Cousin de Lavarède !

Chapitre 8SINGULIÈRE DEMANDE EN MARIAGE

De nouveau Robert parcourait le dédale descorridors de l’hypogée. Mais cette fois, la promenade fut courte.Au bout de cinquante pas, une porte basse se présenta. Les oërisrouvrirent, et s’adossant au mur, élevant leurs épéesverticalement, la coquille à hauteur des lèvres, ils laissèrentpasser Yacoub et le Français.

Ceux-ci se trouvèrent seuls, dans une petitepièce simplement meublée d’une table de bois commun et de chaisesde bambou et de roseaux tressés.

Le vieillard désigna l’un des sièges àLavarède :

– Daigne t’asseoir, ô Roi. Avant de teconduire auprès de ma fille Lotia, je voudrais t’adresser quelquesparoles.

– Je vous en prie, ne vous gênez pas,répliqua gracieusement le caissier en prenant place.

– Quoi que t’ait dit Niari, tu pouvaisconserver quelques doutes sur la sincérité de ma résolution.

– Ah ! se récria poliment le jeunehomme.

– Pourquoi le nier ? Ici nul nesaurait nous entendre, à quoi bon déguiser ton âme ?

– Puisque vous l’exigez, je conservais eneffet des doutes.

Et cette phrase conciliante prononcée, Robertse déclara in petto :

– Ah ! mais, il m’ennuie, le vieuxbonze. Il va me faire dire quelque sottise.

Yacoub sourit :

– Tu n’avais pas à t’en défendre. Lessiècles avaient passé sans éteindre la haine qui divisait les racesde Thanis, issue de Chléphrem et de Hador, descendant desconquérants Hycsos venus d’Arabie.

Sur un geste de vague approbation de soninterlocuteur, qui « donnait sa langue aux chiens »devant ce discours incompréhensible pour lui, l’Égyptienpoursuivit :

– Aujourd’hui, l’heure est grave. Il nefaut plus de malentendus, d’arrière-pensées. Il faut que notresituation soit nette et claire.

– Ah ! je ne demande pas mieux,s’écria légèrement Robert.

– Je le sais et te remercie del’affirmer.

– Cela n’en vaut pas la peine.

– Si, il est rare qu’un roi ait tafranchise.

– Mettons que je suis un bon roi etparlez.

– Soit donc ! Écoute. Longtemps nosraces luttèrent, élargissant, à chaque génération, le fleuve desang qui les séparait. Tantôt un Thanis abattait un Hador, tantôtun Hador vengeait ses victimes sur un Thanis.

– Bien, bien, murmura Lavarède, jeconnais ça, Roméo et Juliette, les Capulets et les Montaigus.

– La terre sacrée a bu le sang des jeuneshommes qui n’aurait dû couler que pour la défendre contre lesenvahisseurs. Ceux-ci survinrent et nous manquâmes de guerrierspour les combattre. Les luttes intestines avaient coûté la vie auxplus braves, aux plus audacieux. Nous fûmes vaincus. Le dernier desThanis s’enfuit. Il y a quinze années, il revint, et sourd aux crisde la patrie opprimée, n’entendant que la voix des hainesséculaires, il songea seulement à frapper les Hador exécrés. Sonpoignard arracha la vie à ma femme, ma vénérée Aïssa, la mère de maLotia.

– Tuer une femme, oh ! c’est lâchecela, s’écria Lavarède pris par le récit.

– Ce cri prouve ton bon cœur, interrompitvirement Yacoub, mais n’accuse point le meurtrier, souviens-toi quec’était ton père.

– Mon père !

Robert allait protester. Soudain le souvenirdes recommandations de Radjpoor lui revint. Il devait ne s’étonnerde rien. Une parole imprudente ferait s’abaisser sur lui uninvisible poignard déjà levé. Mais sa surprise avait été remarquéepar son interlocuteur.

– D’où vient ton étonnement, ô roi.Ignorais-tu le crime ?

– Je l’avais oublié, balbutia le caissierne sachant plus « à quel génie se vouer ».

Le vieillard leva la main et d’un airentendu :

– Je comprends ta pensée.

– Par ma foi, grommela Robert, il estbien heureux : je voudrais être à sa place.

– Tu désires m’indiquer, continua Yacoub,que nous avons vu la vérité, toi dans l’exil, moi devantl’invasion ; qu’il convient de jeter un voile sur lestristesses du passé, et de marcher la main dans la main au devoir.Tu as raison. Excuse un vieillard qui doutait de la sagesseprofonde de ta jeunesse. Excuse-moi, nous sommes bien alliés pourla même cause, éclairés par la même lumière. Fils de Thanis, levieil Hador sera le plus fidèle, le plus dévoué de tes sujets.

Et Lavarède inclinant la tête, mouvement quine lui semblait pas compromettant, Yacoub conclut.

– Thanis et Hador sont amis comme Damonet Pythias, comme l’étoile double de Castor et Pollux. C’estentendu, c’est promis, c’est juré. Maintenant occupons-nous del’Égypte.

– Occupons-nous de l’Égypte, répétadocilement l’ex-caissier de la maison Brice, Molbec et Cie.

– Tu sais ce que j’ai fait déjà. J’aiformé une affiliation secrète sous nom de« Néo-Égyptiens ». Nos emblèmes sont ceux de l’Égypteglorieuse, du temps où notre empire s’étendait sur toute l’Afrique.Les derviches du Soudan sont avec nous, à présent qu’ils t’ont vu.Les femmes fellahs fondent des balles, la nuit, dans leurscabanes ; les noirs Éthiopiens aiguisent leurs sabres ;au ciel s’est montrée l’étoile errant en tous sens prédite par lalégende.

– Ah ! oui, se confia Robert, lebolide d’Astéras.

– Tu es parmi nous, pour nous conduirecontre les Anglais roux et les forcer à reprendre la mer.

– Moi, moi, bégaya le jeune hommebouleversé par cette conclusion inattendue !

– Hésiterais-tu, gronda sévèrementYacoub ?

Son accent ramena Lavarède au sentiment de lasituation :

– Hésiter ? Jamais de la vie… Vousne me connaissez pas. Seulement suis-je capable de faire ce quevous attendez de moi ?

– Les prédictions sont formelles.

– Et puis, cela sera peut-être long.

Malgré lui, l’involontaire voyageur exprimaitsa crainte de voir se prolonger son absence de Paris. Mais soninterlocuteur riposta avec chaleur :

– Qu’importe le temps, pourvu qu’on aitla gloire. Relève la tête, fils de Thanis ; remémore-toi lesguerres d’antan ! Tes ancêtres n’ont-ils pas guerroyé contreles miens durant trois cents ans ?

– Trois cents ans, gémit lecaissier ! Et, si bas que le vieillard ne put l’entendre, ilacheva d’un air lamentable : ils vont me faire perdre maplace… Jamais ma caisse ne restera trois cents ans sanstitulaire.

Mais par réflexion, son visage se rasséréna.Il songeait au diamant d’Osiris. S’il le possédait, il n’auraitplus besoin d’être l’humble employé de fabricants d’instrumentsd’optique. Et tout naturellement il demanda :

– Mais nous ne parlons pas du diamantd’Osiris ?

– Nous y arrivons, Roi. L’exorde que tuviens d’ouïr était nécessaire.

Et doucement :

– Pour que les derviches combattent dansnos rangs, il faut que le diamant unique brille sur ton casque debataille. Donc nous irons le prendre là où il est caché aux regardsprofanes.

– Cela me va.

– Restent les guerriers d’Égypte. Ceux-cisont divisés en deux parties, les amis des Thanis, les clients desHador. Nous devons les fondre en un seul bloc, et pour cela leurprouver qu’aucune rivalité n’est possible entre nous ; leurdémontrer d’éclatante façon, pour les grouper eux-mêmes, que noussommes unis en une même aspiration.

– Allez toujours.

– Ce moyen, tu le connais comme moi.

– C’est égal, faites comme si je ne leconnaissais pas.

Le vieillard hocha la tête d’un airmécontent :

– Toujours tu te défies de moi. Tu necrois pas encore à la réalité des propositions que t’a portées lebrave Niari.

