenir avec Émilie, dont le cœur fut mis plusd’une fois à une cruelle épreuve durant cette conversation.

– Mon frère Henry, qui est capitaine demarine, dit lady Laura, a déjà eu le plaisir de se trouver avecvous ; et il m’a parlé tant de fois de miss Émilie Moseley,que je vous connaissais avant de vous avoir vue.

– J’ai dîné à L*** avec lord Henry,répondit Émilie, et j’ai gardé un souvenir fort agréable desattentions sans nombre qu’il a eues pour nous toutes pendant unepetite excursion que nous avons faite sur mer.

– Oh ! je suis sûre, quoi que vousen disiez, que ces attentions n’étaient pas les mêmes pour toutes,car il m’assura que, s’il en avait eu le temps, il serait devenuamoureux à en perdre la tête. Il eut même l’audace de dire àDenbigh, en ma présence, qu’il était heureux pour moi qu’il ne vouseût jamais vue, parce que sans cela j’aurais couru grand risque derester fille toute ma vie.

– Et je suppose que vous n’en doutez plusmaintenant, s’écria son frère William en souriant.

Laura sourit à son tour, mais sa doucephysionomie exprimait la confiance sans bornes qu’elle avait dansla tendresse de son mari, elle reprit :

– Le colonel répondit qu’il n’avaitjamais eu le plaisir de voir miss Moseley : ainsi je ne puisme vanter de mon triomphe. Lady Laura rougit un peu en s’apercevantdu penchant qui la portait toujours à ramener la conversation surson mari, et ajouta :

– J’espère, miss Moseley, avoir bientôtle plaisir de vous présenter le colonel Denbigh.

– Je crois, dit Émilie en pâlissant et enfaisant un violent effort sur elle-même, que le colonel Denbighs’est trompé en disant qu’il ne m’avait jamais vue ; il m’arendu un grand service ; j’ai contracté envers lui la dette dela reconnaissance, et je voudrais pouvoir l’acquitter.

Émilie s’arrêta. Lady Laura l’avait écoutéeavec surprise ; mais il était question d’un service rendu parson mari ; sa délicatesse s’opposait à ce qu’elle demandât enquoi il consistait, et après avoir hésité un moment, ellereprit :

– Henry ne nous parlait que devous : lord Chatterton, pendant une visite qu’il vint nousfaire à la campagne, renchérissait sur ses éloges avec plus dechaleur encore ; et je crois qu’ils ont inspiré une vivecuriosité au duc et à Pendennyss de voir leur charmante idole.

– Ce serait une curiosité bien maljustifiée, dit Émilie, confuse de s’entendre faire des complimentssi directs.

– Miss Moseley est trop modeste poursavoir à quel point l’imagination la plus vive était encore loin dela réalité, dit le duc de Derwent de ce ton doux et insinuant quiétait particulier à Denbigh. Le cœur d’Émilie battitvivement ; bientôt elle se reprocha le plaisir avec lequelelle avait écouté le duc. Avait-il été causé par l’opinionflatteuse qu’il exprimait, ou par le son de sa voix ? Ellecraignait de se l’avouer ; mais, reprenant bientôt son empiresur elle-même, elle dit d’un ton de dignité propre à mettre fin auxlouanges qui l’embarrassaient :

– Je prie Votre Grâce de ne pas chercherà porter atteinte à la modestie qu’elle veut bien m’attribuer.

– Pendennyss est un homme comme on n’envoit pas, reprit lady Laura ; je voudrais bien qu’il vînt nousjoindre à Bath. N’avons-nous plus d’espoir de le voir,Derwent ?

– Je le crains, répondit le duc ; ilse tient renfermé dans son vieux château du pays de Galles, ainsique sa sœur, qui est presque aussi ermite que lui.

– On a fait courir le bruit pendantquelque temps qu’il était amoureux, dit le marquis ; onparlait même d’un mariage secret.

– Calomnie, pure calomnie, dit le ducgravement ; le comte a des mœurs et des principesirréprochables ; il n’aimera jamais qu’une femme qu’il puisseavouer à la face du ciel et de la terre ; je sais d’ailleursquelle est la personne qu’on cherchait à compromettre par cesbruits injurieux ; c’est la veuve du major Fitzgerald que vousavez connu. Pendennyss ne la voit jamais, et le hasard seul lui aprocuré l’occasion de lui rendre un grand service.

Mrs Wilson respira plus librement enentendant la justification de son héros. – Ah ! pensait-elle,si le marquis connaissait toute cette affaire, combien il serepentirait de ses soupçons !

– Tout ceci, mon cher duc, n’était qu’uneplaisanterie, s’écria le marquis, et j’ai la plus haute opinion delord Pendennyss.

Les Moseley ne furent pas fâchés de voirarriver l’heure où l’on se séparait ordinairement, et qui mit fin àcette conversation et à leur embarras.

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