Prime jeunesse

XLIII

Cependant un événement auquel j’attachai uneimportance extrême marqua pour moi la fin du brumeux hiver :on décida que je ferais ma première communion à Pâques ; jevenais d’accomplir ma dix-septième année, et, chez nous lesprotestants, c’est l’âge. Je commençai donc à suivre le catéchismeau temple de l’Oratoire du Louvre. Mais, dès les premiers jours,trop de précisions, trop de dogmes rebutèrent ma foi déjàchancelante ; le milieu d’ailleurs ne cadrait pas, le Quartierlatin était trop près, et en outre mes cousins de Paris, quiappartenaient à une branche catholique de ma famille et qui étaientsurtout athées, traitaient la chose avec une sorte de dédain qui medéconcertait. Je restais encore assez croyant pour me sentirépouvanté des menaces de l’Évangile contre ceux qui s’approchentindignement de la Sainte Table : j’écrivis donc à mes parentsdes lettres suppliantes pour leur demander de tout remettre à uneautre année, de m’autoriser à recevoir la communion plus tard desmains de certain vieux pasteur à cheveux blanc, dans notre île,dans le vénérable petit temple de Saint-Pierre-d’oléron quesanctifiaient pour moi tant de prières ancestrales. Mais ilscrurent devoir persister et il fallut me soumettre. Ils avaientraison en somme, car pendant les trois années suivantes je serais àl’École Navale, du moins il fallait l’espérer, et, si je neprofitais de mon séjour près de l’Oratoire du Louvre, cela merepousserait beaucoup trop loin.

Quand vint le jour de Pâques, j’avais l’âme endétresse. Personne d’ailleurs ne m’accompagnerait au temple ;j’étais seul, complètement seul pour cette solennité où tous lesautres enfants sont toujours si entourés, même par les parents lesplus incrédules.

Toute la matinée, enfermé dans ma tristechambre, j’essayai vainement de me recueillir et de prier ; jerelus mon évangile selon saint Jean, celui des quatre que jepréférais, je relus la copie qui ne me quittait jamais de la lettrede rendez-vous céleste écrite par mon frère au moment de sa mortdans le golfe de Bengale. Mais non, mon cœur restait glacé.

À l’heure de m’habiller pour aller au temple,je crus devoir mettre ce que j’avais de mieux, un élégant costumede printemps que mes cousins venaient de me faire faire :veston court en velours noir, et pantalon collant ; avec cela,col Shakespeare rabattu à longues pointes et gants couleur« sang de bœuf ».

Mais quand mon image me fut renvoyée par monodieuse armoire à glace, – dont l’acajou me faisait toujoursl’effet d’avoir été ainsi éraillé et bossué au cours d’un passéhonteux, – je fus consterné ; il m’apparut que j’étais le typede ce que l’on appelait en ce temps-là un petit crevé, de ce quel’on a plus tard appelé un petit gommeux ou un petit je ne saisquoi encore. Et c’était vraiment moi ce garçon, ex-ami de cœurd’une fille de brasserie, qui allais me présenter à la SainteTable !… En toute hâte, car l’heure pressait, je changeai devêtements, je repris un de mes costumes d’hiver d’apparence plusmodeste, et, toujours seul comme un abandonné, je partis enfin pourle temple où j’arrivai presque en retard.

Cette première communion, sur laquelle j’avaisfondé tant d’espoir, ne fut en somme qu’une simple formalitéaccomplie avec respect et rien de plus.

Après la cérémonie, quand je me retrouvai dansla rue de Rivoli, perdu au milieu de la foule endimanchée etbruyante, j’avais dans le cœur cette impression de vide affreuxque, tant d’années après, je devais retrouver plus définitiveencore à Jérusalem, la nuit que, trop orgueilleusement sans doute,j’avais voulu passer, seul sous les étoiles d’Orient et sous lesoliviers millénaires, au jardin de Gethsémani…

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