– C’est que sa mission était si peuofficielle, commença Robert se souvenant bien mal à propos de lamanière dont il était entré en relations avec le faroucheÉgyptien ; mais changeant d’accent devant le regard surpris deYacoub : Je veux dire qu’il n’avait point qualité pour traiterla question, et que je serais heureux de vous entendre merépéter…

– Ses paroles. Tu acceptes donc enprincipe ?

La question embarrassa prodigieusement lejeune homme. Accepter une chose que l’on ne connaît pas esttoujours imprudent, mais aussi dans le cas présent, refuser pouvaitdevenir dangereux. Le plus sage, au fond de ce souterrain, était dene pas mécontenter son hôte. C’était à coup sûr le moyen de revenirà l’air libre. Or, une fois en rase campagne, le prisonnier-roitrouverait bien une chance de fausser compagnie à ses mystérieuxgeôliers.

Le résultat de ces réflexions, quitraversèrent le cerveau du caissier dans l’espace d’un éclair, futqu’il répondit le plus naturellement du monde :

– Voyons ! si je n’acceptais pas, jene serais pas ici.

Les traits durs de l’Égyptiens’adoucirent ; ses mains sèches serrèrent celles du Françaiset d’une voix émue :

– Alors, je puis te nommer mon fils…

– Comment donc, avec plaisir !Seulement, marmotta notre héros entre ses dents, il pleut des papasdans cette grotte ; et quels papas ? Tout à l’heure unassassin, en ce moment ce vieux fou.

– Mon fils, redisait Yacoub, viens surmon cœur. La mort d’Aïssa s’efface de ma mémoire. Peuple,réjouis-toi ; jette sur son chemin les palmes vertes desdattiers, entonne l’hymne de délivrance ; les vieux partissont défunts, et l’Égypte unifiée va reprendre son vol vers seséternelles destinées.

Avec effusion, il donna l’accolade au jeunehomme qui s’en serait bien passé.

– Attends-moi, Roi ; dans peud’instants, ton serviteur reviendra te prendre.

Il se dirigeait vers la porte. Il rouvrit,franchit le seuil, et comme il ramenait le panneau sur lui, iltermina :

– Sous peu de minutes, je te guideraivers ta fiancée !

Le claquement de la porte couvritl’exclamation ahurie de Robert :

– Ma fiancée !

Cri d’un étonnement si sincère qu’il l’eûtcertainement trahi.

Par bonheur, Yacoub ne l’avait point perçu.Seul dans la salle de pierre, le caissier donna libre cours à sarage. Dans quelle sotte aventure l’avait-on engagé ? Chasserles Anglais, être roi, se marier, on n’exigeait que cela de lui.Ah ! mais, il en avait par dessus les oreilles desgrandeurs ! Certes il était disposé à accepter avecreconnaissance le diamant d’Osiris, mais se marier… cela dépassaitles bornes ! Et contre qui encore ? Il n’en savait rien.Pour qu’on lui eût tendu un pareil guet-apens, bien certainement lafuture était un monstre de hideur. Autrement cela ne s’expliqueraitpas. Les pères de famille n’ont pas l’habitude de jeter ainsi leursfilles et leurs diamants à la tête du premier venu.

Ce mariage n’était pas fait au reste. Il serévolterait… Il… Oui, mais voilà, s’il récriminait, s’ils’expliquait, ce damné Radjpoor entrait en scène avec son éternelpoignard.

– Quel dilemme stupide, gronda Robert,marié ou égorgé… Sans compter que les Anglais ne manqueront pas deme pendre s’ils me prennent au milieu de ces conspirateurs. Et moiqui dédaignais mon emploi de commis ; moi qui me laissaisbercer par un vain rêve de fortune. Eh bien, je suis gentilmaintenant ! Ah ! tu veux des diamants, mon gaillard,prends-en donc et qu’ils t’étranglent !

Il s’interrompit brusquement. La porte venaitde se rouvrir, et dans l’encadrement, Yacoub incliné disait d’unton obséquieux :

– La fiancée du Pharaon Thanis est à sesordres !

Lavarède fut sur le point de se ruer sur levieillard, mais la silhouette des oëris armés d’épées apparut audehors. La partie n’était pas égale, et puis, en admettant mêmequ’il réduisît ces ennemis à l’impuissance, comment sortirait-il dulabyrinthe souterrain où il était enfermé ?

La soumission s’imposait, sous la réservementale d’abandonner conjurés, future, pierres précieuses, Radjpooret Yacoub à la première occasion.

Et se contraignant à sourire, le jeune hommesuivit ses adversaires, c’est ainsi qu’il les désignaitdésormais.

Des couloirs aux circuits capricieux, auxparois couvertes de fresques, des escaliers étroits semblants’enfoncer au centre de la terre, furent parcourus. Les oëriss’arrêtèrent devant une ouverture, au-dessus de laquelle la pintadesymbolique étendait ses ailes ocellées. Des servantes parurent, etsans un mot, du pas raide et gracieux des danseuses de la vallée duNil, elles marchèrent devant les visiteurs.

À leur suite, ceux-ci pénétrèrent dans unechambre peinte de rose tendre, que rehaussaient des bouquets géantsde fleurs éclatantes.

Accoudée sur une table, soutenue par un ibisde bronze émaillé arc-bouté sur ses pattes, Lotia était là, sesyeux pensifs et attristés, attachés sur la porte.

Dans la salle du conseil, Lavarède étourdi parles cris, absorbé par le spectacle, l’avait à peine regardée ;mais en cet endroit où rien ne le distrayait, elle lui apparutsoudain comme l’incarnation de la beauté. Sa colère, ses projets defuite s’évanouirent. Toutes les vagues rêveries dont l’ailecapricieuse nous porte vers l’idéal, depuis le songe enfantin causépar les contes de fées, jusqu’aux hallucinations plus précises del’adolescence, tout cela était effacé, dépassé, anéanti par laréalité vers laquelle, après un enlèvement merveilleux, un voyageincroyable, un vieillard inconnu l’amenait.

Une impression de surnaturel le saisit. Il futsur le point de plier les genoux, mais Yacoub prit laparole :

– Lotia, dit-il, Thanis entre dans lademeure d’Hador. Que la joie brille sur ton front, car l’hôte estenvoyé par les dieux.

Son accent était étrange ; il trahissaitl’ordre, alors que son attitude semblait celle de la prière.

Lotia eut un léger frisson, sa pâleurs’accrut ; mais elle répondit :

– Que Thanis soit le bienvenu chez lafille d’Hador !

Le vieillard inclina le chef d’un airsatisfait.

– Ce soir, reprit-il, en présence descheiks arabes, des Égyptiens de noble lignée, des derviches duSoudan, groupés autour de nous pour chasser l’envahisseur, votremariage sera célébré suivant les rites antiques de la cité d’Oph.Ainsi se renouera la tradition pharaonienne, et la nouvelledynastie des rois continuera les dynasties effacées. Demain, vouspartirez vers le temple où le diamant d’Osiris attend lelibérateur, et tandis, que vous ferez le voyage, des courriers serépandront par toute l’Égypte, annonçant aux patriotes qu’Hador adonné son enfant à Thanis ; que les vieilles rivalités ontpris fin, et qu’une seule cause aujourd’hui doit faire couler lesang ; celle de l’émancipation de la terre où dorment nosglorieux ancêtres !

Yacoub se tut un moment. Son visageresplendissait d’enthousiasme, ses mains frémissaient. Maisredevenant maître de lui :

– Thanis, dit-il doucement, approche-toide Lotia. Sur son front, pose le baiser des fiançailles. C’estainsi que tes aïeux désignaient celle qu’ils avaient choisie pourépouse.

– Ma foi, bredouilla Robert, simademoiselle veut bien me permettre… je ne demande pas mieux qued’imiter mes aïeux.

La jeune fille avait fermé les paupières, uneindicible expression d’horreur couvrit ses traits, puis elle coulavers son père un regard éperdu et suppliant. Elle le vit droit,raide, immobile, l’œil fixe.

Alors d’un effort elle se leva, vint àLavarède, et s’arrêtant devant lui, tendit son front. Troublé audernier point, le caissier y appuya ses lèvres, et avec une secrèteterreur qu’il n’eût pu expliquer, il remarqua que la peau de Lotiaétait glacée.

Sous son baiser elle avait fléchi ; sesjambes la soutenaient à peine, et son visage blême, ses yeux égarésautour desquels se marqua soudain une meurtrissure bleuâtre, luidonnaient l’aspect d’une statue lamentable de la douleur.

Mais le Français n’eut pas le loisir des’informer. Yacoub l’entraîna hors de la pièce et le ramena dans lasalle du conseil, où Radjpoor, Astéras, Niari, Maïva,attendaient.

Et cependant Lotia restée seule fondait enlarmes. Au bruit de ses sanglots, une servante accourut :

– Vous pleurez, maîtresse, clama-t-elled’une voix attristée ?

Nourrice de la jeune fille, elle l’aimait.

– Oui, je pleure, gémit la jolieÉgyptienne à travers ses larmes, car je vais me sacrifier. L’heureest venue. Jusqu’alors j’espérais… Quoi ? Je ne sais, lemiracle impossible… Hélas, l’espérance même est morte. Thanis estici.

Et comme la nourrice, avec la tendresseingénue que l’on témoigne aux petits enfants, essuyait les grandsyeux de Lotia avec un fin mouchoir de batiste, celle-cicontinua :

– Un jour, mon père me dit : Pourrelever l’Égypte humiliée, il faut que tous ses enfants unissentleurs efforts, oublient leurs désirs personnels, leurs rêves debonheur, pour les remplacer par un seul et même souhait. Je veuxprêcher d’exemple. Je hais Thanis dont le père a mis à mort monépouse, ta mère. Thanis est en Europe, il vit largement d’unepension que lui paient nos ennemis. Mais dans ses veines coule unsang noble, généreux. L’appel de la patrie ne saurait lui demeurerindifférent. Je vais lui envoyer mon fidèle Niari. Il le chercheradans les cités des Européens, il le trouvera. Et alors, il luidira : Viens, l’Égypte asservie espère en toi. Elle t’offre lacouronne, et Hador sollicite ton alliance. Effaçons nos rivalitésqui furent fatales à la cause de la liberté. Épouse Lotia, monenfant bien-aimée, et conduis-nous à la victoire.

Elle s’arrêta un moment, et avec undécouragement profond :

– Je tentai de résister… comme si j’avaisassez de forces pour lutter contre la volonté de mon père. Niaripartit. Longtemps ses recherches furent infructueuses. Je merassurais. Thanis, pensais-je, ne songe plus à la vieilleÉgypte ; il est l’ami du vainqueur, son pensionné. Jamais ilne reviendra. Et quel que fût mon amour pour ma patrie, je meréjouissais de la défection de celui que tous appelaient comme chefet comme roi. Insensée, je me figurais qu’un homme issu de cetterace avide et hautaine dédaignerait la couronne, le pouvoir. EtNiari l’a ramené, et ce soir, je serai contrainte de mettre ma maindans celle du meurtrier de ma mère Aïssa. Ses doigts teints du sangdes miens déteindront sur mes doigts. Mais c’est ainsi. Sur l’autelde la patrie, les guerriers donnent leur existence ; moi,vierge timide, je dois immoler mon cœur. Je suis prête ausacrifice, au moins laissez-moi pleurer sur ma jeunesse qui étaitfaite pour le rire et les chansons, laissez-moi pleurer sur lebonheur auquel je pouvais aspirer comme toutes les jeunes filles,sur ma vie étouffée dans sa fleur, sur mon âme offerte enholocauste aux divinités cruelles des combats.

Sur ses joues brunes, les larmes coulaientlentement, tandis qu’elle exhalait sa plainte. Et la nourrice,impuissante à la consoler, appuyait sa tête charmante sur sonépaule, et dans ce dialecte égyptien, si doux, si caressant, luiprodiguait les appellations affectueuses qui apaisent les chagrinsdes tout petits.

Tout autre était l’humeur de Lavarède.Radjpoor, à son retour dans la salle du conseil, l’avait considéréavec une nuance d’inquiétude, et Yacoub s’étant éloigné afin dedonner les ordres nécessaires pour l’installation du caissierdevenu roi, le faux Hindou s’approcha vivement de cedernier :

– Eh bien, lui demanda-t-il ?

– Tout s’est bien passé, répliquagaillardement le Français. Il y a bien la guerre contrel’Angleterre qui me chiffonne un peu, mais le diamant d’Osiris, etsurtout Mlle Lotia (une perle cette jeune fille) mefont vous pardonner le passé.

– Quelle Lotia ? Quelle jeunefille ? questionna curieusement Astéras se mêlant aussi à laconversation.

– La plus jolie personne que j’aie jamaisrencontrée, mon cher, et elle sera ma femme dès aujourd’hui.

– Ta femme ? Tu te maries ?

– Il paraît.

– Comment, toi ! Il y a quinze joursencore, tu ne jurais que par le célibat.

– Eh bien ! je ne jure plus, voilàtout. Du reste on ne me demande pas mon avis, et le seigneurRadjpoor te dira, que si j’essayais de me dérober à la chaîne deroses que l’on veut me passer autour du col, je descendraisimmédiatement au tombeau.

Et laissant Ulysse stupéfait de ces parolesbizarres, Robert revint à l’Hindou.

– À propos, Seigneur, si j’ai biencompris, on me prend ici pour un autre, pour un certain Thanis…

– Plus bas, malheureux, interrompitRadjpoor en regardant avec crainte autour de lui.

– Soit, je baisse le ton, mais je répètema question plus bas.

– Vous avez bien compris !

– Parfait… Seulement si le vrai Thanis seprésente… ? À cette seule pensée, ma tête vacille sur mesépaules.

– Que votre tête reprenne son assiette.Jamais Thanis ne réclamera contre la substitution.

– Vous en êtes certain ?

– Absolument.

– Vous affirmez avec une autorité… Est-ceque vous le connaîtriez par hasard ?

– Que vous importe ? Avez-vousconfiance en moi ?

Robert se gratta la tête d’un airhésitant :

– Confiance ! Confiance !grommela-t-il… je n’en sais rien.

Sans se formaliser de l’aveu, l’Hindou sepencha vers lui, et d’une voix assourdie :

– Vous ai-je trompé jusqu’ici ? Jevous ai promis la fortune, le bonheur… ; il me semble que vousles touchez.

– À moi aussi. Mais vous ne m’aviez pasparlé des troupes anglaises à combattre.

– Pour ne pas vous inquiéter d’avance.J’étais persuadé du reste qu’elles passeraient par-dessus lemarché.

– Oh ! elles passent, ratifia lecaissier avec une grimace, elles passent… difficilement parexemple.

– Voulez-vous renoncer à Lotia, auxrichesses ?

– Non.

– Alors, croyez-moi. Laissez votrefortune s’établir, je vous donne ma parole que le véritable Thanisne vous disputera pas la place.

– Pourquoi ?

– Mon cher, railla Radjpoor en tournantle dos à son interlocuteur, ne cherchez pas à percer mon secret, ilest de ceux qui tuent.

Lavarède ne put retenir un geste demécontentement :

– Au diable ! Vous ne parlez que detuer.

Mais Yacoub accourait vers le jeune homme. Ilavait surpris son mouvement, et se méprenant sur sa véritablecause :

– Vous vous impatientez, Sire. Pardonnezsi je vous ai fait attendre, c’était pour vous mieux recevoir. Jevais vous conduire à votre appartement.

– Avec mon ami Astéras, compléta Roberten appuyant sa main sur l’épaule de l’astronome.

– Astéras ?

– Oui, un cœur dévoué, un homme sûr.

– Il suffit, Roi. Il est de ceux que tuaimes, tous nous l’aimerons.

Et s’inclinant cérémonieusement devant Ulysse,qui considérait tout cela avec la plus complète placidité.

– Seigneur Astéras, veuillez nous suivre.On vous fera préparer une salle dans l’appartement du roi.

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