Cousin de Lavarède !

Chapitre 16LES DINGOS

Comme une commotion électrique, l’appel de sirParker secoua les hommes de son escorte. En un instant, tous furentà l’orifice de la caverne, écoutant les hurlements toujours pluséclatants des ennemis à quatre pattes qui approchaient.

Puis, sur un signe de leur chef, ilsrefoulèrent à l’intérieur tous les herbivores craintifs entassésdans le couloir, et ils se mirent en devoir d’obstruer l’entrée.Roulant les blocs de rochers épars, ils les empilèrent. Ils sehâtaient, stimulés par les abois rauques des dingos. Bientôt lerempart atteignit la hauteur d’un homme. À ce moment, la pluieredoubla de violence, le vent rugit plus lugubrement, et desaboiements sonores, nombreux partirent du bas même del’éminence.

Les dingos prenaient pied sur l’îlot.

À leur cri sauvage répondit un gémissementaffolé. Pris de panique à l’approche de leur ennemi, le terribleloup du bush, les animaux enfermés dans la grotte, kangourous,casoars, wallabis, les chevaux des voyageurs eux-mêmes rompantleurs entraves, se ruèrent sur la barricade, la renversèrent ets’enfuirent dans toutes les directions, laissant sur le sol unjeune kangourou qui, pressé par la troupe éperdue, avait eu lepoitrail défoncé sur les roches.

Parker s’approcha de la pauvre bête, et d’uncoup de revolver mit fin à ses souffrances.

– Allons, fit-il, il faudra nousrationner, nos provisions courent les champs ; pas pourlongtemps, du reste, car les dingos vont rapidement les exterminer.Tenez, écoutez-les, les voilà en chasse.

En effet, les aboiements des chiens sauvagesavaient changé ; ils étaient courts, brefs, comme ceux d’unemeute sur la piste. Ils résonnaient de toutes parts, effrayants,sinistres.

– By devil’s horn !grommela le surveyor, ils sont là par centaines ;l’assaut va être terrible.

Puis avec cette insouciance que donnel’habitude de la vie du désert :

– Après tout, cette chasse infernale nousassure quelque répit. Profitons-en pour consolider notrefortification.

Sans doute, ses subordonnés avaient fait desréflexions analogues, car tous réparaient la brèche pratiquée parles animaux terrorisés. Après quoi, ils renforcèrent la barricadeen roulant au pied de nouveaux blocs de pierre.

– Placez des factionnaires, commanda sirJames. On se relaiera de deux en deux heures.

Et s’adressant à Robert, à qui tous cesévénements semblaient un rêve :

– Les dingos ont mangé ce soir. Ils nenous attaqueront pas avant demain. Venez, Monseigneur. Soupons etdormons. Une fois le siège commencé, les minutes de repos serontrares.

Machinalement Lavarède le suivit dans lacaverne.

Déjà, deux cavaliers de l’escorte avaientdépouillé le kangourou. Ils découpaient sa chair en minces lanièresqu’ils enfilaient sur une baguette de fusil, puis ils lessuspendaient au-dessus d’un feu de broussailles, qui produisaitplus de fumée que de feu.

– Que se passe-t-il donc ?

C’est par cette question que l’astronome saluale retour de son ami. Le squatter ne laissa pas au Français letemps de répliquer :

– Il se passe qu’une bande de chiens dubush est sur la montagne. Ces animaux féroces et braves marchentgénéralement par troupes de plusieurs centaines. Quand ils ontfaim, ils attaquent l’homme.

– Diable !

– Et ils auront faim demain.

– Ces chiens sont-ils dangereux pournous, reprit Lotia de sa voix douce ?

– Oui, d’autant plus que les eaux nousbloquent et que nous n’avons pas de vivres.

Un morne silence accueillit ces paroles dusurveyor. La situation apparaissait terrible à tous,prisonniers de l’inondation sur une colline dénudée, sans aliments,en face d’une invasion de carnivores dont le nombre n’avait d’égalque la voracité.

