Sherlock Holmes

SCÈNE IX

LES MÊMES, MADGE

Madge descend l’escalier lentement commeune femme qui n’est pas bien portante. Elle a passé une robed’intérieur, mis du blanc pour paraître pâle et une mantille. Danssa marche elle s’arrête de temps en temps sans affectation, ens’appuyant à la rampe, aux colonnes, aux meubles.

MURRAY, s’animant. –Miss Brent, permettez-moi de vous présenter monsieur SherlockHolmes.

Madge fait un pas vers Holmes en luitendant la main. Holmes la prend avec la plus entière confiance.Murray s’assoit à côté du piano.

MADGE. – MonsieurHolmes ?

HOLMES, saluant. –Miss Brent…

MADGE. – Je suis tout à faitravie de vous voir, bien que vous m’ayez en quelque sorte forcée àquitter mon appartement… Je ne le regrette pas, car j’étais trèsdésireuse de faire votre connaissance. Le docteur m’avait défendude recevoir personne; mais puisque mon cousin a levé la consigne,ma conscience est à l’abri.

HOLMES. – Je vous remercied’avoir consenti à cet entretien, miss Brent, mais je suis désoléque vous ayez pris la peine de changer si rapidement detoilette.

MURRAY. – À quoi voyez-vouscela ?

HOLMES. – Quand on se hâte,on attache généralement le premier bouton de travers, et tous lesautres suivent… Il désigne la robe de Madge qui estboutonnée comme il l’indique.

MADGE, avec un légertressaillement. – Vous avez raison… Je me suis un peu pressée.Rien que pour avoir remarqué ce détail, on voit que M. Holmesest tout à fait à la hauteur de sa réputation. N’est-ce pas,Freddy ?

MURRAY. – En ce moment,peut-être… Mais il n’en a pas été absolument ainsi tout àl’heure !

MADGE. – En vérité ?

MURRAY. – En voulez-vous lapreuve ? Il m’a demandé ce que renfermait ce coffre-fort quipouvait me causer tant d’anxiété.

MADGE, souriant. –Tant d’anxiété ?… Son contenu n’est pourtant pas trèsinquiétant.

MURRAY. – N’est-ce pas ?Voyez plutôt. Ouvrant le coffre-fort qui est vide.

MADGE, riant. –Ah ! cette fois, monsieur Holmes, avouez-le, votreclairvoyance est en défaut.

Holmes les regarde tous deux sansbouger.

MURRAY, riant. –Vous vous rattraperez la prochaine fois.

MADGE, riant. – Vouspouvez même vous essayer sur moi si le cœur vous en dit.

MURRAY. – C’est uneidée ! … Voyons, que remarquez-vous de spécial chez missBrent ?

HOLMES. – Mon Dieu, toutd’abord une particularité me saute aux yeux, c’est que miss Brentest une fervente musicienne… Son doigté est exquis et elle joueavec une expression incomparable. Sans dédaigner la musique légère,elle a cependant un faible pour Chopin, Litz et Schubert. Ellepasse une grande partie de son temps devant son clavier !Aussi, suis-je surpris de constater qu’elle n’a pas ouvert ce pianodepuis plus de trois jours.

MADGE, faisant mine desourire. – Ah ! par exemple, voilà qui estétonnant !

MURRAY. – Quand je vous ledisais qu’il se rattraperait.

HOLMES. – Je suis heureuxd’avoir pu prendre si vite ma revanche. Pour me récompenser, missBrent, ne me fera-t-elle pas la grâce de me jouer un morceau dontje suis particulièrement épris ?

MADGE. – Très volontiers, sije le connais.

HOLMES. – Ah ! vous leconnaissez parfaitement, c’est le quinzième prélude de Chopin.

MADGE. – En effet, c’est unde mes morceaux favoris.Elle se lève, oubliant sonindisposition et va au piano. Et je peux vous faire ce petitplaisir.

HOLMES. – Il sera infini, jevous assure. Je racle moi-même un peu de violoncelle, et Chopin estmon musicien préféré.

MADGE, au moment des’asseoir sur le tabouret du piano. – Par exemple, monsieurHolmes, vous me direz comment vous avez pu vous rendre compte siexactement de mon doigté et de mon jeu.

HOLMES. – Tout simplement enregardant vos doigts.

MADGE. – Et qui vous arenseigné sur mes prédilections musicales ?

HOLMES. – Votre casier àpartitions.

MADGE. – Mais qui vous a ditque je n’avais pas joué depuis trois jours ?

HOLMES. – Les touches…

MADGE. – Lestouches ?

HOLMES. – Voyez cette légèrecouche de poussière. Elle date bien au moins d’avant-hier.

MADGE. – C’est vrai !Époussetant les touches avec son mouchoir. Cette Thérèseest d’une négligence ! Monsieur Holmes, vous méritezdécidément votre prélude.

HOLMES, s’asseyant prèsde la sonnette. – Mille fois merci.

Murray est assis regardant alternativementHolmes et le coffre-fort. Madge plaque quelques accords et attaquele morceau. Un instant après qu’elle a commencé, tandis que Murrayregarde à la dérobée le coffre-fort, Holmes se lève tranquillementet tire la sonnette. Un instant après, Benjamin entre et s’arrêteimmobile devant la porte. Murray ne le voit pas tout d’abord, maisen se retournant il l’aperçoit et murmure un ou deux mots àl’oreille de Madge. Celle-ci lève les yeux du piano et à la vue deBenjamin s’arrête au milieu d’une mesure.

MADGE. – Qu’est-ce que vousfaites-là ?

BENJAMIN. – J’ai répondu à lasonnette, madame…

MURRAY. – Quellesonnette ?

BENJAMIN. – La sonnette dusalon !

MURRAY. – Vous êtesfou !… Je vous dis qu’on n’a pas sonné.

HOLMES, d’une voix netteet claire. – Votre maître d’hôtel a raison, monsieur Murray…et il a parfaitement entendu.

MURRAY. – Comment lesavez-vous ?

HOLMES. – C’est moi qui aisonné.

MURRAY. – Vraiment !…Vous voulez quelque chose ?

HOLMES, tirant une cartede son portefeuille. – Oui… je désirerais faire porter cettecarte à miss Brent. Il donne sa carte à Benjamin.

MURRAY, furieux. –Quel droit avez-vous je vous prie, de donner des ordres dans mamaison ?

HOLMES, élevant lavoix. – Quel droit avez-vous d’empêcher les cartes quej’envoie d’arriver à leur adresse ?… Et comment se fait-il quevous et cette femme, employiez un pareil subterfuge pour m’empêcherde voir miss Alice Brent ? À Benjamin. Pour un motifque je n’approfondirai pas, mon ami, aucune des cartes que je vousai remises, n’est arrivée à sa destination. Faites en sorte quecette erreur ne se reproduise plus.

BENJAMIN. – Mes ordres,monsieur…

HOLMES, vivement. –Ah ! vous aviez des ordres ?

BENJAMIN, sereprenant. – Je ne dis pas cela.

HOLMES. – On vous avaitcommandé de ne pas remettre ma carte ?

MURRAY. – Qui vous a permisde questionner ce valet ?

HOLMES. – Je satisferai votrecuriosité sur ce point dans quelques secondes, monsieur Murray.

MURRAY. – Oui da !… Ehbien, vous vous apercevrez dans quelques secondes qu’il n’est pasprudent de se mêler de mes affaires !… Déguerpissezsur-le-champ, si vous ne voulez pas que je vous jette à la porte decette maison ! À moins que je n’envoie chercher la police pourse charger de cette besogne.

HOLMES, très calme.– Que non ! Vous ne commettrez pas cette faute ! … Vousallez même rester tranquillement à votre place, jusqu’à ce que lapersonne que je suis venu voir soit entrée.

MURRAY. – Qu’est-ce qui vousrend si sûr de votre fait ?

HOLMES. – Simplement laconviction que vous préférez ne pas appeler l’attention del’autorité sur votre étrange conduite, monsieur Orlebar.Sursaut d’Orlebar et de Madge en entendant ce nom. Attention,qui ne manquerait pas d’être éveillée si vous prétendiez vousmettre en travers de mes affaires, vous et votre femme… Gestede Madge. J’ai dit: « votre femme », Madame, car si,dans votre hâte de prendre la place d’une autre, vous avezprécipitamment retiré votre alliance, vous n’avez pas pu supprimersi vite la marque qu’elle a laissée à votre doigt. Il désignela main de Madge, puis se retournant vers Benjamin. Allezfaire ma commission, mon ami…

BENJAMIN, à Murray.– Dois-je obéir, monsieur ?

MURRAY, après unehésitation. – Allez !… Au fait, que miss Brent ait ou noncette carte, cela importe peu.

Benjamin sort pour monter la carted’Holmes.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer