Sherlock Holmes

SCÈNE I

MORIARTY, puis BASSIK

Un silence au lever du rideau. Moriartyappuie sur une sonnette dont on entend au dehors le tintement. Unesonnerie différente, en réponse à cet appel, résonne deux fois. Ilprend le tube acoustique et le porte à sa bouche.

MORIARTY, parlant dans letube. – Quel numéro ? Il porte le tube à son oreille,écoute, puis le reporte à sa bouche pour parler. C’est bien.Il laisse tomber le tube, appuie fortement sur un levier de ferplacé à sa portée près du bureau. Un des verrous de laporte glisse sur lui-même avec un bruit impressionnant. EntreBassik, il marche doucement, si doucement qu’on entend à peine lebruit de ses pas. Il referme la porte et reste debout, devant elle,dans une demi-obscurité.

MORIARTY. – Ah ! Bassik,avez-vous des nouvelles de ce vol de bijoux à Dieppe ?…

BASSIK. – Pas encore,monsieur.

MORIARTY. – Tous les autresrapports de la journée d’hier sont arrivés.

BASSIK. – Oui, monsieur.Celui-là seul manque.

MORIARTY. – J’ai peur quenous ayons quelque ennui de ce côté ! C’est Dickson qui s’estoccupé de l’affaire, et je regretterai de le perdre, c’est un denos meilleurs hommes. Autre chose, qu’y a-t-il de décidé à proposdu banquier Davidson ?

BASSIK. – Je vous ai préparéune note à ce sujet, monsieur. Il redoit de l’argent sur ladernière opération.

MORIARTY. – Je sais… quelquechose comme six cents livres sterling, n’est-ce pas ?

BASSIK. – À peu près.

MORIARTY. – N’a-t-on pas dità Fletcher de s’en occuper ? Bassik prend une note sur unbloc. Aussitôt que vous aurez encaissé, faites en sorte qu’onse débarrasse de ce Davidson… Je n’aime pas les mauvais payeurs. Onles achète trop facilement. Qu’est-ce que vous savez sur cetteaffaire de faux billets de banque, qu’on nous proposait deBoston ? Cela vaut-il quelque chose ?…

BASSIK. – Pas un penny,monsieur. Toute la combinaison n’est qu’un piège.

MORIARTY. – Je m’endoutais.

BASSIK. – Une souricièretendue et mise en œuvre par un malin !

MORIARTY. – Mais noslettres ? Et nos instructions ? Vous avez

pu remettre la main dessus et les détruire, jesuppose ?

BASSIK. – Cela a étéimpossible… Notre représentant a disparu tout à coup et tous lespapiers avec lui.

MORIARTY. – Ce doit êtreencore un tour de Sherlock Holmes !… Et le procèsArlington ? Notre avocat a-t-il pu avoir une remise ?

BASSIK. – Non, monsieur. Ellea été refusée et l’affaire se présente mal ! Vous savez quec’est pour mardi prochain ?

MORIARTY. – Je me demandequelle influence là encore a pu agir contre nous, sur lesjuges ?

BASSIK. – Parbleu !Toujours la même !… Sherlock Holmes !

MORIARTY. – Encore cethomme ! … Il n’y a pas à dire ! C’est une guerre sansmerci qu’il nous a déclarée ! … C’est moi qu’il vise… Avecun sourire sarcastique. Mais il joue un jeu dangereux !…Sir Reginald Dobsen, le chef de la police, a voulu en tâter, il y adix-sept ans, et sir Reginald Dobsen est mort. L’année dernière,son successeur Anderson s’est avisé de recommencer… Depuis quelquetemps on n’entend plus parler d’Anderson, n’est-ce pas ?

BASSIK. – Non, monsieur.

MORIARTY. – Ce SherlockHolmes est un habile homme. Il espère me compromettre dans cetteaffaire Arlington. Mais, entre aujourd’hui et mardi, il coulera del’eau sous le pont de Westminster… Ce Holmes ignore donc qu’il n’ya pas une rue à Londres, où il pourra passer en sûreté, si jemurmure seulement son nom à l’oreille de Fletcher ?…

BASSIK. -Ah ! monsieur, dites-le, etfinissons-en avec cet homme.

MORIARTY,sévèrement. – Ai-je l’habitude de vous demander conseilsur ce que j’ai à faire ?… Faites-moi le plaisir de nerépondre que lorsque je vous interroge… Non ! avant d’en venirà cette extrémité avec le sieur Sherlock Holmes, je veux m’offrirla satisfaction d’aller lui rendre visite moi-même, quand ce neserait que pour avoir le plaisir de faire sa connaissance… C’est,je crois, dans Baker-Street qu’il demeure ?

BASSIK. – Oui, monsieur, 123,Backer-Street… au coin de la petite ruelle de Throgmorton.

MORIARTY. – Il vous estfacile de vous assurer du voisinage de façon à être les maîtresabsolus pendant une heure du pâté de maisons qui entoure lasienne ?

BASSIK. – Seulement…

MORIARTY. – Quoi ?… Nousavons fait ça bien souvent !… Éloignez les policemen, sous unprétexte quelconque. D’un côté une femme qui se trouve mal et qu’ontransporte chez le pharmacien; n accident de voiture, de l’autre…Un homme à nous à chacune des portes, sur un rayon de cent mètres.Attirez les serviteurs de M. Holmes hors de chez lui, etretenez-le pendant le temps que durera ma visite… Ce sera pour cesoir… Cet homme m’intéresse ! Il est remarquablementintelligent, et je veux lui offrir la possibilité de tirer sonépingle du jeu, en gardant la vie sauve !… S’il refuse des’arranger, alors tant pis pour lui !

Il a sorti d’un tiroir deux revolvers, lescompare, en met un dans sa poche et replace l’autre où il l’a pris.La sonnerie d’un des téléphones placé le long du pupitre de gaucheretentit. Moriarty fait signe à Bassik d’aller voir ce dont ils’agit. Celui-ci se lève et approche le récepteur de son oreille.Moriarty, toujours à son bureau, continue à examiner sespapiers.

BASSIK, parlant etécoutant au téléphone. – Oui, c’est bien moi, Bassik…qu’est-ce qui me demande ?… Bribb !… Ah ! oui… oui…Faites-le attendre… Il veut savoir si j’ai reçu son télégrammed’hier soir ? … Parfaitement !… Priez-le donc de venir meparler lui-même au téléphone. Une pause. Bonjour,Bribb !… Oui, j’ai bien reçu votre télégramme, mais je suisoccupé pour le moment. Il faudra que vous patientiez… Qui ?…Il semble devenir tout à coup très attentif. Allonsdonc ! … Vous en êtes sûr ? Attendez une minute !Il laisse le téléphone et s’adresse à Moriarty. Voilà dunouveau, monsieur… Bribb est là-haut pour me parler d’une affairequ’il voudrait nous confier, et il dit qu’il a précisément contrelui comme adversaire dans l’opération Sherlock Holmes !

MORIARTY, trèsintéressé. – Vraiment ! Demandez-lui ce dont il S’agit.Bassik va reprendre le téléphone. Une minute. Bassiks’arrête. Dites-lui plutôt de descendre ici.

BASSIK, surpris. –Dans votre cabinet ?… Mais personne ne vous a jamais vu !… Personne ne vous connaît ! C’est la base de tout votresystème, et c’est cette prudence qui fait notre sûreté depuis desannées !

MORIARTY. – Rassurez-vous…Bribb ne me verra pas. C’est vous, Bassik, qui causerez avec lui.J’écouterai simplement de la pièce voisine… Ce bureau est le vôtre…Vous comprenez ? Le vôtre… Moi, montrant la droite,je serai là.

BASSIK. – Bien, monsieur.C’est compris ! Au téléphone. C’est toujours vous,Bribb ?… Écoutez, j’ai trop à faire pour monter vous parler,mais vous pouvez descendre me voir… Un temps. vous ditesqu’il y a du monde avec vous ?… Quelle sorte de gens ?…Il écoute un moment, puis s’adresse à Moriarty. Il ditqu’il est avec deux personnes, un homme et une femme, les Orlebar,qui sont intéressés dans l’affaire et qui tiennent absolument àassister à son entrevue avec moi.

MORIARTY. – Oui… Eh bien,qu’ils descendent aussi !

BASSIK, autéléphone. – Bribb, priez donc Fletcher de venir au téléphone,s’il vous plaît… Une pause. C’est vous, Fletcher ?Baissant la voix. Les gens qui sont avec Bribb, quelletournure ont-ils ? Examinez-les attentivement. Untemps. Rien de louche ?… Non… Eh bien, faites-lesdescendre, et amenez-les ici en leur faisant faire le tour par lesouterrain… Oui !… Oui !… Ici même ! … Seulementsurveillez-les le long du chemin et voyez si vous ne leur trouvezrien de suspect… Vous avez compris ? Il replace letéléphone. Hum ! … Cette affaire-là non plus ne me ditpas grand’chose.

MORIARTY. – Il faut voir;mais comme Sherlock Holmes s’attaque à tous nos projets, je ne doisrien négliger où il a la moindre accointance. Qui sait si cetteaffaire qui vous déplaît, ne va pas nous fournir, au contraire, lemoyen d’en finir avec lui.

Un timbre placé à un autre endroit de lapièce résonne trois fois.

BASSIK. – Voici qui annoncela descente de nos visiteurs.

MORIARTY. – Encore une fois,vous avez bien compris ? Vous êtes dans votre bureau. Sortantà droite. Pas un mot de moi.

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