Cousin de Lavarède !

Chapitre 7UN CADEAU PRINCIER

En voyant tomber Robert, Lotia avait fait unpas vers lui ; mais lorsqu’il se releva, elle s’enfuit. LeFrançais, tout étourdi encore de l’aventure, ne remarqua pasl’étrangeté de sa conduite.

Ce fut seulement quand Ramier l’invita àquitter la cale, afin de laisser les matelots dépecer les animauxcouchés sur le plancher, qu’il s’aperçut de l’absence del’Égyptienne.

Ce lui fut une tristesse aiguë. Pour laseconde fois, il se jetait entre elle et la mort. Pour la secondefois, elle ne croyait pas lui devoir un remerciement. Combientenace était donc la haine de la jeune fille. Depuis quelquesjours, elle semblait douter que Lavarède fût le cruel Thanis, filsde l’assassin de sa mère. Il avait espéré que l’abîme, creusé entrelui et celle que les Néo-Égyptiens lui avaient donnée pour épouse,allait se combler. Et soudain, le précipice se faisait plusprofond, plus infranchissable. Il exposait sa vie pour elle, ellelui refusait le merci banal qu’un adversaire quelconque lui eûtaccordé sans difficulté.

Astéras devina sa pensée – il lui était pousséde grandes délicatesses de cœur depuis qu’il enseignait la parole àMaïva, – la petite muette aussi comprit, car ils se placèrent dechaque côté de Robert ; chacun saisit une main du jeune hommeet la serra énergiquement, sans une parole.

Qu’eussent-ils pu dire d’ailleurs pouramoindrir l’affliction de leur ami. Sa douleur était de celles queles mots ne sauraient guérir. Il fallait se borner à lui montrerqu’il n’était pas isolé, que des amitiés sincères l’entouraient,que l’ingratitude d’une seule ne devait pas le conduire à lamisanthropie.

C’est ainsi qu’ils regagnèrent le salon.

Radjpoor s’y trouvait déjà, nonchalammentétendu sur un divan. Il ne se dérangea pas à l’entrée de ceux qu’ilavait entraînés dans une aventure sans issue. Il ne fit pas unmouvement, lorsque Ramier et Mme Hirondelles’étonnèrent naïvement de la brusque retraite de Lotia. Etpourtant, de son regard sombre il étudiait la physionomie deRobert. Il vit la souffrance de ce dernier, et un fugitif souriredesserra ses lèvres.

Allons, tout n’était pas perdu ! La fillede Yacoub luttait contre le courant de sympathie qui l’entraînaitvers le Français. Un coup frappé juste l’éloignerait de lui àjamais.

Et ce coup, il le porterait dans la journéemême. Dans son cerveau fécond en ruses, une idée était née. Lediamant d’Osiris, gardé pieusement durant les siècles par lesprêtres d’Axoum, ce diamant dont la cachette n’avait jamais étérévélée, malgré les tortures musulmanes, malgré les menacesanglaises, ce bijou, destiné à l’avènement d’une ère de libertépour le peuple d’Égypte, il allait l’utiliser pour terrasser laloyauté de Robert, pour déchirer l’âme délicate de Lotia.

Ramier se retira au bout d’un instant pours’enfermer dans son laboratoire. Quant àMme Hirondelle, désireuse de présider elle-même àla confection d’une sauce inédite, elle s’excusa auprès de seshôtes et se rendit à la cuisine de l’aéronef.

Robert, Maïva, Astéras et l’Hindou restèrentseuls en présence.

Aucun n’avait envie de parler. Allongés surleurs sièges, l’œil vague, ils demeuraient immobiles sous le lourdsilence pesant sur eux.

Soudain un bruit léger leur fit tourner latête. La porte venait de glisser sans bruit sur ses gonds, et Lotiase tenait debout sur le seuil.

L’Égyptienne était pâle, ses yeux rougisdisaient qu’elle avait pleuré. Toute sa personne trahissaitl’affaissement dont est toujours suivie une lutte morale.

Elle s’appuya un instant au chambranle, commesi ses jambes refusaient de la soutenir, puis son gracieux visagese contracta. On voyait que sa volonté tendait ses nerfs, et d’unpas lent, hésitant, elle marcha vers Lavarède.

Il la regardait venir, troublé de son trouble,brisé par son émotion, n’osant lui parler. Il voulut se lever,aller à sa rencontre, mais il retomba sur son siège. Ses membreslui refusaient le service.

Quand elle fut devant lui, elle pâlit encoreet sa poitrine se soulevant à coups précipités, elle murmura d’unevoix basse, à peine distincte :

– En Abyssinie, devant une panthèrenoire, vous vous êtes précipité sans armes pour me protéger. Tout àl’heure encore vous m’avez sauvée. Je ne veux pas que vous mecroyiez ingrate. Pourquoi ma pensée est-elle ainsi faite ? Jel’ignore, mais cela est ainsi. Je sens peut-être que vous m’êtesdévoué, entièrement dévoué, mais je songe en même temps quepeut-être, malgré vos dénégations, vous êtes Thanis, le fils dumeurtrier de ma mère Aïssa. J’ai juré de vous haïr, et cependantvous êtes mon sauveur. Je suis pénétrée de reconnaissance et je nedois pas l’exprimer, car on ne peut à la fois être l’obligé etl’ennemi. Ah ! si vous avez dit vrai, si vous n’êtes pas dusang de celui qui a frappé, parlez, donnez-moi une preuve de votreinnocence, donnez-moi l’apaisement de l’esprit.

– Eh ! fit tranquillement Astéras,les preuves abondent. Ma parole d’abord, à moi qui suis l’ami deRobert, celle de Maïva ensuite, qui fut l’esclave du seigneurRadjpoor et pénétra ses combinaisons.

L’esclave se dressa d’un mouvement ; samain mignonne se tendit vers l’Hindou :

– Thanis ! lui ; lui,Thanis !

Sans un geste, celui-ci avait écouté. Àl’accusation précise de Maïva, il répondit par un ricanementironique :

– Ah ! Lotia est sur le point derenier le sang des Hador, elle va pactiser avec l’ennemi de sarace, avec l’homme qui a menti aux siens, qui s’est dérobé audevoir, à la cause de l’indépendance égyptienne.

D’un regard anxieux, la fille de Yacoubinterrogea Lavarède :

– Eh ! gémit le jeune homme, quevous dirai-je que je ne vous aie déjà dit ?

Je suis Français ; je vivais tranquille àParis, sans m’occuper des querelles anglo-égyptiennes. Thanis estvenu ! On m’a enlevé, jeté dans un imbroglio auquel je necomprends rien.

– Naturellement, souligna l’Hindou de savoix railleuse. On ne comprend rien, c’est bien plus facile qued’expliquer le plan machiavélique que vous me prêtez. Car enfin, sij’étais Thanis, comme vous le prétendez, quel serait mon intérêtdans toute cette affaire ?

À cette question insidieuse, Robert demeuracourt. Il ne pouvait deviner les mobiles de son ennemi.

– Vous gardez le silence, reprit celui-cid’un air triomphant. L’occasion est cependant unique. Lotia vousprie de chasser ses doutes. Dites-lui donc quelle raison a étéassez forte pour conduire le véritable Thanis à renoncer à sa main,à la donner à un autre avec l’inestimable diamant d’Osiris.

Lotia se cacha la figure dans sesmains :

– C’est vrai ! c’est vrai !

Un rugissement de rage s’échappa des lèvres deRobert. Il se sentait enchaîné par la logique du raisonnement del’Hindou. Quel était donc l’intérêt de cet homme ?

– Fâchez-vous tout à votre aise, Thanis,poursuivit le rusé personnage, cela n’empêchera pas d’exister cequi est. Et puisque Lotia hésite encore, puisque la colère negronde pas en elle, à la vue du fils de celui qui a poignardé samère, je lui rappellerai que, roi sans courage, vous refusiez desuivre Niari en Égypte, que nous avons dû vous plonger dans unsommeil factice pour vous emporter à bord du brickPharaon. J’ajouterai que, plus tard, par crainte del’Angleterre, vous avez songé à trahir la cause de ceux quis’étaient confiés à vous. Sans moi, à Massaouah, vous vousembarquiez pour l’Europe, abandonnant vos soldats, volant à lavallée du Nil la plus belle de ses jeunes filles et le plusmerveilleux de ses diamants.

Lavarède était devenu livide. Ses mains secrispaient furieusement sur les bras de son fauteuil.

