Cousin de Lavarède !

Chapitre 13DEUX CORRESPONDANTS DU « LONDON MAGAZINE »

– Causons, avait dit Armand.

Mais avant de s’engager dans la voie desconfidences, il voulut prendre des nouvelles de sa jeune femme.Guidé par Robert, il fut bientôt auprès d’elle. La gentilleAnglaise dormait. Sans secousse, elle avait passé del’évanouissement au sommeil. Le mieux était de ne pas troubler sonrepos. Aussi les deux cousins, la laissant sous la garde de Maïva,revinrent-ils à la cabine de l’ancien caissier.

Là, pour encourager son interlocuteur, Armandse mit à narrer son histoire, à la grande satisfaction de sesauditeurs, nous disons : ses, car Astéras n’avait eu garde des’éloigner.

– Donc, mon cher cousin Robert, voussavez… Au fait ! entre parents on se tutoie ; je penseque vous êtes comme moi, et que les mots : cousin, vous,jurent à votre oreille.

– Tout à fait.

– Alors… ?

– Pour les empêcher de jurer,transformons vous en tu…

– À la bonne heure. Je reprends. Mon chercousin, tu sais sans doute que, pour obéir aux clauses du testamentde mon cousin Richard…

– Vous avez… non, pardon ! tu asfait le tour du monde, avec cinq sous en poche pour touteressource. J’ai appris aussi qu’un digne gentleman, Sir Murlyton,t’accompagnait avec sa gracieuse fille, Miss Aurett, aujourd’hui macousine par alliance.

– Tant mieux ! cela abrégera monrécit. Moins bavard que Théramène, je m’en réjouis. De retour àParis, je m’empressai de gagner Londres, où j’épousai la pluscourageuse, la plus dévouée des femmes ; ma compagne de tourdu monde.

– C’est à ce moment que je me présentaipour la première fois chez toi. La seconde, tu étais déjà marié etparti en voyage de noces en Amérique, me dit-on.

– Le renseignement était exact. Mais nousavions compté sans l’ennui. Tu penses, des gens qui viennent deparcourir un parallèle sans argent, c’est-à-dire avec toutes lesressources de l’imprévu, doivent naturellement trouver bien plat levoyage banal accompli avec de l’or plein leurs poches. New-York,les chutes du Niagara, Baltimore, Chicago, la Nouvelle-Orléans,c’était toujours le même « meilleur hôtel », avec le mêmestewart souriant, qui nous servait des mets semblables avec unedéférence égale. Plus de difficultés à vaincre, plus d’initiative àdéployer ; nous étions devenus des machines à parcourir deskilomètres ou des milles, à passer du railway dans un hôtel, del’hôtel dans un railway, et ainsi de suite. Non, vraiment, pourapprécier les États-Unis il faut être sans le sou. De guerre lasse,Aurett et moi résolûmes un beau jour de quitter ce pays, dontl’originalité n’existe que dans les articles des revues d’Europe,et de nous mettre en quête de contrées d’où la fantaisie fut moinssévèrement bannie. Un journal nous tombe sous la main. Ilconsacrait deux colonnes au Transvaal, dont le président avait jene sais quels démêlés avec ses voisins de la colonie anglaise duCap. Nous nous regardons, Aurett et moi. – Tiens ! dit-elle,le Transvaal… – Pourquoi pas, répondis-je ? Et l’excursion futdécidée.

– Oh ! bolide ! bolide à marcheconstante mais irrégulière, soupira comiquement Robert !

– Tu dis ?

– Rien, continue. Cette exclamation faitpartie intégrante de mon histoire.

– À tes ordres. Nous arrivâmes au Cap, etévitant soigneusement le chemin de fer qui relie cette ville àPrétoria, nous marchâmes délibérément vers le Nord. Un chariottraîné par des bœufs, quelques serviteurs Cafres, composaient toutl’équipage. Il fallait chasser pour se nourrir, passer des rivièresà gué, tracer sa route dans le bush. Parfois on manquait d’eau oubien de rôti. Bref, nous étions au comble de nos vœux. Tout allabien jusqu’au moment où nous nous engageâmes sur le territoire desMatabélés. Il paraît que ces indigènes étaient en guerre avecl’Angleterre. Nous l’apprîmes trop tard, en tombant aux mains d’unetroupe de guerriers noirs auxquels les compatriotes d’Aurettvenaient d’administrer une formidable raclée. Tu juges de leursdispositions à notre égard. Du reste, la situation dont tu nous astirés te prouve que nous n’étions pas précisément sur un lit deroses.

Et roulant délicatement une cigarette entreses doigts, le journaliste conclut :

– Tu connais maintenant mes aventures,elles sont d’une simplicité enfantine. À ton tour maintenant. Jemeurs d’envie de savoir comment toi qui, s’il m’en souvient bien,inscrivais sur ta carte la mention « Caissier de la MaisonBrice, Molbec et Cie », tu vagabondes dans le Sud-Africain, àbord d’un navire aérien ?

– Eh ! mon pauvre cousin, c’est biencontre mon gré que je m’y trouve.

– Allons donc !

– S’il ne dépendait que de moi, jet’assure que je serais bien loin d’ici.

– En ce cas, je ne t’aurais pasrencontré.

– Ta présence tempère mes regrets. Maissache que si tu as échappé aux Matabélés, tu n’es pas libre pourcela.

– Pas libre ?

– Non. Comme moi, comme mon ami Astéras,tu es prisonnier dans cet aéronef.

– Prisonnier. Que ne le disais-tu desuite ? Et dans un aéronef encore ! C’est trèsintéressant.

– Le Gypaète est son nom.

– Joli !

– Et son capitaine est fou.

– Fou ! Aéronef !Prisonnier ! Ah ! mon bon cousin, que tu me fais plaisir.Voilà qui est amusant, Aurett sera la plus heureuse des femmesquand je lui conterai cela.

Et sans paraître s’apercevoir de l’air ahuridont Robert écoutait ces étranges exclamations :

– Mais procédons avec ordre. Narre-moi,par le menu, de quelle façon tu es parvenu de la position decaissier à celle bien plus élevée de captif du Gypaète.Prison pas ordinaire, hein ? Et qui aurait fourni quelqueschapitres intéressants aux « Souvenirs de Latude ».

Aussi brièvement que possible, Robert appritau journaliste ce qu’il désirait savoir.

Il dit son horreur des voyages, son enlèvementpar Radjpoor, son passage en Égypte, en Abyssinie, la façon dont ilavait conquis le diamant d’Osiris, enfin son internement enAustralie, son sauvetage par l’aéronef. Mais, sans en avoirconscience, il s’appesantit surtout sur les détails concernantLotia. Si bien que lorsqu’il se tut, Armand murmura :

– En somme, notre prison volante nous atous sauvés d’une mort certaine, n’en médisons donc pas. Elle estd’ailleurs une des plus belles inventions du siècle, et trèssincèrement, sans arrière-pensée, j’adresserai mes félicitations àson capitaine-constructeur.

Puis avec un sourire :

– Ceci dit, voilà où la chose va devenirintéressante. Captifs au pays des nuages, il s’agit de s’évader.Comme la liberté ne vaut rien sans le bonheur, il faut d’aborddémasquer ce monsieur Radjpoor-Thanis qui t’ennuie, et permettre àla jolie Lotia d’avoir foi entière en toi.

Et comme Robert secouait tristement latête.

– Ne te désole donc pas. On trouvetoujours quand on cherche. Va, nous « roulerons » leRadjpoor, et nous retournerons chez nous.

Il se frappa soudain le front :

– Tiens, au fait, la première moitié duproblème est déjà résolue. C’est la moins difficile, il estvrai.

– Comment ? Tu as déjà trouvé…,s’exclama Robert, qui ne connaissait pas les facultés inventives deson cousin !

– Le moyen d’amener ce coquin de Radjpoorà se trahir ? Oui.

– Oh ! si tu disais vrai.

– Je dis vrai.

– Mais sans l’endommager, car il ne doitpérir que de ma main.

Armand approuva du geste :

– Voilà une parole qui me fait plaisir,cousin. Je te croyais un peu mou ; excuse mon erreur dont jem’accuse. On ne te l’abîmera pas, ton ennemi, sois tranquille.

– Mais enfin, que prétends-tufaire ?

– Ceci.

Le journaliste allait s’expliquer, quand deuxcoups discrets, frappés à la porte, figèrent la parole sur seslèvres. Le battant s’ouvrit aussitôt ; et Ramier parut sur leseuil.

– Le capitaine du Gypaète,glissa l’ancien caissier à l’oreille de son cousin.

– Ah ! ah ! le fou, répliquacelui-ci sur le même ton.

Ramier s’avança lentement, s’inclina devantArmand, et avec une extrême politesse :

– Je venais m’enquérir de votre santé,Monsieur, dit-il. Nos procédés de sauvetage sont brutaux, et jecraignais de vous trouver quelque peu froissé. Je vois avec plaisirqu’il n’en est rien.

– Et moi, déclara le journaliste parisienen affectant, à la grande surprise de ses compagnons, un légeraccent anglais, je regrette que votre visite prévienne la mienne.Je voulais vous exprimer ma gratitude et vous adresser mesfélicitations au sujet de votre merveilleux appareil delocomotion.

Le fou s’inclina derechef.

– Bien que les noms de vos hôtes voussoient indifférents, s’empressa de dire Robert, permettez-moi devous présenter…

Il allait ajouter : mon cousin. Armandlui saisit brusquement le bras et termina la phrase commencée parces mots :

– Sir William Burke, correspondant duLondon Magazine, venu avec sa jeune femme pour suivre lesopérations de la guerre du Matabéléland, fait prisonnier par lesindigènes et délivré par vous, ce dont toute la presse britanniquevous remercie par ma bouche.

Puis désignant Robert qui se creusaitvainement la tête pour deviner à quel propos son cousin changeaitainsi sa personnalité :

– Monsieur, continua-t-il gravement, m’aappris que, dans ce navire volant, les noms de la terre n’ont pascours.

– C’est exact, souligna Ramier, et jevous prierai d’accepter le nom de : Albatros. C’est un oiseaucourageux, de large envergure, qui ne craint ni la terre nil’eau.

Avec un sourire aimable, Armand salua soninterlocuteur :

– Je l’accepte volontiers. Mais je pensequ’auparavant la présentation de mon être terrestre étaitnécessaire ; des gentlemen ne peuvent entrer en relations sansse connaître.

Soudain il changea de ton :

– Un mot encore, Sir Ramier. La rencontrede votre aéronef est un incident de voyage remarquable, et pourmoi, publiciste, il serait important de l’annoncer bon premier. Nepourrais-je faire passer une dépêche au LondonMagazine.

Le corps du capitaine du Gypaète futagité par un tressaillement :

– Mon navire et ceux qu’il porte nedoivent plus avoir de rapports avec l’humanité !

– Aoh ! modula le journaliste sansse départir de son sérieux, vous désirez garder le secret de votredécouverte ?

– Précisément !

– Oui, je comprends. Mais en ce cas, vousne consentirez pas à me déposer à terre !

– Non, jamais.

– Seulement je puis m’évader ?

– Vous êtes libre d’essayer, rectifia lefou avec une grimace ironique.

– Bon, fit flegmatiquement le fauxAnglais, je m’évaderai.

Sa tranquille assurance arracha un gested’étonnement à Ramier :

– Vous ne doutez de rien, fit-il commemalgré lui.

– De rien, je suis Anglais.

Et comme le petit homme, après un salut, sedirigeait vers la porte, Armand glissa à l’oreille de Robertabasourdi :

– Anglais, ce ne serait rien, mais jesuis Parisien. C’est pour cela que nous fausserons compagnie à cemonsieur.

À peine Ramier avait-il franchi le seuil, quel’ancien caissier se plantait devant son cousin :

– Que signifie tout cela ? Te voilàAnglais à présent.