Mais Robert releva la tête :

– Pas de vivres, dit-il. Parbleu, si,nous en avons. Les chiens du bush veulent nous manger,mangeons-les… par représailles et pour nous soutenir. Nous rendronsles honneurs… culinaires à ceux qui succomberont dans la mêlée.

– N’espérez pas cela, interrompitParker.

– À cause de quoi, s’il vousplaît ?

– À cause d’une habitude de ces horriblesbêtes. Celles qui sont blessées sont aussitôt saisies par leursvoisines, entraînées à l’écart et dévorées. Bref, nos fusilsfourniront des provisions de bouche à nos ennemis, mais pas ànous-mêmes.

– Mais alors l’avenir est folâtre,soupira Robert. Le kangourou durera deux jours. Après cela, ayantde l’eau,… en abondance hélas ! nous tiendrons encore autant…total : quatre journées.

Il regardait Lotia avec une émotion dont iln’était pas maître. Ces paroles qu’il venait de prononcercontenaient l’arrêt de mort de la jolie Égyptienne. S’aperçut-ellede son trouble ; voulut-elle montrer encore en face du trépasl’orgueil de sa race et son mépris pour celui dont elle était lafemme. Mystère ! Toujours est-il qu’elle dit à haute voix,sans lever les yeux sur Robert :

– La mort sera la bienvenue. J’aisacrifié ma vie, et le sacrifice a été inutile. Bénie soit l’heureoù mon esprit délivré quittera mon corps immobile etfroid !

– Mais vous ne songez pas à ce que seral’agonie, s’écria l’ancien caissier, insensible à l’insulte,n’écoutant que sa pitié et son affection ?

Elle eut un geste dédaigneux :

– Les lâches seuls ont l’effroi de lalente agonie. Les courageux savent comment elle s’abrège.

Et après un temps :

– J’ai toujours mon poignard,acheva-t-elle.

Lui, la considérait toujours, pris par uneépouvantable angoisse. Quoi ! cette enfant qu’il chérissaitmalgré son injustice, cette enfant se frapperait ? Il laverrait pâle, sanglante, endormie du sommeil glacé del’éternité ? Cela ne serait pas, ne pouvait pas être. Ilfallait trouver un moyen de la sauver, et saisissant le bras dusquatter :

– Sir James, dit-il nerveusement, commentcomptez-vous sortir de ce mauvais pas !

– Je vous l’ai déjà appris, je crois. Lasaison des pluies commence tôt. À la ferme de Youle, mon épouse,Mistress Parker, et mes fils enverront certainement des pirogues àma recherche. Ces embarcations visiteront tous les points de laplaine qui émergent. Le tout est qu’ils arrivent ici assez tôt.Sinon, on ne trouvera plus que nos os, nettoyés comme des piècesanatomiques par ces gredins de dingos.

Son flegme exaspéra Robert.

– Mais sapristi, ne pourrait-on pasguider les recherches, un signal de feu au sommet de la hauteurpendant un arrêt de la pluie.

– Sans doute, Monseigneur. J’y songeaisquand nous sommes arrivés ici.

– Vous voyez bien.

– Seulement, la chose est devenueimpossible.

– Impossible, allons donc ?

– Les chiens du bush ne nouspermettraient pas de mettre ce plan si simple à exécution.

La remarque était juste. L’armée des chienstenait les voyageurs prisonniers. Quiconque sortirait de la caverneserait mis en pièces, dévoré. Il fallait donc compter uniquementsur une chance improbable, à savoir que les gens envoyés à ladécouverte dirigeraient leurs premières recherches vers le MontJackson.

Et comme Lavarède s’avouait mentalement qu’ily avait gros à parier que la chose ne se passerait pas ainsi, uncoup de feu vibra, suivi d’un concert effrayant de hurlements.

