Sherlock Holmes

SCÈNE IX

LES MÊMES, BILLY

Billy entre encourant, sa livrée estcomplètement en lambeaux, le devant de sa veste n’existe pour ainsidire plus. Geste de colère de Moriarty à sa vue.

BILLY. – Excusez-moi,monsieur, mais tandis que je courais chez le pharmacien, un ivrognequi marchait en sens inverse m’a heurté et je suis tombé parterre…

HOLMES. – Et vous avez mis silongtemps à vous relever ?

BILLY. – C’est qu’au mêmemoment une automobile descendait la rue à toute vitesse… Leconducteur n’a pas eu le temps d’arrêter…

HOLMES. – Et ? …

BILLY, souriant. –Et la voiture m’a passé sur le corps… Mais quand on est agile, ilfaut que ça serve… Je me suis allongé vivement dans le sens del’automobile et je m’en suis tiré comme monsieur voit… Par exemple,ma livrée a été plus endommagée que moi.

HOLMES. – Je suis heureux,Billy, que vous ayez pu échapper à ce danger… Et je suis certainque monsieur qui semblait s’intéresser à votre aventure partage leplaisir que j’éprouve…

BILLY, à Moriarty. –Merci bien, monsieur.

HOLMES. – Justement,Billy ! Monsieur désirerait que vous lui rendiez le service deprendre quelque chose dans la poche droite de son vêtement…Holmes a désigné Moriarty en étendant sa main droite qui esttoujours armée de son revolver. Mouvement de Moriarty encore unefois calmé à la vue de l’arme. Il n’est pas tout à fait dansson assiette aujourd’hui et le moindre mouvement le fatigue… Ayezdonc la complaisance de faire celui-là pour lui… Dans la poche…droite.

Billy obéissant à Holmes va à Moriarty ettire de la poche de celui-ci un revolver.

BILLY. – Est-ce cela,monsieur ?

HOLMES. –Parfaitement !… Veuillez poser cette arme sur la table… Paslà, Billy… un tout petit peu plus près de moi.

BILLY, après avoir mis lerevolver sur la table à portée de Holmes. – Faut-il voir s’ily en a un autre ?

HOLMES. – Inutile de vousdonner cette peine ! Les tentatives réitérées de monsieur pourtirer cette arme de sa poche me font croire qu’il ne doit avoir quecelle-là sur lui.

BILLY. – C’est tout ce quemonsieur désire ?

HOLMES. – Maintenant que vousavez votre… carnet, professeur, je ne pense pas que les services demon groom vous soient nécessaires plus longtemps ? Non ?…Vous pouvez vous retirer, Billy.

Pendant que Billy sort, Holmes jouenégligemment avec le revolver de Moriarty.

MORIARTY, les dentsserrées. – Parlons peu et parlons bien ! … Le 4 janvierdernier, vous avez commencé à vous occuper de moi… Le 23, vousm’avez gêné, et aujourd’hui, à la fin d’avril, vous semblezdécidément vouloir vous attaquer à ma liberté…

HOLMES. – À quelle conclusionen arrivez-vous ?

MORIARTY. – À celle que jevais vous notifier… Si vous ne vous décidez pas à me laissertranquille, monsieur Holmes, à partir de la minute présente, je nedonnerai plus ça de votre vie. Jeu de scène en faisant claquerson ongle sur ses dents.

HOLMES. – Eh bien, mon chermonsieur Moriarty, je vais entrer dans vos vues. Mouvement deMoriarty. Je suis décidé à ne plus m’occuper de vous à compterde demain soir dix heures…

MORIARTY. – Pourquoi cedélai ?

HOLMES. – Parce qu’à cetteheure-là, cher monsieur, vous signerez vous-même votre écrou à laprison de Newgate… Et que moi non plus, je ne donnerai pas ça devotre vie… Même jeu de scène que plus haut.

MORIARTY. – J’avais raisontout à l’heure de dire que vous ne me connaissez pas… Il y avingt-quatre heures d’ici à demain, c’est-à-dire vingt-quatre foisplus de temps qu’il n’en faut pour déblayer ma route de tout ce quila gêne… J’avais provoqué cet entretien pour vous offrir une chancede salut, en renonçant à une lutte qu’aucune police du monde n’estde taille à soutenir… Votre intelligence m’intéressait, car je saisapprécier le talent et j’hésite à le supprimer quand je peux faireautrement… Vous ne l’avez pas compris ! Tant pis pourvous !

HOLMES. – Quand j’étais toutpetit, monsieur Moriarty, ma nourrice m’a appris à ne pas tremblerdevant les fantômes et les loups-garous…

MORIARTY. – Votre nourriceétait une femme de bon sens, monsieur Holmes… Mais elle aurait dûvous dire qu’il y a des loups-garous qui mordent et des fantômesqui tuent…

Tous les deux se bravent duregard.

HOLMES. – Je suis désolé,professeur, mais le plaisir de votre conversation me fait oublierdes affaires importantes auxquelles je dois mes soins…

Il se tourne du côté de la cheminée etsemble chercher une allumette. Moriarty se lève doucement, prendson chapeau les yeux fixés sur Holmes. À la vue du revolver qui estresté sur la table, il fait lentement un pas de côté et dépose sonchapeau à côté du pistolet pour rajuster son foulard. Holmesenflamme une allumette et allume nonchalamment sa pipe. Moriarty enreprenant son chapeau dirige doucement la main vers son revolverqu’il parvient à saisir.

MORIARTY. – Je vous ai avertidu danger que vous courriez… Mes conseils ne vous ont pas persuadé…Ceci vous convaincra peut-être…

Rapidement, il lève son arme vers Holmes,et appuie sur la gâchette pour faire feu. Holmes s’est retournétranquillement sur lui, continuant à allumer sa pipe, de tellesorte, que l’arme est dirigée en plein sur son visage. On entend leclaquement du chien répété trois ou quatre fois de suite, sans quele revolver parte.

HOLMES. – Excusez-moi… Iljette son allumette et prend dans la poche de sa robe de chambreplusieurs cartouches qu’il jette dans le chapeau que tientMoriarty. Je ne supposais pas que vous auriez encore besoin devotre revolver… J’avais retiré les cartouches et je les avais misesdans ma poche. Mais vous les trouverez là au complet.

MORIARTY, maîtrisant sondépit et avec dédain. – C’est de l’escamotage, cela, monsieurHolmes !

HOLMES, souriant. –Dans notre métier, il faut bien faire un peu de tout.

Il va à la cheminée et sonne.

Mouvement de rage de Moriarty.

BILLY, entrant. –Monsieur a sonné ?

HOLMES. – Reconduisezmonsieur, Billy, avec tous les égards qui lui sont dus.

BILLY. – Par ici,monsieur.

MORIARTY, il regardeHolmes avec rage et lui tendant le poing. – Nous nousreverrons, Sherlock Holmes !

HOLMES. – J’en serai toujoursenchanté, professeur Moriarty !

Il continue à allumer sa pipe et lancepresque au visage de Moriarty une longue bouffée de fumée. Celui-ciavec un geste de fureur se dirige vers la porte que lui indiqueBilly.

RIDEAU

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer