Cousin de Lavarède !

Chapitre 20LOYAUTÉ ET FÉLONIE

Au bout de cinq cents pas, Niari rejoignit sonmaître. Sans mot dire, il marcha à ses côtés.

– Où est Sir Parker, demanda soudainl’Hindou ?

– Au pâturage numéro trois, Sahib. Ilchoisit et marque les moutons à expédier comme viande deboucherie.

– Numéro trois. C’est de bon augure, carnumero deus impare gaudet. Allons donc retrouver ce dignesquatter.

Un quart d’heure de marche conduisit lespromeneurs au pâturage désigné. Il y régnait une animationinsolite. Dans une enceinte de pieux, que des palissades divisaienten plusieurs sections, trois ou quatre mille moutons se pressaient,se bousculaient avec des bêlements éplorés. Des bergers, les brasnus, se frayaient un passage à travers la masse grouillante,s’arrêtaient soudain, enlevaient l’un des quadrupèdes etl’apportaient devant Sir Parker qui, assis au centre, examinait lessujets présentés, les acceptant ou les refusant d’un signe.

Dans le second cas, l’animal était remis surses pieds et courait rejoindre le troupeau ; dans le premier,on le marquait d’un P. de couleur rouge et il était enfermé dans uncompartiment spécial.

Les deux Égyptiens regardaient, quand lesurveyor les aperçut :

– Arrivez donc, cria-t-il. L’opération nedurera pas longtemps, je ne fais qu’une expéditioninsignifiante : six cents têtes.

Ils obéirent, et debout auprès de leur hôte,amusés par les manœuvres des bergers, ils attendirent patiemmentque Sir Parker fût libre.

Tout en procédant à son choix, celui-ci lestenait au courant :

– Encore cinquante, disait-il. Plus quetrente-cinq, vingt, douze, cinq… Embarquez le dernier. Voilà quiest fait.

Et s’adressant à l’un de sesemployés :

– Pritge, emmène les bêtes à la ferme.Les chariots sont attelés. Tu embarqueras et partiras sur l’heure.On m’a recommandé de faire diligence.

– Bien, Sir !

Et tandis que l’homme rassemblait lesquadrupèdes, il entraîna les visiteurs hors del’enceinte :

– Accompagnez-moi jusqu’au pré numéro 11,une jatte de lait chaud nous fera du bien, car le soleil commence àêtre brûlant.

Une fois sur la route, Radjpoor passa sansfaçon son bras sous celui du squatter :

– Sir Parker, commença-t-il, si je suisvenu vous troubler…

– Mais vous ne me troublez pas.

– C’est que j’avais à vous faire unecommunication grave, laquelle ne souffrait aucun retard.

À cet exorde, le surveyor dressal’oreille.

– Une communication grave,redit-il ?

– Très grave.

– De quoi s’agit-il ?

– Du service de Sa gracieuse Majesté.

D’un mouvement brusque, Parker porta la main àson large chapeau, et après avoir salué :

– Que dois-je faire ?

– Je vais vous l’apprendre, Sir James.Mais auparavant, veuillez interroger Niari qui nous suit…

– L’interroger, sur quoi ?

– Sur une conversation qu’il asurprise…

– Mais encore…

– Il vous expliquera lui-même.

Et appelant Niari :

– Répète à Sir Parker ce que tu m’asconfié tout à l’heure.

L’Égyptien inclina la tête et d’une voixsourde :

– Le déjeuner terminé, je me promenaisautour de la ferme. Le hasard de ma promenade me conduisit auprèsdu pavillon habité par monseigneur Thanis. Un bruit de parolesarriva jusqu’à moi ; je reconnus sans peine que, dans unesalle du rez-de-chaussée dont la fenêtre était ouverte, Son Altesses’entretenait avec l’Européen, son ami.

– Ulysse Astéras, souligna lesurveyor.

– Ulysse Astéras, en effet. J’allaism’éloigner, quand certains vocables attirèrent mon attention, je meblottis contre le mur, à deux pas de la fenêtre ; etj’écoutai.

– Mais c’est de l’espionnage, cela,hasarda Sir James.

Radjpoor lui lança un regard courroucé etsévèrement :

– Espionner pour la plus grande gloire dela Reine, c’est du loyalisme.

– Parfaitement ! c’est ce que jevoulais dire, balbutia le surveyor tout penaud, maiscontinuez, mon ami, continuez, je vous en prie.

– Or, voici ce que j’entendis, poursuivitnettement Niari. Son Altesse parlait de fuir, de retourner enÉgypte afin de soulever le pays.

– Que me contez-vous là, clama Parker enlevant les bras au ciel ? Mais je serais un homme perdu,déshonoré, s’il réussissait.

– Et il aurait réussi, déclara Radjpoor,sans l’intervention heureuse de ce brave Niari.

– Son Altesse, reprit ce dernier, aconstaté que vos écuries ne sont pas gardées la nuit.

– C’est vrai !

– Donc, rien de plus aisé que de prendredes chevaux et de gagner le désert.

Dans ses mains épaisses, le squatteremprisonna celles de l’Égyptien et les étreignant avec une vigueurqui prouvait sa gratitude :

– Vous me sauvez tout simplement. Dès cesoir, j’établirai des gardes d’écurie.

Il s’arrêta en voyant le faux Hindou secouernégativement la tête.

– Non, vous ne voulez pas ?

– Non, Sir Parker.

– Alors qu’exigez-vous ?

– Il faut que l’évasion s’exécute.

– Il faut… bredouilla le gros hommestupéfait ?

– Oui.

– Je n’y suis plus alors, Seigneur ;daignez me donner quelques éclaircissements.

– Je ne suis pas venu pour autrechose.

Et d’un ton emphatique :

– Sir Parker, vous êtes arrivé à un deces instants où la carrière d’un homme se dessine ; une faussemanœuvre vous ferait révoquer de vos fonctions desurveyor…

– Révoquer, répéta sir Jamesblêmissant.

– Au contraire, une adroite opérationvous met en vue, attire les honneurs sur votre tête, etprobablement la décoration de la Jarretière.

Du blanc le squatter passa au rouge.

– L’ordre de la Jarretière, fit-il d’unevoix tremblante, Cet ordre que la Reine ne décerne qu’auxsouverains, ou aux citoyens ayant rendu un signalé service àl’Angleterre !

– Oui, gentleman.

– Et comment pourrait-elle songer à moipour cette distinction ?

– Par cela même qu’elle compte sur vouspour rendre à la couronne un signalé service, ainsi que vous ledisiez à l’instant.

– Ah ! Seigneur Radjpoor, parlez, jesuis prêt.

Un sourire distendit les lèvres de l’Hindou.Avec son habileté ordinaire, il avait préparé le terrain. Emportépar la vanité, l’Australien lui appartenait. Pourtant rien netrahit sa satisfaction intérieure. Ce fut d’un ton calme qu’ilreprit :

– Sir Parker, l’heure est venue de vousinitier aux dessous de la politique. Je n’ai pas besoin de vousrecommander le secret le plus absolu, vous êtes hommed’honneur.

– Certes.

– D’ailleurs, conclut négligemmentRadjpoor, en cas d’indiscrétion, je vous désavouerais et vousseriez la première victime de votre imprudence.

– Je sais garder un secret.

– J’en suis persuadé, aussi jem’explique, Thanis, chef reconnu des rebelles égyptiens, est unemenace perpétuelle pour la domination anglaise dans la vallée duNil. Sa mort seule mettra un terme à l’agitation.

– Sa mort, fit en écho lesquatter ?

– Oui. Or, il a été élevé en France, il aservi dans l’armée de ce pays. Il a fallu par voie diplomatiqueobtenir sa radiation des cadres de l’armée. Donc l’attention étaitattirée sur lui, et la Reine a dû, pour éviter des complicationsextérieures, commuer en exil la peine de mort qu’il avaitencourue.

Le surveyor opina de la tête d’un airparfaitement convaincu.

– On attend seulement une occasion de lefaire disparaître. Cette occasion, c’est lui-même qui nousl’offre.

– Lui-même, dites-vous ?

– Suivez-moi bien. Par une nuit sombre,il se glisse hors de son pavillon. Moi, qu’il croit dévoué à sapersonne et qu’il compte certainement emmener avec lui, je me suisrendu un peu avant aux écuries, j’ai fait sortir les chevaux, jeles ai conduits à quelque distance de la ferme dans un fourré. Latentative d’évasion est bien caractérisée, n’est-ce pas ?

– Oh, je ne puis pas dire lecontraire.

– Bien. Mais vous, dont la surveillanceinquiète ne se dément jamais, vous avez surpris des conciliabules,saisi quelques bribes de conversation. Bref ! vousveillez ; vous avez vu ma manœuvre. Avec quelques serviteursarmés, vous gagnez les taillis où j’ai caché les chevaux, et vousfusillez Thanis, au moment où il va sauter en selle.

Le squatter eut un frisson.

– Vous avez, continua Radjpoor en élevantla voix, vous avez sauvé l’Angleterre, mérité l’estime de la Reineet accompli votre devoir strict de gardien d’un révolté.

– Mais est-il bien certain que Sagracieuse Majesté désire ?

– Vous oubliez que je suis commissairespécial de la Couronne.

– C’est vrai. En somme, vous metransmettez des ordres…

– Dont le but est de préparer unaccident, de façon à ne pas entacher la réputation de magnanimitéde l’Angleterre. La reine peut compter sur vous ?

– Oui, Seigneur Commissaire.

– Songez que Thanis est un ennemi.

– J’y songe.

– Un ennemi acharné. Qu’il peut souleverdes millions d’hommes, faire ruisseler le sang.

– C’est vrai.

– Que le patriotisme et l’humanité vouscommandent de détruire ce monstre ; car, broyée la tête, mortela bête.

– Il mourra, Mais est-il certain que safuite… ?

– Je viens de vous l’affirmer, Sir James.Le prisonnier, du reste, se trahira lui-même. Pour satisfaire à sonséide, le nommé Astéras qui s’est pris d’une belle affection pourMaïva, il tiendra à emmener cette petite. Ceci n’est qu’unesupposition, mais je parierais volontiers qu’il vous priera de lafaire rentrer à la ferme.

– Ah ! s’il fait cela !…

– Il le fera, allez, c’est probable.

– En ce cas, que luirépondrai-je ?

– Que vous aviez reçu l’ordre d’isolercette enfant, mais que la précaution vous paraît déraisonnable, etque vous prenez sur vous de satisfaire au désir de monseigneur. Ilne faut pas l’inquiéter, vous comprenez ?

– Parfaitement !

Et d’un ton hésitant, qui démontrait bien quele digne surveyor eût préféré toute autre combinaison quecelle qu’on lui proposait :

– C’est pour la patrie ! pour laReine !

– Qui sera fière de son féal sujet et lelui prouvera royalement !

Au pâturage n° 11, les trois hommes burent lajatte de lait promise par le squatter, mais celui-ci laissa son bolà moitié plein. Évidemment la haute politique, à laquelle il sevoyait mêlé, influait défavorablement sur son appétit.

Radjpoor, lui, semblait avoir oublié leurconversation. Il dissertait joyeusement. Tout avait marché au gréde ses désirs, et il se déclarait sans remords qu’il avait bienmené son affaire. En imagination, il apercevait dans un lointainembrasé, Paris, où il reprendrait bientôt son existence oisive etfrivole.

Toujours pensif, le surveyor ramenases hôtes à la ferme. Ils y arrivèrent un peu avant le dîner.

Sans ostentation, l’Hindou parvint à seglisser auprès de Lavarède :

– Agissez vite, lui dit-il tout bas. Lepersonnel est réduit en ce moment, plusieurs hommes sont partisaujourd’hui pour accompagner une expédition de moutons, celafacilite notre besogne.

– C’est vrai. Dès ce soir, je vaism’occuper de Maïva. Pourvu que le surveyorconsente !

– Bah ! essayez toujours. Nousverrons bien.

Durant le repas, qui fut monotone, chacuns’entretenant avec sa pensée, Lavarède surprit, à plusieursreprises, les yeux de Lotia fixés sur lui avec une expression plusdouce qu’à l’ordinaire. Cela lui donna du courage. Le loyal garçonne pouvait se figurer qu’il devait cette joie aux manœuvressournoises de l’Hindou.

Aussi, ce qui ne lui était pas habituel, ilinsista pour que mistress Parker se mît au piano. Il l’y conduisitmême, ce dont la commère faillit se pâmer d’aise. Songez donc, êtreguidée par une altesse. Et quand elle eut entonné à pleine voix unair de Guillaume Tell, qui certainement ne fut jamais chanté ainsià l’Opéra, Lavarède vint s’asseoir à côté du fermier et d’un airconciliant :

– Sir James, vous êtes le plus courtoisdes hôtes ; cela m’encourage à faire appel à votreamabilité.

Le surveyor, tiré brusquement de sesréflexions, eut un regard effaré à son adresse, et répondit ens’inclinant :

– Votre appel ne sera pas inutile,Altesse.

Le début était bon, Robert sedécida :

– Parmi mes compagnons, il en est un quej’honore d’une estime particulière. J’ai nommé Ulysse Astéras.

– J’ai remarqué en effet.

– Eh bien ! il est en proie à unetristesse que vous seriez en mesure de faire cesser.

Le gros homme lança un coup d’œil à Radjpoor,assis en face de lui. La supposition émise par le commissairespécial prenait corps. Parker pressentait ce que son interlocuteurallait lui demander. Et avec un frisson, il pensait que Son AltesseThanis signait ainsi son arrêt de mort. Aussi murmura-t-il d’unevoix hésitante :

– Je ferai tout ce qui sera en monpouvoir.

– Voilà une bonne parole, déclararondement Robert. J’irai droit au but. Astéras aime beaucoup uneenfant muette, à laquelle il a juré de rendre la parole. Ils’afflige de ne plus la voir, et il serait heureux si vousconsentiez à la rappeler parmi nous.

La farce sanglante commençait. Thanis avaitparlé. Sir James sentit une sueur froide mouiller ses tempes, et lecœur tressautant dans sa poitrine, il bredouilla :

– Tout ce que votre Altesse voudra. J’aireçu des ordres, vous savez, des ordres pour isoler la petiteMaïva… car c’est d’elle qu’il s’agit n’est-ce pas ?… Mais jepense, oui certes, je pense cette mesure vexatoire, vexatoire estle mot, et je prendrai sur moi… de la faire revenir ici.

– Alors, demain…

– Demain matin, oui, Monseigneur. Tropheureux – il exhala un profond soupir – Oui, je dois le dire, bienheureux de vous prouver mon désir de vous être agréable… Car jesouhaite, je souhaite positivement que vous n’ayez pas à vousplaindre de moi.

Ravi du succès de sa négociation, l’anciencaissier l’interrompit :

– Ne craignez rien à cet égard, SirParker, vous êtes le meilleur des hommes.

Et il étreignit solidement la main de soninterlocuteur, ce qui porta à son comble l’émotion de cedernier.

Cinq minutes plus tard, Mistress Parkerachevait son morceau au milieu des applaudissements. Profitant dubrouhaha, Lavarède s’approcha d’Ulysse et d’une voix contenue quela satisfaction faisait tremblotter :

– Demain, lui dit-il, Maïva rentrera à laferme.

– Est-ce possible ?

– Du calme. Va remercier sir Parker.C’est pour t’éviter un chagrin qu’il a accédé à ma prière.

L’astronome ne se le fit pas répéter. Ilcourut au squatter qui parlait à Radjpoor et le remercia aveceffusion.

Sa reconnaissance eût été fort diminuée s’ilavait pu entendre le court dialogue échangé entre les deuxhommes.

– Il m’a demandé Maïva, avait confié lesurveyor à l’Hindou.

Et celui-ci avait répliqué :

– Cela ne pouvait manquer. Choisissez leshommes pour l’embuscade, de bons tireurs surtout.

Puis sans que son visage exprimât la moindreémotion, l’astucieux personnage se faufila auprès de Lavarède, etle sourire aux lèvres :

– Vous avez réussi, à ce que je vois.

– Sans difficulté.

– Quand Maïva vous sera-t-ellerendue ?

– Demain.

– Rien ne nous empêche de partir demaindans la nuit.

– Mais Lotia ?

– Elle est prévenue et elle accepte.

Du coup, Robert murmura :

– Vous pensez à tout. Va donc pour lanuit de demain.

Mistress Parker, à la demande générale,reprenait place au piano. Radjpoor s’installa sur une chaisevoisine de celle du Français.

– Profitons du tapage de cettehallucinée, poursuivit-il, pour causer. Vous avez remarqué cebouquet d’eucalyptus situé au bas de la montagne, et qui semblemarquer la limite du désert ?

– Oui, en effet.

– Eh bien, demain soir, j’y conduirai leschevaux ; nous sommes six, vous, M. Ulysse, Lotia, Maïva,Niari et moi. Donc, six bêtes et des meilleures. Cela simplifierales allées et venues. D’autre part, si l’on me surprenait, comme jene suis pas un prisonnier important, je m’en tirerais plusfacilement que vous.

– C’est juste !

– Il vous suffira donc, vers minuit, dequitter votre chambre, et de vous rendre en flânant au lieu durendez-vous. Je préviendrai tout le monde, acheva le fourbe avec unsourire dont son interlocuteur ne comprit pas le véritablesens.

Comment aurait-il pensé qu’une demi-heureaprès, alors que, enfermé dans le pavillon, il devisait avecAstéras de la liberté bientôt reconquise, de Maïva, de Lotia,Radjpoor prenait sir Parker à part, et lui disait avec unricanement cruel :

– Demain, à minuit, au taillisd’eucalyptus, à la lisière du désert, vous gagnerez laJarretière.

Comme les autres, l’Hindou se retira chez lui.Tout en se couchant, il monologuait :

– Bah ! la Reine, l’Angleterres’étonneront un peu de la façon dont j’ai usé des pouvoirs quim’ont été confiés, mais après tout, la solution que je prépareconcilie tous les intérêts. J’encours un léger blâme, cela n’estpas pour me préoccuper.

