Cousin de Lavarède !

Chapitre 21L’INATTENDU

Robert et Ulysse, flanqués de Maïva, étaientrentrés dans leur pavillon.

Tous trois s’étaient réunis dans une salle durez-de-chaussée, et la jeune fille, fatiguée du voyage effectuédans la journée, avait pris place sur un fauteuil, où elle s’étaitendormie presque aussitôt.

Sans lumière, afin qu’aucune lueur ne décelâtleur veille, les Français attendaient minuit. Une émotion poignantecomprimait leur poitrine. Ils ne parlaient pas. Qu’auraient-ils puse dire à cet instant décisif. Et dans la pièce sombre, où lafenêtre découpait un parallélogramme plus clair, la respirationrégulière de la dormeuse s’entendait seule.

Immobiles, muets, les deux amis semblaientindifférents. Mais de temps à autre, chacun se levait, s’approchaitde la croisée et consultait furtivement sa montre, suivant ainsi sapréoccupation.

– Onze heures, murmura enfinLavarède.

Comme s’il n’avait attendu que ces mots,Astéras le rejoignit, et avec un accent intraduisible :

– Encore une heure.

– Oui, une heure encore.

Et ils restèrent là sans ajouter un mot,percevant seulement le bruit de leur cœur battant avec force lesparois de sa prison thoracique.

– Onze heures quinze, dit Astéras aprèsun long silence.

– Dans quarante-cinq minutes, nouspartirons, répliqua son ami.

– Et nous serons libres.

– Je l’espère.

– Libres ! Moi qui constamment étaisenfermé à l’Observatoire, je ne comprenais pas le bonheur dont jejouissais : le droit d’aller et de venir à ma guise ; jen’en profitais pas, mais je possédais ce bien inestimable, j’étaislibre.

Lavarède haussa les épaules :

– Tu as raison. Il nous a fallu perdre laliberté pour l’apprécier à sa juste valeur.

– Ah ! continua l’astronome avec unenervosité croissante, je vais donc reprendre mes chères études. Denouveau ma pensée planera au-dessus des misères terrestres, ravie,transportée, parmi les sphères de lumière, dans les rangs pressésdes étoiles. Captif, le rossignol ne chante plus ; enchaîné jenégligeais l’astronomie.

Et avec un geste amical vers Maïva :

– Sans cette pauvre enfant qui m’aapporté le secours de sa jeunesse et de sa bonté, je crois, maparole, que je serais devenu enragé.

– Onze heures et demie, prononçaRobert.

– Dans un quart d’heure, il faudraréveiller notre gentille compagne. Va-t-elle être surprise ?Car avec tout cela je ne lui ai pas appris nos projets. Entouré degeôliers, je craignais qu’un mouvement involontaire n’attirât leurattention soupçonneuse.

– Tu as agi prudemment.

– Deux précautions valent mieuxqu’une.

– Et le trop en cela ne fut jamais perdu,comme disait La Fontaine, acheva l’ancien caissier.

Derechef il consulta sa montre :

– Quarante-cinq ! Quand je songe quemaintes fois, des gens ont exprimé en ma présence cette penséeridicule : Le temps vole. Facétie grotesque. Le temps me faitl’effet de parcourir l’éternité à cheval sur une tortue.

– Pas même, ou plutôt…

– Plutôt quoi ?

– Ce dieu, inspirateur de l’horlogerie,est un cruel plaisantin. Il franchit les heures heureuses en trainexpress et les autres sur le chélonien que tu désignais.

– Horreur de l’attente, conclut Robert.Voilà que nous philosophons. Cinquante ! je pense que nousferons bien de tirer Maïva de son rêve.

– Tu as toujours raison.

Sur la pointe des pieds, avec les précautionsd’une mère éveillant son baby, Astéras alla à l’Égyptienne.Doucement il la secoua.

Elle poussa un long soupir, ses paupièrespalpitèrent. Elle ouvrit les yeux et reconnaissant le savant, ellesusurra de sa voix caressante :

– Ami !

– Un méchant ami, répondit Ulysse. Unméchant ami qui t’éveille. Mais tu lui pardonneras, car il nepouvait agir autrement.

Et aidant la jeune fille à se soulever.

– Maïva, nous allons partir.

Elle le considéra avec étonnement. Évidemment,le sens des paroles lui échappait.

– Oui, partir, reprit l’astronome. Dansquelques instants, nous quitterons la ferme. Des chevaux nousattendent au pied de la montagne et nous fuirons.