Les hommes avaient sauté sur leurs armes, maisla voix lointaine du factionnaire s’éleva :

– Ce n’est rien. Un dingo trop curieux.Il regardait par-dessus la barricade ; je l’ai brûlé.

– Parfait, remarqua Parker, tâchons de nepas brûler aussi le kangourou.

Les cavaliers préposés à la cuisine selevèrent vivement et coururent au foyer, au-dessus duquel seboucanait la viande du marsupiau[5]. Lesgrillades étaient sèches, mais non grillées, à point par conséquentpour être conservées.

Sous l’œil du squatter, on les divisa enquatre portions, chacune devant servir à un repas, puis on lesroula dans un manteau, qui fut enfermé dans un coffre portéprécédemment par l’un des chevaux. Pour ce soir-là, on soupa dureste des provisions emportées la veille de la ferme, puis chacuns’étendit à sa guise sur le sol. Sauf le factionnaire placéderrière le rempart de rochers, nul ne demeura éveillé.

C’est une chose étrange en effet que lafatigue triomphe des appréhensions les plus vives. Lassés par laroute, Australiens ou étrangers, tous trouvaient le repos danscette grotte sombre, dont les chiens du bush, aux crocs acérés,gardaient l’issue.

Aucun incident ne troubla la nuit.

La lumière revint. Curieusement, les voyageurss’approchèrent de la sortie et regardèrent au dehors. Un spectaclesaisissant les attendait. Sur le plateau rocheux qui s’étendaitdevant la barricade, sur les pentes voisines, les dingospullulaient. Ils étaient là par centaines, allongeant vers lagrotte leurs museaux pointus, dressant les oreilles, se réunissantpar groupes comme pour se consulter. Certains, plus philosophes oumoins affamés, restaient paresseusement étendus sur le sol. Lapluie avait cessé, mais, sur la plaine transformée en lac, filaientd’épais nuages, bas et sombres, indice d’averses prochaines.

En somme, les chiens du bush étaient assezcalmes. Leur attaque ne semblait pas imminente. Peut-êtred’ailleurs, ces animaux, qui ont un instinct stratégique étonnant,avaient-ils compris la difficulté d’enlever la position, etessayaient-ils d’un blocus, que bientôt leur faim, aiguisée parl’attente, les amènerait à changer en assaut furieux.

Quoi qu’il en soit, la matinée s’écoula sansincident. On grignotta du bout des dents quelques tranches deviande de kangourou, arrosées de l’eau claire des flaques quis’étaient formées au-dessous des fissures du rocher, puis on seremit en observation. Les chiens sauvages continuaient le mêmemanège.

Vers le soir ; pourtant, ilsmanifestèrent quelque inquiétude. Ils se rapprochèrent de l’entréede la caverne tandis que les assiégés se livraient à leur repas, etpar instants, l’un d’eux poussait un hurlement lugubre, que lesautres répétaient aussitôt. C’était un sabbat à faire dresser lescheveux sur la tête.

La nuit s’étendit sur la plaine. La pluies’était remise à tomber, les cataractes du ciel s’écroulaient surla terre avec un crépitement assourdissant. Des éclairs déchiraientles nues de leurs éblouissantes lignes brisées, le tonnerrerugissait, et dominant le fracas de la tourmente, les chienssauvages hurlaient à la mort.

C’était horrible et tragique.

Personne ne songeait au repos. Assis encercle, échangeant de rares paroles à voix basse, les assiégés, lamain sur leurs armes, attendaient, l’âme angoissée, l’attaque desfauves. Mais les heures nocturnes s’écoulèrent, sans que lesbush’s dogs tentassent l’assaut.

Un jour gris, blafard, se leva. On déjeunatristement de la troisième ration de chair de kangourou.

Encore un repas, et le spectre de la faimhabiterait la caverne, ajoutant une épouvante aux horreurs de lasituation, apportant une torture nouvelle au lent supplice desvoyageurs.