– Eh ! C’est pour démasquer tonRadjpoor ; si je m’étais présenté comme ton cousin, il se fûtdéfié de moi, la belle Lotia aurait conservé toutes seshésitations. Tandis qu’un étranger ne lui inspirera aucuneméfiance.

– Soit, mais que veux-tu faire ?

– D’abord me rendre auprès de ma femme,afin de l’avertir de mon avatar ; cela l’amusera beaucoup deme voir devenir Anglais. Pressons-nous, de peur qu’une paroleimprudente ne bouleverse mes combinaisons.

Et entraînant à sa suite Robert et Astéras,intrigués et réjouis par sa promptitude de décision :

– Surtout, cousin, tutoyons-nous enparticulier, mais en public, du vous, encore du vous, toujours duvous !

Tous trois traversèrent le couloir etentrèrent dans la cabine, où ils avaient laissé Maïva auprèsd’Aurett endormie.

L’Anglaise s’était éveillée. À la vued’Armand, une rougeur colora son gracieux visage, ses yeux bleusdevinrent humides. Elle courut à lui :

– Vous, mon ami, j’étais inquiète de nepas vous voir. Sans blessures, au moins ?

– Comme vous-même, ma chère Aurett.

Et rapidement :

– Mais le temps nous presse ; nenous laissons pas aller à l’émotion, j’ai à vous parler.

Il s’arrêta en apercevant Maïva qui, immobile,regardait de ses grands yeux noirs.

Astéras comprit son indécision. Il prit lajeune égyptienne par la main :

– Parlez sans crainte devant elle,Monsieur. C’est une amie sûre qui ne nous trahira pas.

Robert approuva du geste :

– S’il en est ainsi, reprit Armand, jen’hésite plus.

Et souriant à Aurett :

– Ma chère Aurett, nous cherchions desaventures. Nous en avons rencontré une qui dépasse toutes cellesqui nous sont arrivés dans le passé.

Un éclair joyeux passa dans les yeux del’anglaise. Le journaliste avait dit vrai ; sa femme, toutcomme lui, avait horreur du voyage monotone.

– Nous sommes prisonniers, poursuivit-il,dans les flancs d’un navire aérien, dont le capitaine inventeur estfou et vient de me déclarer que jamais plus nous ne toucherions lasurface du sol.

Une ombre fugitive assombrit le frontd’Aurett.

– Mon père ! murmura-t-elle.

Puis le sourire revint à ses lèvres.

– Nous réussirons bien à tromper sasurveillance, acheva-t-elle.

– À la bonne heure, fit Armand, tandisque Robert et Astéras s’inclinaient malgré eux devant le calme dela jeune femme.

– J’ai confiance en vous, dit-elle enregardant son mari. Vous m’avez habituée à ne m’étonner derien.

– Parce qu’il n’y a rien d’étonnant aumonde, ma chère Aurett. Donc nous nous évaderons. Mais auparavant,nous devons assurer le bonheur de Robert Lavarède, mon cousin,captif ainsi que nous à bord du Gypaète.

Et tandis qu’Aurett tendait la main à l’anciencaissier :

– Pour cela, continua le journaliste,j’ai déjà changé de nom. Nous ne sommes plus Armand et AurettLavarède, mais bien Sir et Mistress William Burke, correspondantsdu London Magazine, suivant pour cette publication laguerre du Matabéléland.

La jeune femme sourit, découvrant ses dentspetites et blanches :

– Oh ! Burke, c’est compris. Et vousêtes Anglais ?

– Parfaitement !

– J’en suis heureuse pour mon pays,dit-elle gaiement ; bien que je sois devenue Française,acheva-t-elle en fixant son regard bleu sur le Parisien.

Il lui prit la main :

– Donc, Aurett, nous sommes Anglais, etmon cousin n’est plus mon cousin, sauf lorsque nous serons entrenous.

Ravie, elle frappa ses mains l’une contrel’autre :

– Une comédie maintenant, c’est charmant.Ah ! je crois que notre voyage va devenir réellementamusant !

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