Elle se dressa toute droite, les yeuxbrillants. Son attitude disait clairement :

– Je suis prête, allons.

– Attends encore, enfant. L’heure n’a passonné. Je pourrai ainsi t’apprendre ce que tu ignores. C’est pourt’emmener avec nous, que nous avons sollicité et obtenu tonretour.

Elle saisit les mains de son interlocuteur,les serrant avec transport dans ses doigts fluets.

– Radjpoor a dérobé les monturesnécessaires.

Astéras se tut soudain. Un faible cri s’étaitéchappé des lèvres de Maïva. Une expression d’effroi couvrait sestraits et un tremblement convulsif agitait son corps.

– Qu’as-tu donc, demanda Ulysse étonnépar son attitude ?

Elle essaya de parler, mais sa langue n’étaitpas encore assez assouplie.

Désespérément elle secoua la tête, indiquantainsi son impuissance.

– Voyons, je vais t’aider, poursuivit lesavant. Le nom de Radjpoor t’effraie ?

Elle fit oui du geste.

– Il a été brutal avec toi, brutal etcruel ; c’est de là que vient ton aversion ?

Avec énergie elle nia.

– Non ? alors d’où provient tafrayeur ?

L’enfant se serra contre lui et avec unetendresse infinie :

– Ami !

– C’est pour moi que tu as peur,interrogea Astéras éclairé par son accent ?

La jolie tête affirma vite, très vite. Puis deson doigt étendu, Maïva toucha la poitrine du savant et celle deLavarède.

– Pour lui et pour moi, expliqual’astronome. Tu te défies de Radjpoor ?

Sur un signe affirmatif, ilcontinua :

– Tu es peut-être dans le vrai. Pourtantil a tenu ses promesses jusqu’à, ce jour. Il s’était engagé àguider mon ami vers la fortune et le bonheur. Il l’a mené à lacachette du diamant d’Osiris, et maintenant…

Maïva l’interrompit en frappant le sol d’unpied impatient. Elle tenta encore de parler, mais n’y pouvantréussir, elle se tordit les bras avec désespoir.

– Calme-toi, chère petite, calme-toi,supplia Ulysse. Laisse-moi chercher à te comprendre. Ne te désolepas ; va, le jour est proche où la parole te sera complètementrendue.

Et l’entraînant près de la fenêtre :

– Regarde-moi bien en face. Dans tes yeuxclairs, je lirai la vérité. Tu n’as aucune confiance en Radjpoor…ne bouge pas… tes regards ont répondu : non. Cela vient, sansdoute, du secret que tu as surpris, et que tu as tenté de nousapprendre à bord du yacht Pharaon ?

Le visage de l’Égyptienne s’épanouit.

– Je suis dans la bonne voie. Ce secretest donc terrible ?

Elle étendit les bras en avant, la têterenversée, dans l’attitude de l’épouvante.

– Oui, il l’est. Cet homme qui nous aenlevés, transportés en Égypte, mêlés à une conspiration, qui aimposé à Lavarède ce nom supposé, de Thanis, avait un intérêtcapital à agir ainsi ?

– Oui, oui, murmura-t-elle.

– Un intérêt à ce que Robert prit laplace de Thanis.

Elle affirma plus énergiquement encore.

– Mais lequel, lequel ?

Les petites mains de la jeune fille secrispèrent sur celles de l’Astronome, sa bouche s’entrouvrit, secontracta dans un effort surhumain…

– Tha… Tha… bégaya-t-elle la poitrinehaletante.

Et soudain laissant retomber les mains dusavant, elle se redressa, allongea le bras dans la direction où setrouvait la ferme, et les yeux dilatés, toute sa gracieuse personnevibrant sous le pouvoir de sa volonté :

– Thanis ! lança-t-elle avecéclat.

Les deux hommes s’entreregardèrent ; quevoulait-elle dire ? Toujours sa main se tendait du même côtéet elle répétait :

– Thanis ! Thanis !

– Ah ça ! fit Lavarède, est-cequ’elle voudrait indiquer que Radjpoor… ?

Il n’avait pas achevé que Maïva bondissaitauprès de lui, fixant sur ses lèvres son regard ardent :

– Radjpoor est-il Thanis, termina lejeune homme ?

Elle eut un cri de délivrance. À coupssaccadés, sa tête se leva et s’abaissa plusieurs fois, puis ellefondit en larmes. La tension nerveuse avait été trop violente, laréaction se produisait.