Abattus, tous songeaient au lendemain. Lesprovisions seraient épuisées. Les forces diminueraient lentement, àl’heure précise où les dingos, exaspérés par l’attente, serueraient sur la barricade improvisée.

Au moment où les défenseurs de la placeauraient besoin de toute leur vigueur, les fusils échapperaient àleurs mains défaillantes.

Les loups envahiraient la grotte.

Un suprême combat se livrerait, et puis lavictoire resterait aux farouches quadrupèdes.

La victoire ! Ce mot évoquait un tableausanglant. Aux oreilles bourdonnantes des prisonniers résonnaient destridents bruits de mâchoires. Ils seraient dévorés, à moins d’unsecours miraculeux sur lequel personne ne comptait plus.

Seul, Astéras semblait étranger à lapréoccupation générale. Il était allé s’asseoir auprès dufactionnaire placé à l’entrée de la grotte, là où la clarté étaitplus grande, et sur son carnet, il dressait un tableau, alignaitdes signes bizarres, avec un sourire satisfait :

– Cela amusera Maïva, monologuait-il touten se livrant à ce singulier travail. Elle apprendra ainsi à lireet à prononcer les lettres du même coup.

Une fois de plus, l’éternel distrait avaitoublié la situation où il se trouvait. Et il avait quelque mérite àcela, car plus le temps avançait, plus les grognements des chiensdu bush devenaient aigus. La faim et la colère grandissaient chezeux. Évidemment, l’instant était proche où le combatcommencerait.

Cela dura jusqu’à cinq heures du soir. Le venttomba tout coup, l’averse se calma, les dingos eux-mêmes se turent,surpris par cette brusque accalmie ; mais soudain quelquesabois secs, rapides, résonnèrent. Comme si cela eût été un signalattendu, tous les chiens se dressèrent sur leurs pattes, semassèrent en un bataillon compact, présentant, à l’entrée de lagrotte, une rangée terrifiante de dents acérées.

– À la barricade, cria lefactionnaire !

À cet appel, tous coururent au rempart. Ilétait temps. L’armée des chiens s’ébranlait.

Ainsi qu’une vague furieuse déferlant sur lafalaise, les carnassiers vinrent se briser sur l’obstacle.

Des coups de feu pressés éclatèrent. Lesassiégés tiraient dans la masse, au hasard, sans viser.

Des hurlements de douleur répondirent à cettedécharge. Les blessés étaient entraînés par leurs congénères, quiles déchiraient sans pitié. Mais l’attaque ne fut pas arrêtée.

Troupe grouillante, compacte, les dingos sehissaient les uns sur les autres, se cramponnant des griffes et desdents aux aspérités des blocs de rochers. Ils arrivaient à lahauteur du rebord supérieur, et leurs mâchoires avides soufflaientà la face des assiégés leur haleine brûlante.

Le temps de recharger les armes manquait. Lesfusils, les révolvers se transformaient en massues, s’abaissantsans relâche, broyant les crânes des bush’s dogs.

Mais de nouveaux assaillants surgissaienttoujours, hurlant, grinçant des dents, les yeux injectés, avides demordre.

Ce que dura cette infernale vision, aucun desassiégés n’aurait pu le dire. Soit par lassitude, soit que lesnombreuses victimes des armes européennes eussent suffi à apaiserla fringale des plus affamés, l’attaque des chiens sauvages mollitsubitement, et tous, tournant le dos à la barricade, s’enfuirent etdisparurent dans les brumes de la nuit tombante.

Ainsi que l’avait affirmé Parker, aucuncadavre ne restait en vue. Les assiégés avaient fourni des alimentsà leurs ennemis, mais rien à eux-mêmes.

Tristement ils prirent leur dernier repas, etquand ils eurent mastiqué avec peine les languettes de chairséchée, ils se regardèrent avec un découragement profond.

Le premier acte du drame, auquel le MontJackson servait de théâtre, était achevé. Le second allaitcommencer, avec un adversaire nouveau : la famine !

Aussi fut-ce un étonnement général, lorsquel’astronome d’un air enchanté appela Maïva.

– Viens, petite, je vais te montrer desimages qui t’intéresseront.

Tous regardèrent de son côté. Sa large faceexprimait la joie. Il clignait de l’œil d’un air malin, en toisantRadjpoor, absorbé par de sinistres réflexions. Sa main brandissaitune feuille arrachée à son carnet.

– D’où provient ta satisfaction,interrogea Robert en s’approchant !

– De ce que j’ai trouvé le moyend’activer les progrès de cette bonne petite Maïva.

Les lettres de l’alphabet sont difficiles àretenir, parce qu’on les enseigne comme des sons, ne représentantrien à l’esprit.

Eh bien, en fouillant dans mes souvenirs, j’airéussi à rétablir le sens et l’origine des lettres. Par l’image,elle les apprendra en quarante-huit heures !

Et sans s’apercevoir de l’air ahuri de soninterlocuteur, surpris qu’en un pareil moment il pût être préoccupéde lecture, le savant lui montra triomphalement le tableau quevoici :

– Toutes les lettres primordiales y sont,clama l’astronome en forçant son ami à examiner le tableau.

Les Aryas de l’Inde, les Égyptiens, lesPhéniciens ne connurent que dix-neuf lettres, ou plus exactementdix-neuf hiéroglyphes, dont la forme se modifia avec le temps, etdont la signification s’obscurcit, à mesure, qu’ils s’éloignaientdu dessin primitif.

Tu ne vois pas figurer ici les lettres k,f, j, w, x, y et z, lesquelles sont de simples variantes dessignes c, e, i, v et s.

Si nous écrivions les nombres en chiffresromains, je ferais un travail du même genre.

Chez les anciens la main servit d’abord àcompter. 1 était représenté par le pouce, 2 par le pouce etl’index, et ainsi de suite jusqu’à 5 et 10 figurés par une ou deuxmains ouvertes.

Avec le temps, les doigts disparurent etfurent remplacés par de simples lignes, comme ceci.

Et rapidement il traça le petit croquis suivant :

– Prends les deux doigts extrêmes de lamain, le pouce et l’auriculaire, poursuivit Ulysse, tu obtiens laforme du V, adoptée par abréviation pour représenter le 5, ce quiconduisit à écrire 4 : IV ; 6 : VI, jusqu’à dix dontl’X est simplement la réunion de deux V, c’est-à-dire deux fois5.

Pour les chiffres arabes, leur originephénicienne est un peu plus compliquée.

Les Phéniciens avaient groupé les jours parpériodes de 10 ; à chacun des jours de ces décades – reprisesplus tard comme semaines par la révolution française – un animalcorrespondait, et sa forme servait à désigner dans quelle divisionun fait s’était produit.

C’est ainsi, conclut-il en griffonnant de nouveau, que nousobtenons la liste que j’indique grossièrement :

Tout à son idée, Astéras allait poursuivre saconférence ; par bonheur Lavarède, un instant suffoqué partant d’inconscience, retrouva la voix :

– Tu es fou, dit-il.

Le savant leva la tête d’un aireffaré :

– Fou ! mais malheureux, ce que jeviens de te dire n’est pas une supposition en l’air, une hypothèsesans fondement, c’est…

– Je me soucie bien des origines del’alphabet et de la numération. Sempiternel rêveur, peux-tu songerà de telles balivernes, alors qu’il faut peut-être nous préparer àmourir.

– Tu dis ?

– Que les dingos nous assiègent et quenous n’avons plus une miette de nourriture.

La figure ronde de l’astronome se rembrunit.Il se donna une calotte sur la tête et répliqua d’un tonpenaud :

– Tu as raison, je suis fou, cette pauvreMaïva…

– Maïva, comme Lotia, toi, moi, tous ceuxqui nous entourent sont en danger de mort, à moins d’un secoursprovidentiel.

