Sherlock Holmes

SCÈNE II

WATSON, BRIBB

BRIBB, parlant d’une voixtrès enrouée, presque inintelligible. – Bonsoir, docteur.

WATSON. – Bonsoir, monsieur.Veuillez vous asseoir. Il désigne le ‘fauteuild’opération.

BRIBB, reculantcraintivement et de la même voix enrouée. – Merci, je ne suispas fatigué. Il s’avance doucement et s’assoit sur une chaiseprès du bureau.

WATSON. – Qu’est-ce qui vousamène ? D’où souffrez-vous ?

BRIBB. – D’ici,docteur ! Il montre sa gorge. J’ai peur d’avoir pincéun mauvais mal de gorge

WATSON. – Nous allons voirça.

BRIBB, geignant. –Aïe, aïe, aïe ! Il m’est impossible de rien avaler. J’aiessayé, tout à l’heure, d’un verre de gin, pour cautériser. Ehbien, monsieur, c’est malheureux, il n’a pas pu passer.

Watson se lève, prend quelques instrumentset ajuste sur sa tête son réflecteur. Il tient de la main gaucheune lampe, et de la droite son abaisse-langue, qu’il trempe dans unverre d’eau avant de s’en servir.

WATSON. – Ayez lacomplaisance d’ouvrir la bouche aussi grande que vous pourrez.

Bribb ouvre une bouche énorme.

BRIBB. – Comme ça, est-ceassez ?

WATSON, s’apprêtant àplacer son instrument sur la langue du patient. – Oui, c’estbien.

Devant l’instrument qu’on veut luiintroduire dans la bouche, Bribb a un mouvement dedéfiance.

BRIBB. – Eh là !…

WATSON. – N’ayez pas peur…Dites… « Ah ! »

BRIBB, d’une voixenrouée. – Ah ! Il place son mouchoir en tampon sursa bouche comme si l’effort qu’il vient de faire lui causait unevive douleur. Avec frayeur. C’est blanc, n’est-cepas ?

WATSON. – Non.

BRIBB, avec plus deterreur encore. – Ah ! … c’est rouge alors ?

WATSON. – Non plus.

BRIBB. – Ah !bah !… De quelle couleur est-ce donc ?

WATSON. – Mais d’une couleurtout à fait normale…

BRIBB. – Diable, c’est plusgrave !…

WATSON, surpris. –Pourquoi ?

BRIBB. – Si le mal ne sedéclare pas, il sera plus difficile à guérir ! …

WATSON, avec une pointed’incrédulité dans le ton. – Voyons… d’où soufrez-vousexactement ?

BRIBB, montrant avec sondoigt. – D’ici, docteur. Mettant son doigt dans sabouche. Tenez, là, là, à gauche.

WATSON. – C’est singulier, jene vois rien…

BRIBB. – Vous ne voyez rien,mais moi, je sens, et je vous supplie de me faire une ordonnancequi me délivre de ma torture.

WATSON. – Ce n’est rien desérieux… Il est même singulier que votre voix soit affectée à cepoint. Enfin, je vais vous préparer un gargarisme… Cela ne peut pasvous faire de mal ! … Asseyez-vous là !

BRIBB. – C’est ça, docteur,un gargarisme, un fort gargarisme…

Watson entre dans sabibliothèque.

Bribb le guette du coin de l’œil. Quand ilest certain d’être bien seul Bribb, tout en ne perdant pas de vuela porte, remonte vers celle du vestibule par laquelle il est entréet l’ouvre doucement. Il remonte ensuite vers la porte gauche qu’ilouvre. À ce moment Watson rentre dans son cabinet, un papier à lamain, et voit le jeu de scène de Bribb.

WATSON. – Qu’est-ce que vousregardez là ?

BRIBB. – Rien du tout,docteur !… J’ai senti tout à l’heure un courant d’air quim’arrivait justement dans la gorge… Alors, j’ai ouvert la portepour voir d’où il venait…

Watson va à son bureau et, sans mot dire,sonne. John entre.

WATSON. – John, reconduisezmonsieur et regardez-le bien… Je n’y suis jamais pour lui, quand ilse présentera.

BRIBB. – Mais, docteur, vousne comprenez pas.

WATSON. – Au contraire, jecomprends à merveille.

BRIBB. – Un courant d’airpeut-être très mauvais pour ma gorge, dans l’état où elle est…

WATSON, très sec. –Bonsoir, monsieur.

JOHN. – Par ici, s’il vousplaît !

BRIBB. – Vous ne me donnezmême pas mon ordonnance…

WATSON. – C’est inutile.

BRIBB, que John a prispar le bras. – En voilà une façon de soigner ses malades… Sivous comptez sur moi pour vous envoyer des clients !

À ce moment, on entend un grand bruitvenant de la rue, suivi d’un murmure confus de voix.

WATSON. – Qu’est-ce que c’estque cela, John ?

JOHN. – Je n’en sais rien,monsieur. On dirait un accident.

BRIBB. – J’espère que cen’est rien de grave… Mon mal me rend si sensible…

À ce moment, la sonnette de la rueretentit violemment et on entend des coups de marteau répétés surla porte.

JOHN. – On sonne et on frappeen même temps. Ce doit être un blessé pour lequel on réclame vossoins.

WATSON. – Blessé ou non, jene reçois personne. Regardant sa montre. Je n’ai plus letemps. Il range rapidement ses papiers.

UNE VOIX, au dehors.– Il faut que vous le receviez !

UNE AUTRE VOIX. – Oùvoulez-vous que nous le portions ?

JOHN, au dehors. – Puisque ledocteur ne veut voir personne.

UNE VOIX. – Vous ne pouvezpas laisser ce vieillard blessé dans la rue !…

UNE AUTRE VOIX. – Vous avezune lanterne de médecin à votre porte ! Vous êtes obligé de lerecevoir…

JOHN, revenant. – Iln’y a pas moyen de faire entendre raison à tout ce monde,monsieur ! … Ils amènent un vieux prêtre italien, qui a étérenversé par une voiture.

BRIBB. – Ah ! le pauvrehomme !

On entend le bruit des voix qui serapprochent.

WATSON, après unehésitation. – Eh bien, faites-le rentrer.

JOHN. – Bien, monsieur.Il sort.

WATSON, désignant laporte de gauche. – Monsieur, ayez la complaisance de passerpar ici… la première porte à droite donne sur l’antichambre.

BRIBB. – Mais si je pouvaisêtre de quelque utilité…

WATSON. – Vos nerfs sont tropsensibles, et je vous…

Il est interrompu par l’entrée d’un vieilabbé, cheveux blancs, habillé d’une soutane et d’une douillette, etsoutenu d’un côté par John, de l’autre par le cocher du cab. Ilboite comme si sa jambe était grièvement endommagée. Ses habitssont couverts de boue, son chapeau écrasé. Bribb s’est retiré surla droite, derrière le bureau, et examine anxieusement lesurvenant.

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