Tout en s’empressant autour de la mignonnecréature, les Français se consultaient. La révélation del’Égyptienne changeait la face des choses. Radjpoor n’était plus cequ’il paraissait, mais bien le Thanis véritable dont l’anciencaissier avait malgré lui joué le rôle.

Et une question brûlante montait aux lèvresdes jeunes gens :

– Quel mobile avait poussé Thanis ?Vers quel but mystérieux se dirigeait implacablement cet hommeétrange ?

Ils comprenaient qu’ils n’avaient été en sesmains que de vains jouets, et ils avaient l’intuition que, devenusinutiles à ses projets, il les briserait sans pitié.

– Que devons-nous faire, prononçaAstéras, résumant ainsi ses rapides réflexions ?

Maïva essuya vivement ses pleurs. Elle fit legeste de prendre quelque chose à sa ceinture, puis le bras droit àdemi replié, le poing fermé à hauteur des yeux, elle sembla viserun point de l’espace.

– Un revolver traduisit le savant. Elle araison, il nous faut des armes.

Mais son ami haussa les épaules :

– Des armes ! où en trouver ?On nous a confisqué les nôtres, lors de notre arrestation, et dansnotre empressement à recouvrer la liberté, nous n’y avons pas mêmesongé. Maintenant, il est trop tard !

Puis prenant son parti :

– Après tout, on ne meurt qu’une fois. Ilest minuit, partons.

– Tu le veux, partons donc, consentitAstéras.

– Une poignée de mains avant d’aller audanger possible, mon bon Ulysse.

– Un shake-hand, c’est trop peu.L’accolade, mon bon Robert. C’est ainsi que jadis les compagnons debataille se préparaient à marcher au combat.

Avec une émotion intense, les Françaistombèrent dans les bras l’un de l’autre.

– Et maintenant, ordonna Robert, enavant !

Maïva n’avait pas fait un geste. À ce momentelle saisit le bras d’Astéras, non pour le retenir, mais pour lesuivre. En fille courageuse de la vallée du Nil héroïque, ellecomprenait la résolution des jeunes gens.

Ils allaient sortir, quand un bruit léger lescloua sur place. Des coups secs étaient frappés sur la vitre de lacroisée, et derrière se dessinait la silhouette noire d’unhomme.

Était-ce un geôlier ? Non. Un coup d’œilsuffit aux Français pour reconnaître le nouveau venu :

– C’est Radjpoor, commença Robert.

– C’est Thanis, rectifia Ulysse.

– Eh bien… rejoignons-le.

Délibérément, tous se glissèrent dehors et setrouvèrent face à face avec le faux Hindou.

– Je suis venu vous prendre, ditcelui-ci. Niari attend dans le fourré avec les chevaux. Lotia est àquelques pas d’ici.

– Je vous remercie, répondit Lavarèdesans que sa voix trahît l’inquiétude dont il était assiégé. Maisj’ai fait une réflexion.

– Laquelle ?

– Il nous faudrait des armes. Autrement,durant la traversée du désert, nous risquerons de mourir defaim.

– Ne craignez point ce trépas, s’empressade répliquer Radjpoor avec une nuance imperceptible d’ironie. J’aisongé à tout. J’ai réussi à me procurer trois révolvers, deuxcarabines et des cartouches.

– Pour qui les carabines, questionna leFrançais défiant ?

– Mais pour vous et pour moi, si vous letrouvez bon.

– Où sont ces armes ?

– Les révolvers dans les fontes de noschevaux. Les fusils accrochés à l’arçon. – Puis changeant deton : – Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous netarderons pas davantage à nous mettre en route. Une fois hors deportée, nous aurons le loisir de bavarder.

Il n’y avait qu’à s’incliner. L’Hindou avaittout prévu. Impossible de découvrir la moindre hésitation dans sesréponses, de concevoir le plus léger doute sur sa sincérité.

Derrière lui, Robert, Astéras et Maïva sefaufilèrent en silence à travers les bâtiments de la ferme. Toutsemblait dormir. Aucun bruit, aucune lumière. Et cependant lescœurs des fugitifs battaient d’émotion. La pleine lune versait surla terre sa clarté argentée, et quand il fallait traverser unespace découvert, tous hâtaient le pas, avec l’angoisse d’êtreaperçus par un gardien victime de l’insomnie. Ils ne se rassuraientqu’en se plongeant de nouveau dans l’ombre.

Pourtant, ils se trouvèrent sans encombre surle plateau. Comme ils approchaient de l’endroit où la pente vers ledésert s’accusait, une forme se dressa soudainement derrière unbuisson.

Il y eut un moment d’émoi, vite dissipé dureste, car l’apparition n’était autre que Lotia. Ainsi que l’avaitannoncé Radjpoor, la fille de Yacoub attendait ses compagnons aupassage. Elle se joignit à eux et l’on s’engagea sur le sentier enrampe douce aboutissant à la plaine.

Au bout de quelques pas, la crête du plateaumasqua les constructions de la ferme, et les Français enéprouvèrent une sorte de soulagement. Ils ne voyaient plus, donc onne pouvait plus les voir.

La descente était facile. La lune éclairaitnettement les moindres aspérités du Mont Youle, l’immense surfacede la plaine, sur laquelle un bouquet de bois se dessinait ainsiqu’une tache noire, à quelques centaines de mètres. C’était letaillis d’eucalyptus désigné comme lieu du rendez-vous.

Radjpoor le montra à Lavarède, et d’un accentbizarre, dont le jeune homme ne perçut pas la perfidie.

– Quand nous serons là, je seraitranquille.

– Moi aussi, riposta le Français quicommençait à se rassurer.

L’Hindou sourit :

– Oui, pensait-il, tu seras tranquille etpour toujours.

Il n’avait point pitié de la victime qu’ilmenait confiante à la mort. Cependant, côtoyant les rochers dont lasente était bordée, parcourant les sinuosités du chemin, onavançait toujours. La déclivité devenait de plus en plus faible,venant mourir par une rampe insensible dans la plaine couverte dehautes herbes.

Tous s’arrêtèrent soudain effrayés. Une bandede casoars, troublés dans leur sommeil par la venue de la petitetroupe, s’était brusquement levée de son gîte et s’enfuyait avec degrands cris aigus en agitant les ailes.

Un instant les compagnons de Radjpoordemeurèrent immobiles, regardant avec anxiété vers le sommet duMont Youle. Si les clameurs des oiseaux avaient réveillé leshabitants de la ferme, si des poursuivants allaient apparaître.

Mais non, les casoars se perdirent dans lelointain sans qu’un ennemi se montrât.

Les pieds des Français foulaient le sol de laplaine. Dans cinq minutes, ils entreraient dans le petit boisd’eucalyptus ; ils sauteraient en selle, et dans un galopfurieux, ils jetteraient entre eux et leurs geôliers des kilomètresde désert.

Une hâte nerveuse accélérait leurs pas, quifaisaient craquer les herbes, On approchait. On n’était plus qu’àdeux cents mètres du fourré, quand Lavarède, qui marchait en avant,crut percevoir comme un éclair entre les branches.

On eût dit la réflexion d’un rayon sur uneplaque métallique polie.

Il fit halte, observant attentivement le pointoù s’était produite la manifestation lumineuse.

– Que cherchez-vous donc ? demandad’un ton indifférent Radjpoor en rattrapant l’ancien caissier.

Robert l’enveloppa d’un regard scrutateur, etsecouant la tête, reprit sa marche en répondant :

– Rien, rien du tout !

Seulement ses yeux fouillaient obstinément lebouquet d’arbres. Il ne distinguait rien, et il se gourmandait déjàde sa pusillanimité, quand un second éclair se produisit.

Cette fois, il s’arrêta net. Sans s’occuper deRadjpoor qui s’informait de la cause de cette manœuvre, ils’adressa à ses compagnons.

– Il se passe quelque chose d’insolitelà-bas.

– Là-bas ? se récrièrent tous lesassistants, troublés par ces paroles.

– Oui, à deux reprises, il m’a sembléreconnaître les lueurs produites par le reflet de la lune sur del’acier.

– Sur de l’acier, murmura Astéras. Dansun bois, on ne trouve généralement pas ce métal industriel.

– C’est sans doute Niari, fitdédaigneusement l’Hindou.

On eût dit qu’il reprochait à Robert sacouardise. Lotia rougit et d’une voix impérieuse :

– C’est Niari évidemment. Pressons-nous,car avec toutes ces lenteurs, nous serons encore ici au lever dujour.

L’explication donnée par Radjpoor étaitplausible, mais l’ancien caissier, chez lequel la méfiance seréveillait, ne se rendit pas :

– Lotia, dit-il avec autorité ;quelle que soit votre façon de voir, je vous ai épousée, à la moded’Égypte c’est vrai, mais je ne m’en considère pas moins commevotre mari. Je ne me pardonnerais pas de vous faire courir undanger inutile. Permettez-moi donc d’aller en avant enreconnaissance.

Et se courbant vers le sol, de façon à êtrecomplètement caché par les hautes herbes :

– C’est du service en campagnecela ; je me souviens que j’ai été soldat de France.

Tout en parlant, il se glissait dans lesfouillis herbeux, il disparaissait.

Une expression de rage contracta le visage deRadjpoor. Le Français allait découvrir l’embuscade. Lotia peut-êtredevinerait sa trame odieuse. Elle le haïrait, alors qu’il pensaitavoir trouvé le chemin de son cœur, et la moitié de son rêve sefondrait en vapeurs.

Oui, certes, il voulait la mort de Lavarède,la possession du diamant d’Osiris, mais il voulait aussi que Lotia,veuve du faux Thanis, se consolât de son deuil en lui accordant samain.

Aux pulsations désordonnées de son cœur, autrouble de ses idées, il comprenait que sans elle, le bonheur luiserait impossible. Non qu’il ressentît pour la fille de Yacoub, latendresse dévouée, indulgente, entière que Lavarède éprouvait pourelle ; cette affection d’honnête homme ne lui était paspermise. Mais enfin il l’aimait autant qu’il le pouvait,c’est-à-dire ainsi qu’un bibelot de prix, une pierre précieuse, unfruit rare, un plaisir inaccoutumé.

Tous attendaient, frissonnants, agités desentiments différents par l’acte du Français.

Et tout à coup, un même cri de terreur jaillitde leurs lèvres. À la lisière du fourré, une flamme rougeâtre avaitapparu une seconde. Elle était à peine éteinte que le bruit d’unedétonation arrivait jusqu’à eux.

Aussitôt, à cent mètres d’eux, un grand corpsbondit au-dessus des herbes, et Lavarède haletant, couvert deterre, accourut comme le vent en leur criant :

– Fuyez ! Fuyez… le bois estgardé.

Éperdus, comprenant que leur fuite étaitdécouverte, leur liberté perdue, tous coururent vers le MontYoule.

Mais du taillis sortent des ombres humaines,des coups de feu précipitent la course des fugitifs. Plus rapidesqu’eux, les balles sifflent à leurs oreilles, ainsi que des oiseauxchantant la mort.

Ils galopent toujours, affolés, horsd’haleine, revenant, sans savoir pourquoi, vers le Mont Youle, maisla fusillade se fait plus pressée. Les projectiles frappent laterre autour d’eux. Une balle soulève un nuage de poussière à côtéde Lotia.

À cette vue, Robert oublie tout.

– Si cela continue, ils vont la tuer. Mafoi, puisque c’est à moi que l’on en veut certainement, autant merendre de suite, et la sauver.

Il s’arrête, les bras croisés sur la poitrine,attendant l’ennemi contre lequel il ne saurait se défendre, car ilest sans armes.

Radjpoor le voit, il comprend. Ses compagnonsne l’observent pas. Ils l’ont dépassé et courent toujours. Il a unricanement diabolique ; de sa poche, il tire un révolver etajuste froidement Lavarède.

Le jeune homme est perdu. Il semble qu’aucunepuissance humaine ne saurait le sauver.

Et cependant l’Hindou ne tire pas.

Une ombre gigantesque a paru sur la plaineinondée de la clarté lunaire. Elle va comme le vent. Poursuivants,fugitifs l’ont aperçue ; ils demeurent immobiles, stupéfaitsde ce prodige. L’ombre approche, couvre le terrain où sont Robertet ses compagnons.

Un cri de stupeur échappe à tous presque aumême instant. Un corps dur les a frappés l’un après l’autre auxjambes, les a fait culbuter pêle-mêle dans une sorte de pocheformée d’un vaste filet, et étourdis par leur chute, incapablesd’expliquer ce qui leur arrive, ils se sentent enlevés de terre etemportés vers le nord avec une vertigineuse rapidité.

Un vent violent les frappe, ils respirent avecpeine, le sang afflue à leurs tempes. Ils perdent connaissance,tandis que bien loin déjà dans la plaine, sir Parker et ses hommesusent inutilement leurs cartouches pour atteindre la chose inconnuequi leur enlève leurs victimes.

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