Et seul peut-être de tous les habitants de laferme, il goûta un sommeil paisible qui attestait à la fois sabonne santé et l’élasticité de sa conscience.

Le jour vint. Sur tous les visages l’insomnieavait laissé des traces, dans tous les yeux se lisait l’attenteanxieuse. Au moindre bruit, les Français et leurs compagnonstressaillaient. Lentement, les heures s’écoulèrent, le déjeuner futexpédié et l’après-midi commença.

Vers quatre heures, les conjurés furentdistraits par l’apparition de Maïva, qu’un cavalier était alléquérir de bon matin.

Astéras courut à elle, il lui saisit les mainset la regarda sans mot dire. Elle lui sourit, tandis que de grosseslarmes perlaient au bord de ses paupières, puis secouant sonémotion d’un mouvement mutin de sa jolie tête, elle articulanettement, presque sans effort :

– Ami !

– Ami ! elle a dit ami, s’écrial’astronome transporté. Oui, ton ami, ma douce Maïva, ton amidévoué jusqu’à la mort.

Pour un peu il aurait dansé. Mais Radjpoors’étant approché, les yeux de l’Égyptienne se voilèrent, la craintefit trembloter ses lèvres.

– Il n’y prit pas garde et du ton le plusaffable :

– Maïva, déclara-t-il, je ne suis pluston maître.

Et comme elle levait sur lui un regard étonné,indécis :

– Je te répète que tu n’es plus monesclave ; je t’ai donnée à M. Ulysse Astéras, puisque tuparais avoir pour lui plus d’affection que pour moi.

Une lueur passa dans les prunelles de la jeunefille. Elle se tourna vers l’astronome, l’interrogeant d’un gestesuppliant. Lui, riant, hocha la tête :

– C’est vrai ! Le seigneur Radjpoora consenti à me faire présent de toi, gentille Maïva. Cela veutdire que tu n’es plus esclave de personne. Je ne prétends te garderprès de moi que si ton amitié te conseille d’y rester.

Avec un mouvement charmant, elle posa sur satête la main d’Astéras, et gazouilla de nouveau avec une indicibleintonation de trouble et de tendresse :

– Ami, oui, ami !

Elle ne pouvait croire encore à sonaffranchissement. Plus d’une fois elle considéra en dessousRadjpoor qui ne s’inquiétait plus d’elle, et elle ne futcomplètement rassurée, que quand sir Parker rentrant au moment dudîner, lui confirma de tous points l’affirmation de l’Hindou.

Alors, péniblement elle réussit à fairecomprendre qu’elle ne voulait pas se séparer d’Astéras. Ellepasserait la nuit dans une pièce voisine de sa chambre. Ulysseinsista pour que l’on donnât satisfaction à ce caprice d’enfant. Ilsongeait qu’ainsi, il serait assuré que la jeune fille ne resteraitpas en arrière, qu’elle partagerait ses chances d’évasion.

Et avec un étonnement non dissimulé, Maïvaentendit Radjpoor joindre ses prières aux siennes.

Sir Parker consentit d’ailleurs sansdifficulté. Celui qu’il considérait comme un délégué de la reineavait parlé ; il ne lui restait aucune raison pourrefuser.

L’Égyptienne eut alors un cri de joie. Ellevint au squatter, agita les lèvres, parut chercher un moment, puisd’un coup elle lança ce mot :

– Merci !

On applaudit la muette, qui décidément faisaitdes progrès rapides. Radjpoor la félicita tout particulièrement. Àcet instant même, le cruel et perfide personnage sedisait :

– Il était temps d’agir. Avant quinzejours, cette petite peste aurait dévoilé mon secret. Enfin, parle,parle, ma fille, les morts resteront sourds à ta voix.

Il était à peine dix heures quand on sesépara. Les premières journées de soleil fatiguent, avait affirmébénévolement le squatter. Aussitôt, avec un touchant ensemble,chacun avait renchéri sur cette affirmation. Jamais pareillelassitude n’avait pesé sur les hôtes du Mont Youle.

Bref on se souhaita le bonsoir et chacun s’enfut de son côté.

Mais une demi-heure après, une dizained’hommes, armés jusqu’aux dents, sortaient furtivement del’habitation, descendaient avec précaution les pentes de lahauteur, atteignaient la prairie et disparaissaient dans un épaisfourré d’eucalyptus, au delà duquel s’étendait la plaine sanslimites du désert.

Sir Parker et ses gens prenaient l’affût pourfusiller les Français, que le traître Radjpoor allait leur amener àportée de fusil.

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