Prime jeunesse

XLIX

D’après des renseignements pris en haut lieupar nos cousins de Paris, il était de plus en plus certain que jeserais reçu à l’École Navale. Donc, aucune inquiétude de cecôté-là, et mon avenir semblait assuré. Notre pauvreté actuelle,encore acceptable et d’ailleurs très courageusement acceptée, avaiteu surtout pour résultat de resserrer davantage les liens de lafamille, dans un commun effort vers un minimum de privations ;on s’était décidé à vendre un peu d’argenterie, une miniature deFragonard, etc. Du fond des vieux coffres jadis rapportés de l’île,on avait exhumé des cachemires qui, teints en noir, avaient fournides robes presque jolies. Un peu de gaieté reparaissait sur lesvisages des chères vieilles dames en papillotes et en crinoline, unpeu de cette foncière gaieté qui témoigne d’une conscience nette etd’un caractère aimable, et que les épreuves n’ont que momentanémentle pouvoir d’abattre.

Quant à la fille de ma sœur, ce bébé pour qui,l’année dernière, on implorait, par une vieille chanson, le passagede la bienfaisante Dormette, elle était devenue cette année unepetite personnalité qui courait partout dans le jardin et qui avaitdéjà des boucles blondes ; elle représentait parmi nous unjoyeux petit élément nouveau, une sorte de rajeunissement pour lesaïeules et les grand-tantes.

Maintenant que je faisais couramment à pied,par le raccourci des communaux, les vingt et quelques kilomètresentre notre maison et celle de ma sœur, j’allais de l’une à l’autreà tout propos. Ces vacances en somme me paraissaient devoir êtrecourtes ; dès que j’étais à Fontbruant, je m’inquiétais deperdre des journées de mon séjour à Rochefort, et vice versa.

La forêt des chênes verts et le ravin ombreuxde la Gitane me charmaient encore plus intimement, aujourd’hui queles moindres rochers, les moindres arbres, les moindres roseauxm’étaient familiers, et dans mes promenades je continuaisd’emporter, par tradition, mon revolver d’autrefois, bien que celame parût un peu puéril de l’avoir ainsi toujours à ma ceinture.

Enfin un jour de septembre, à Fontbruant,comme je revenais d’une de mes longues explorations habituellesdans le marais aux grottes et aux libellules, mon beau-frère, duplus loin qu’il m’aperçut, agita gaiement en signe d’appel unjournal déplié qu’il tenait à la main : c’était le Moniteurqui donnait la liste des candidats reçus à l’École Navale, et j’yfigurais avec le numéro 40 sur quatre-vingts et quelques.

Je ne me souviens pas d’en avoir eu beaucoupd’émotion, tant je m’y attendais avec certitude, mais quand même,c’était mon sort définitivement fixé, c’était l’avenir de voyageset d’aventures qui s’ouvrait devant mes dix-sept ans avidesd’inconnu !…

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