Prime jeunesse

VIII

Par une erreur de chronologie, dans le Romand’un enfant, j’ai dit n’être plus revenu passer mes vacances chezl’oncle du Midi depuis l’année où, sous le berceau de treillemuscat, au milieu du bourdonnement des guêpes de septembre, j’avaispris ma ferme résolution de me faire marin. Mais si ; l’annéedu mariage de ma sœur, je revins encore dans la vieille petiteville aux remparts gothiques en pierres rouges et aux portesogivales. Le lendemain de la cérémonie, je partis avec les nouveauxmariés, et ce qui fut cette fois la grande nouveauté de la route,c’est que nous emmenions maman avec nous, ma maman chérie, – quiétait la seule personne de notre famille n’ayant jamais quitténotre province aux grands horizons plats et qui rêvait, comme moinaguère, de voir enfin des montagnes.

Je me rappelle à peine l’arrivée là-bas, dansla maison Louis XII, à la nuit close ; mais je retrouve sibien le lever du jour, dans cette chambrette que j’avais déjàoccupée pendant trois ou quatre étés ! Les bruits dont jem’étais longuement déshabitué m’éveillèrent de bon matin, lejacassement des poules et des canards dans la rue, et surtout, pourme donner plus vite la notion précise du lieu, les coups rythmés dumétier de Tanou, le tisserand du voisinage, qui travaillait là,comme une sorte d’araignée éternelle, ne cessant jamais d’allongerses rudes toiles de chanvre. (C’était encore le temps des humblespetits métiers locaux, que le « progrès » a partoutremplacés, de nos jours, par l’enfer des usines.) Les autresannées, la joie de mon premier réveil dans cette chambre était deme sentir enfin arrivé dans le pays où les libres vacances allaientcommencer sous le beau ciel bleu. Mais cette fois non, la joie, lavraie joie fut de me dire : « Est-ce vraimentpossible ? Maman aussi est venue, maman est là ! Et jevais pouvoir lui montrer la réalité de ce qu’elle n’a jamais vu,les vallées, les montagnes, l’emmener avec moipartout !… » En effet, pendant cette saison qui futradieuse, j’abandonnai beaucoup mes compagnons habituels, la bandedes petits Peyral et celle des petits paysans ahuris et dociles,pour me promener avec maman, mais rien que nous deux en partiefine, et je la conduisis, par les sentiers de chèvres qui m’étaientfamiliers, dans les fourrés épais bordant les rivières ou sur lessommets d’où sa vue ravie dominait les profonds lointains ;rien ne me charmait comme de lui faire ainsi, à elle toute seule,les honneurs de tout mon domaine d’imaginaire aventurier. Et cesvacances-là furent, je crois, les plus adorables de ma vie…

Mais le mois de septembre fini, quand ilfallut nous remettre en route tous les deux pour Rochefort,abandonnant ma sœur dans sa résidence nouvelle, mon cœur se déchiraaffreusement. Je n’avais pas réfléchi que cela surviendrait sivite, que ce serait si définitif et si douloureux : donc, c’enétait fait, elle n’habiterait plus sa chambre bleue ni son atelier,nous ne la reverrions plus que de temps à autre en visite, elle neserait plus quelqu’un de chez nous.

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