LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

Malgré cela, Gwenda avait l’air plus méfiante que jamais, car c’était précisément les « bagatelles » de Mr. Sims qu’elle redoutait le plus, les estimations du bonhomme étant toujours remarquablement modérées.

— Écoutez, Mrs. Reed, reprit-il d’un ton affable, je vais demander à Taylor de venir jeter un coup d’œil cet après-midi, dès qu’il en aura terminé avec le cabinet de toilette. Je pourrai ensuite vous donner une idée plus précise du montant des travaux. Tout dépend de la façon dont a été construit le mur.

Gwenda acquiesça. Après quoi, elle alla écrire à Joan West pour la remercier de son invitation et lui dire qu’elle regrettait de ne pouvoir quitter Dillmouth en ce moment, car elle tenait à surveiller les ouvriers. Sa lettre achevée, elle alla faire une courte promenade pour profiter de la brise marine.

À son retour, elle trouva Taylor – le chef de chantier de Mr. Sims – agenouillé près du mur qui séparait le salon de la salle à manger. Il se releva en souriant.

— Aucune difficulté, madame, dit-il. Il y a eu autrefois une porte à cet endroit précis. Mais elle a été murée, sans doute par quelqu’un à qui elle ne convenait pas.

Gwenda fut agréablement surprise. C’est extraordinaire, se dit-elle, j’ai toujours eu l’impression qu’il devait y avoir une porte. Elle se rappelait l’air décidé avec lequel elle s’était dirigée vers le mur quand elle avait entendu le gong du déjeuner. Et soudain, elle éprouva comme un petit frisson d’inquiétude. La chose était étrange, quand on y réfléchissait… Comment pouvait-elle être tellement sûre qu’il existait autrefois une porte à cet endroit, puisqu’il n’en restait pas la moindre trace visible ? Comment l’avait-elle deviné ? Bien sûr, ce serait commode de pouvoir passer directement d’une pièce dans l’autre. Mais pourquoi s’était-elle dirigée sans la moindre hésitation vers ce point particulier du mur ? N’importe quel endroit eût convenu tout aussi bien ; pourtant, à trois reprises, tout en pensant à autre chose, elle était allée tout droit vers l’endroit précis où se trouvait jadis la porte de communication.

J’espère, se dit-elle, que je ne possède pas le don de seconde vue ou quelque chose dans ce goût…

Il n’y avait jamais eu en elle la moindre trace de méta psychisme. Elle n’appartenait pas à cette catégorie de personnes. Mais en était-elle bien certaine, au fond ? Cette allée qu’elle avait voulue entre la terrasse et la pelouse, avait-elle eu conscience, d’une manière ou d’une autre, qu’elle avait existé autrefois ?

Après tout, je suis peut-être médium, songea-t-elle, un peu mal à l’aise. À moins que tout cela n’ait quelque chose à voir avec la maison elle-même. Pourquoi avait-elle demandé à Mrs. Hengrave si elle était hantée, le jour où elle était venue la visiter ?

Mais non, elle n’était pas hantée ! C’était une demeure charmante. Il ne pouvait y avoir en elle aucune influence maléfique. D’ailleurs, Mrs. Hengrave avait eu l’air fort étonnée par cette supposition. Et cependant, n’y avait-il pas eu dans son attitude une certaine réserve ?

Grand Dieu ! Je commence à me faire des idées, songea à nouveau la jeune femme.

Elle fit un effort pour reporter sa pensée sur sa discussion avec Taylor.

— Autre chose, avait-elle dit. Il y a dans ma chambre, au premier étage, un des placards qui est coincé. Je voudrais bien pouvoir l’ouvrir.

L’homme était monté examiner la porte du placard et avait ensuite déclaré :

— Elle a été peinte à plusieurs reprises, mais je pourrai vous la faire ouvrir demain matin, si vous le désirez.

Gwenda avait donné son accord, et le chef de chantier s’était retiré.

Ce soir-là, la jeune femme se sentit particulièrement agitée et nerveuse. Assise dans un des fauteuils du salon, s’efforçant de lire, elle était consciente du moindre craquement des meubles ou du parquet. Une ou deux fois, elle jeta un coup d’œil inquiet par-dessus son épaule et frissonna. Elle ne cessait de se répéter qu’il n’y avait rien d’extraordinaire dans l’incident de la porte et dans celui de l’allée du jardin. De toute évidence, ce n’étaient là que des coïncidences. Dans les deux cas, les idées qu’elle avait eues n’étaient dictées que par le simple bon sens.

Pourtant, sans vouloir se l’avouer, elle se sentait vaguement alarmée à la pensée de monter se coucher. Lorsque, finalement, elle se leva, éteignit les lumières et se retrouva dans le hall, elle éprouva un instant d’hésitation et une certaine appréhension à s’engager dans l’escalier. Elle le gravit en toute hâte, longea rapidement le couloir du premier étage et ouvrit d’un geste vif la porte de sa chambre.

Une fois à l’intérieur de la pièce, elle sentit instantanément s’apaiser ses craintes et jeta un coup d’œil rassuré autour d’elle. Là, dans cette chambre confortable et douillette, elle se sentait en sécurité, heureuse. À l’abri. Elle haussa les épaules. À l’abri de quoi, triple idiote ? se dit-elle en baissant les yeux vers son pyjama étalé sur le lit et vers ses mules disposées sur le tapis.

« Vraiment, ma pauvre Gwenda, murmura-t-elle, tu pourrais aussi bien avoir six ans et porter des pantoufles avec des petits lapins dessinés dessus ! »

Elle se déshabilla, enfila son pyjama et se glissa dans le lit avec une sensation de soulagement.

Le lendemain matin, elle avait plusieurs choses à faire en ville, et il était l’heure du déjeuner quand elle rentra.

— Les ouvriers ont ouvert le placard de votre chambre, madame, lui annonça Mrs. Cocker en posant devant elle une sole frite accompagnée de purée de pommes de terre et de carottes à la crème.

— Oh, très bien ! dit Gwenda. Merci, Mrs. Cocker.

Elle avait faim et mangea de bon appétit. Le déjeuner terminé, elle prit le café au salon, puis monta dans sa chambre. Traversant vivement la pièce, elle alla ouvrir la porte du placard.

Elle ne put retenir un petit cri de frayeur, et ses yeux s’agrandirent d’étonnement.

L’intérieur du placard laissait apparaître la tapisserie d’origine, qui avait été recouverte dans le reste de la chambre : un papier où s’étalaient des bouquets de coquelicots alternant avec des bleuets…

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