– Oh ! gronda-t-il, vous, je voustuerai ; mais auparavant, il faut que je vous démasque.

Il s’arrêta. Maïva venait de lui toucher lebras. Tout son corps frêle était agité d’un frissonnement.Évidemment elle voulait parler, mais sa langue rebelle se refusaità prononcer les mots désirés.

Ses yeux ardents se fixaient sur Radjpoor.

– Tu veux nous apporter le mot del’énigme, demanda Ulysse ?

Elle fit oui de la tête. Lotia vit lemouvement. Angoissée, elle se rapprocha de l’esclave, et d’une voixémue :

– Tu sais, toi, tu sais et nous nepouvons deviner ce qui se passe dans ton cerveau. Cherche, je t’enprie, cherche, car l’incertitude me tue.

Et tout à coup, une lueur joyeuse dansa dansles prunelles de la muette. Son poing désigna Radjpoor, et avecéclat !

– Lui… Anglais… argent… donner !

– Les Anglais lui faisaient une pension,clama Ulysse enthousiasmé ?

– Oui.

Sans sourciller l’Hindou laissa tomber cesmots.

– Parbleu ! jolie preuve. Thanisdoit bien savoir ce qu’il touchait du gouvernement anglais pour sedésintéresser des affaires d’Égypte. Mais avide comme tous ceux desa race, il a voulu davantage. De là, ses mensonges en se trouvantparmi ses fidèles.

– Mes mensonges, cria Robertexaspéré ?

– Sans doute ! N’as-tu pas affirmé àYacoub, au peuple assemblé, à Lotia elle-même que je supplie de sesouvenir, que tu étais Thanis ?

– Oui, oui, murmura la jeune filleaccablée.

– Sarpejeu ! C’est vous-même, maîtredrôle, qui m’avez conduit à cela. Je veux vous mener à la fortune,m’avez-vous déclaré. Pour l’atteindre, il suffit de ne vous étonnerde rien. Rappelez-vous au surplus que, si le silence est d’or, laparole est d’acier pointu.

Radjpoor haussa les épaules :

– Contes à dormir debout !

Et comme Lavarède, Lotia se considéraient avecune défiance renaissante, il profita de son avantage :

– Voyez-vous, Thanis, vos accusations melaissent froid, parce que j’ai agi loyalement.

– Ne parlez pas de votre loyauté,interrompit l’ancien caissier, elle est hors de cause.

– Sans doute !

– Hors de cause par raison d’absence,acheva le Français.

De nouveau les épaules de l’Hindouesquissèrent un haussement dédaigneux.

– La défense est faible. Mais puisquevous m’y contraignez, je vais vous confondre.

– Je vous en prie.

– Pensionné de l’Angleterre…

– Encore ?

– Je le suppose. Votre séjour enAustralie et sur le Gypaète vous permettront sans doute deréclamer quelques arrérages, si nous rentrons en Europe !

– Oh ! ces insinuations dépassentles bornes.

– Aussi je les laisse de côté, et jeprocède par affirmations.

Et les lèvres écartées par un sourirenarquois, le fourbe ajouta :

– Tenez-vous à ce que j’explique votreconduite ?

– Énormément, quoique vous ne paraissiezpas tirer vos renseignements du puits où habite la Vérité.

– La vérité est sur mes lèvres.

– Bien changée alors, car je ne lareconnais pas.

– Vous avez acquis de l’esprit en France,cela n’a rien d’étonnant du reste ; en vivant au milieu dupeuple le plus spirituel de la terre, on prend ses qualités… etaussi ses défauts. Le principal de ces derniers, vous le possédez,notre discussion le démontre surabondamment. Vous manquez deraisonnement.

– On ne vous fera pas le même reproche.Vous raisonnez juste, même le faux.

– Très joli le mot ; mais ce n’estqu’un mot, et comme tel il ne prouve rien. Laissant donc de côtéles effets oratoires, je vais droit au but. Conduit en Égyptemalgré vous, par le brave Niari, vous avez appris de luil’existence du diamant d’Osiris. Vous aimez la fortune, je ne vousen blâme pas, je constate simplement. Le bijou en question vautplusieurs millions. Son possesseur a évidemment l’indépendance.Vous vous êtes avoué que l’Angleterre pouvait un beau jour selasser de vous couvrir de ses libéralités. Avec le diamant, cetteoccurrence n’était plus inquiétante. Mais pour le posséder, ilfallait sembler marcher de pair avec les patriotes de la vallée duNil. Vous n’avez pas hésité. Votre but ressort de vos actes, carune fois à Axoum ; détenteur du joyau royal, vous avez avertiles Italiens de votre présence, afin qu’ils vinssent vous délivrerd’une escorte trop zélée, et qu’ils vous ramenassent en Europe,d’apparence malgré vous.