– Il faut le provoquer ce secours.

– Comment, mon pauvre Ulysse ?

– N’avais-tu pas parlé d’un signal defeu, allumé au sommet de la montagne !

– Si, mais les chiens sauvages veillent.Personne ne tromperait leur flair.

– Oh ! dit simplement le savant. Onne sait jamais. J’essaierai, si tu veux.

Et sans se rendre compte qu’avec uneinsouciance sublime, il offrait d’accomplir un acte de foliehéroïque, l’astronome se leva et se dirigea vers l’entrée de lacaverne. Robert lui barra le chemin et lui serrant les mains, avecune émotion qui faisait trembler sa voix :

– Non, cher illuminé, non, ne tente pascela. Ton dévouement serait inutile. Tu n’arriverais qu’àtransformer en réalité l’horrible vision du songe d’Athalie et ànous montrer

Un horrible mélange

D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange

Que des chiens dévorants se disputaient entre eux,

Puis avec un sourire, sa bonne humeur nativereprenant le dessus :

– Reste ce que tu es, un astronome,gardien vigilant de la Grande et de la Petite Ourse, du Dragon etde cent autres constellations aux noms féroces. Ce serait déchoirque te faire dépecer par de vulgaires chiens de la brousse.

Il redevint grave, le sentiment aigu de lasituation le ressaisissant.

– Seulement il faut sortir d’ici et auplus tôt – et avec une sourde irritation – au diable l’existencesédentaire et bureaucratique où l’on n’apprend pas à se tirer dudanger. J’aurais dû me faire colon en Afrique, comme mon père.J’aurais chassé le lion, la panthère, et aujourd’hui je ne seraispas bloqué, empêtré par ces maudits caniches.

Pensif, il ramena son ami dans la caverne.Leurs compagnons étaient étendus sur le sol, enveloppés dans leursmanteaux. Dormaient-ils, ou bien feignaient-ils le sommeil, afin den’avoir pas à échanger leurs pensées sur l’avenir désespérantouvert devant eux. Lavarède ne se le demanda même pas.

Parmi ces corps immobiles, une forme seuleattirait son regard, celle de Lotia. À pas de loup, il s’approchad’elle. Elle ne bougeait pas ; ses paupières étaientcloses ; de ses lèvres vermeilles s’échappait un soufflerégulier.

Il allait se retirer quand elle ouvrit lesyeux ; avec une expression indéfinissable elle considéra leFrançais debout ; sa physionomie s’éclaira d’un sourire cruelet d’une voix ironique :

– Tu le vois, Thanis, dit-elle. Lalâcheté est mauvaise conseillère. Tu pouvais laver la tacheancestrale dans le sang des oppresseurs de ta patrie. Le peuplet’aurait acclamé, adoré, et moi-même peut-être un jour, éblouie parta gloire, j’aurais pardonné. Au lieu de cela, tu as fui bassement,en fils de chiens, et ce sont les chiens qui te châtieront.

Elle se tut un instant, comme si elleattendait une réponse. Désespéré par ses paroles, ne trouvant rienpour lui expliquer son erreur, Robert garda le silence. Alors elleeut un imperceptible mouvement d’impatience.

– Éloigne-toi, Thanis. Ta présence blessela vue de celle dont tu as fait une victime.

La tête basse, le cœur saignant sousl’outrage, Robert obéit à la jeune femme. Chaque mot prononcé parelle était une insulte, une blessure nouvelle, et cependant iln’éprouvait pas de colère. Il avait pitié, et tout bas il murmuraiten s’éloignant :

– Une idée, une simple idée. Que je donnema vie, mais qu’elle soit sauvée par moi. Elle est bonne aufond ; elle me regretterait si elle croyait que je me suissacrifié pour elle.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer