Cousin de Lavarède !

Chapitre 19SURPRISES

Le lendemain, après une nuit paisible qui lesreposa de leurs émotions, les voyageurs gagnèrent Bourges, d’où untrain les emporta sur Paris.

Ils éprouvaient une joie débordante, desfredons leur montaient aux lèvres. Ils étaient en France, et lavoix enrouée des employés criant le nom des stations d’arrêtsemblait à leurs oreilles la plus douce des musiques.

Ils étaient dans cet état particulier del’exilé revenant sur le sol natal. À Paris, ce fut bien autrechose. Tandis qu’Armand et sa jeune femme emmenaient Lotia et Maïvadans l’ancien appartement de garçon du journaliste, devenu le« pied-à-terre » du ménage, Robert et Ulysse voulurentabsolument courir, qui à son domicile, qui à l’Observatoire.

Une voiture les emporta tous deux. Elle suivitles boulevards St-Marcel, de Port Royal.

Tous deux rayonnaient, parlaient haut,poussaient des exclamations admiratives, à ce point que leurcocher, qui les observait du coin de l’œil, murmura entre sesdents :

– Mâtin ! voilà des provinciaux quiont bien déjeune.

L’homme attribuait aux vins généreux lagriserie du retour.

À l’Observatoire, Ulysse descendit et Robertcontinua son chemin.

Certes, sous la coupole astronomique, onmarqua quelque surprise de la soudaine réapparition du savant, maisses explications suffirent à faire excuser son absenceinvolontaire. Les documents qu’il rapportait sur la constitution etla nature de l’aéronef, lequel était toujours l’objet de violentescontroverses, lui valurent un véritable triomphe. Il futincontinent prié de rédiger un rapport circonstancié qui seraitsoumis à l’Académie des sciences.

Quelque chose comme la gloire couronnaitl’odyssée de l’astronome.

Or, tandis que le doux rêveur marchait desatisfaction en satisfaction, Robert s’apercevait avec stupeurqu’il était, non seulement oublié, mais encore en état devagabondage.

Chez Brice et Molbec, fabricants d’instrumentsd’optique, on le reçut froidement. Un autre caissier trônait à sonbureau, il était remplacé dans son emploi et dans la confiance deses anciens patrons. Il s’y attendait un peu, d’ailleurs, et en futd’autant moins ému que le diamant d’Osiris lui assurait uneexistence à l’abri du besoin.

Mais à son ancien domicile, ce fut bien autrechose. Comme il franchissait le seuil, la conciergel’arrêta :

– Monsieur, Monsieur, oùallez-vous ?

– Mais chez moi, fit le jeunehomme : ne me reconnaissez-vous pas ?

La bonne femme le dévisagea, et aussitôt elleprit une attitude embarrassée.

– Ah ! bon !… M. RobertLavarède… ah bon !… Vous voilà revenu… on vous croyaitmort ! Dame ! une année sans nouvelles.

– Il n’existait pas de bureau de poste oùj’étais, fit-il. Je vous raconterai cela plus tard. Pour l’instant,il me tarde de revoir mon petit logement…

Il s’engageait dans l’escalier, la conciergele retint encore :

– Ne montez pas. Votre logement estoccupé.

– Occupé ?

– Sans doute. Le propriétaire a attendusix mois. Au bout de ce temps, ne vous voyant pas revenir, il afait enlever le mobilier, qui a été transporté dans ungarde-meuble, et il a loué l’appartement.

L’ancien caissier sans emploi, l’ancienlocataire sans logis écoutait d’un air ahuri.

– Mais alors où sont mesmeubles ?

– Je ne sais pas au juste. Lepropriétaire est en voyage. À son retour, je lui en parlerai, etvous pourrez reprendre ce qui vous appartient, moyennant lepayement des deux termes échus.

Tout abasourdi, Robert salua et revint chezArmand. Chacun s’amusa de la mésaventure qui, en somme, n’avaitaucune gravité. Pendant qu’Aurett hébergerait Mlle Lotiaet Maïva, le jeune homme prendrait une chambre à l’hôtel ouaccepterait l’hospitalité d’Ulysse, lequel, plus heureux que lui,avait retrouvé sa garçonnière en bon état.

Du reste, les jours suivants devaient êtrebien remplis. On allait préparer le double mariage de Robert avecLotia, d’Astéras avec Maïva.

La fille de Yacoub écrivit à son père, afind’obtenir et son consentement et les papiers nécessaires.