Le Français avait écouté cette harangue sanssourciller. Dès les premières paroles du l’Hindou, il avait devinéoù il tendait, et sa résolution avait été prise :

– Alors, fit-il, vous m’accusez d’avoirmenti pour m’approprier le diamant d’Osiris ?

– Demandez à Lotia si elle ne pense pasde même.

Malgré lui Robert regarda l’Égyptienne. Elledétourna la tête. Mais l’ancien caissier ne parut pas troublé parce mouvement, qui équivalait cependant à une réponseaffirmative :

– Parfait ! se borna-t-il àmurmurer. Je suis un pleutre ; pour un caillou brillant, jesacrifierais une nation, je tromperais un vieillard vénérable commeYacoub, une noble enfant comme Lotia ! C’est exquis et je suisun joli monsieur.

Puis élevant la voix :

– Seulement, il y a un seulement. Parsuite de votre habileté infernale, M. Thanis, il m’estimpossible de démontrer que je ne suis pas Vous ; grâce auciel, je puis au moins me laver du reproche de cupidité.

Il avait enfoncé sa main droite dans sa poche,il la retira vivement. Entre le pouce et l’index, il tenait lebandeau Royal enlevé dans la basilique d’Axoum, et au milieu duquelle diamant d’Osiris étincelait de mille feux.

– Voilà cette pierre précieuse, plusprécieuse en ce moment qu’elle ne l’a jamais été, car je vais m’endéfaire.

Et le tendant à Lotia :

– Lotia, murmura-t-il d’une voix douce,prenez ce bijou, et en échange donnez-m’en un qui, pour moi, a centfois plus de prix : votre confiance.

Dans les doigts de la jeune fille, il glissaitle joyau royal. Elle leva les yeux vers lui ; deux larmesperlaient entre ses longs cils. Elle ouvrit la bouche pour parler,mais Radjpoor ne lui en laissa pas le temps :

– Cadeau princier, fit-il en riant. Lotiaest prisonnière comme nous à bord du Gypaète et le diamantse retrouvera toujours.

De nouveau, les paupières de l’Égyptiennes’abaissèrent.

– C’est juste, répliqua tranquillementRobert, et je remercie le seigneur Thanis-Radjpoor de me signalerles suppositions malveillantes auxquelles on pourrait selivrer.

Puis s’adressant à Lotia d’un ton plusdoux :

– Lotia, je donnerais ma vie pour quevous eussiez foi en moi. Ce bijou nous divise. Montons ensemble surle pont et jetez-le dans l’espace. De cette façon, il sera bienperdu pour tous. Et cette pierre brillante, qui n’a fait naîtreautour d’elle qu’infamies et mensonges s’abîmera, au premier dégel,au fond de l’Océan, avec les glaces qui la supporteront. Je supposeque, de la sorte, vous ne me croirez plus un lâche adorateur de larichesse.

Il marchait vers la porte. Lotia lerappela :

– Non, dit-elle, je garde ce diamant. Ilest sacré pour une Égyptienne, car il est l’emblème de liberté.

– Me soupçonnez-vous encore, demanda-t-ild’une voix suppliante ?

– Le sais-je, gémit la jeune fille.Cherchez la vérité, faites qu’elle éclate à tous les yeux, etalors…

Elle s’interrompit brusquement. Une teinterosée envahit son visage et d’une voix abaissée :

– Alors ?… Folle que j’étais desonger à cet instant qui peut-être n’arrivera jamais. Seulement,vous m’avez sauvée deux fois, et que vous soyez ou non Thanis, jevous dis : Merci !

Sur ces mots, elle courut à la porte, l’ouvritet disparut, avant que Robert ravi, Radjpoor irrité eussent pus’opposer à son départ et lui demander le sens des paroles bizarresqu’elle venait de prononcer.

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