Armand se chargea de faire dresser un acte denotoriété pour Maïva qui, vendue toute enfant comme esclave,ignorait le lieu de sa naissance et son véritable nom ; Aurettse préoccuperait des corbeilles de noce.

Quant aux deux fiancés, ils auraientsuffisamment à faire à réunir les pièces nombreuses que la loiexige.

Donc chacun se mit en campagne.

Pour sa part, Robert télégraphia à Ouargla,afin qu’on lui envoyât son acte de naissance ainsi que les actes dedécès de ses père et mère.

Or, au bout de huit jours, il reçut la lettresuivante, qui le plongea dans une stupeur voisine del’abrutissement :

Ouargla, ce 24 octobre 1896.

Monsieur,

Par votre honorée du 16 courant, vous avezbien voulu me prier de vous faire tenir copie des actes de l’ÉtatCivil vous concernant.

À mon grand regret, il m’est impossible dedéférer à ce désir. Il résulte en effet d’instructions émanant desdépartements de l’Intérieur et des Affaires Étrangères que c’étaitpar suite d’une erreur, provoquée au moyen de déclarationsdélictueuses, que la qualité de Français et le nom de RobertLavarède vous avaient été attribués. Il appert d’une notecommuniquée par le gouvernement britannique, à la date du 12février de l’année courante, que vous êtes de nationalitéégyptienne et que votre véritable nom est Thanis.

Veuillez donc vous adresser pour recevoirduplicata des pièces vous concernant aux autorités compétentes.Afin de faciliter vos démarches, je vous autorise à produire laprésente lettre, par laquelle je déclare que toutes les écrituresrelatives à votre état civil ont été annulées sur les registres dela commune d’Ouargla ; la dite déclaration à telles fins quede droit.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma parfaiteconsidération.

L’Officier de l’état civil.

Signé : ILLISIBLE. »

Suivaient les cachets, timbres et estampillede la municipalité d’Ouargla. Cette fois la surprise étaitviolente, irréparable. Armand lui-même, à qui Robert communiquacette lettre étrange, parut embarrassé.

S’adresser aux autorités égyptiennes, il n’yfallait pas songer. C’était indiquer le lieu de la retraite dujeune homme aux Anglais, à qui l’ancien caissier, ayant joué lerôle de Thanis, paraissant vouloir le reprendre, semblerait unpersonnage dangereux.

Il s’exposerait ainsi à une surveillancegênante, peut-être même à l’un de ces guet-apens que la moraleréprouve, mais que la politique absout. Car, il n’y avait pas à s’yméprendre, c’était le gouvernement anglais qui avait dirigé toutcela. Le voyageur se rappelait d’ailleurs les paroles du capitainedu croiseur qui l’avait conduit en Australie.

Et puis, dernière raison, Robert avait étéFrançais et il prétendait le redevenir.

Sur le conseil de son cousin, aidé parcelui-ci, il remua ciel et terre, s’adressant successivement àl’Administration civile et à l’Administration militaire.

Peines inutiles ! la première luirépondit froidement :

– Robert Lavarède ? Rayé de l’étatcivil.

La seconde répliqua :

– Robert Lavarède ? Rayé descadres.

Et un beau soir, lassé, découragé, désespéré,le jeune homme dit à Lotia qui s’attristait autant quelui :

– Je n’ai plus de nom, plus de patrie,Lotia. Le rêve que je caressais s’évanouit. Le bonheur me repousseloin de lui. Il ne m’est plus permis de vous épouser. Maïva etAstéras se marient à la fin de la semaine, et nous, que Thanis mortpoursuit encore de sa vengeance, nous sommes à jamais séparés parla fourberie humaine.

Un sanglot de la fille de Yacoub fut sa seuleréponse.

– Eh ! sapristi, du courage, murmuraArmand, tout désolé devant ce malheur auquel il ne voyait pas deremède. Votre union est retardée soit, mais elle n’est pasimpossible.

– Que veux-tu dire, questionna Robertranimé par une vague espérance ?

– Je veux dire que, pour épouser Lotia,il te faut une nationalité. Eh bien ! puisque la France neveut plus de toi, que l’Égypte est trop dangereuse, on t’en feraune autre.

– Comment ?

– Eh ! si je le savais, ce seraitdéjà fait.

Et prenant les mains des deux fiancés éplorés,il les réunit en disant d’un ton à la fois gouailleur ettendre :

– Mes enfants ! foi de Lavarède, jevous le promets, vous serez consolés. Le bonheur, c’est comme lereste. Quand on le cherche bien, on le trouve… et nous allonschercher !

 

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