La Loi de Lynch

Chapitre 15La convalescence.

Le Cèdre-Rouge se rétablissait lentement,malgré les soins assidus que lui prodiguaient le père Séraphin,Ellen et la mère du chasseur.

La commotion morale reçue par le bandit, en setrouvant tout à coup face à face avec le missionnaire, avait ététrop forte pour ne pas influer gravement sur le physique.

Cependant le squatter ne s’était pas démentidepuis le jour où, en revenant à la vie, il s’était humblementcourbé devant l’homme de Dieu ; soit repentir sincère, soitrôle joué, il avait persévéré dans cette voie, à l’édification dumissionnaire et des deux femmes, qui ne cessaient de remercier Dieudu fond du cœur d’un tel changement.

Dès qu’il lui fut possible de se lever et defaire quelques pas dans la grotte, le père Séraphin, qui redoutaittoujours l’arrivée de Valentin, lui demanda quelles étaient sesintentions pour l’avenir et quel genre de vie il comptaitadopter.

– Mon père, répondit le squatter, je vousappartiens désormais ; ce que vous me conseillerez, je leferai ; seulement, je vous ferai observer que je suis uneespèce de sauvage dont la vie tout entière s’est écoulée au désert.À quoi serai-je bon dans une ville, parmi des gens dont je necomprendrai ni les habitudes, ni le caractère ?

– C’est vrai, dit le prêtre, et puis sansressources comme vous l’êtes, vieux déjà et ignorant tout autretravail que celui des bois, vous ne feriez que traîner uneexistence misérable.

– Cela ne m’arrêterait pas, mon père, sicela devait être pour moi une expiation, mais j’ai trop offensé leshommes pour retourner au milieu d’eux ; c’est dans le désertque je dois vivre et mourir, tâchant de racheter par une vieillesseexempte de blâme les fautes et les crimes d’une jeunesse dont j’aihorreur.

– Je vous approuve, votre intention estbonne ; laissez-moi réfléchir quelques jours, et je verrai àvous procurer les moyens de vivre ainsi que vous l’entendez.

La conversation en était restée là.

Un mois s’écoula sans que le missionnaire, àpart les instructions qu’il donnait au Cèdre-Rouge, fît aucuneallusion à ce qui avait été dit entre eux.

Le squatter avait toujours montré à Ellen unecertaine amitié brusque et hargneuse, si l’on peut se servir decette expression, parfaitement en rapport avec la rudesse de soncaractère inculte et grossier ; mais depuis qu’il avait puapprécier le dévouement complet de la jeune fille, l’abnégationdont elle avait fait preuve à son égard, une espèce de révolutions’était opérée en lui ; un sentiment nouveau s’était révélédans son cœur, et il s’était pris à aimer cette charmante créaturede toutes les forces de son âme.

Cet homme brutal s’adoucissait subitement à lavue de la jeune fille, un éclair de plaisir éclairait ses yeuxfauves, et sa bouche, habituée à maudire, s’entr’ouvrait avec joiepour prononcer de douces paroles.

Souvent, assis sur le versant de la montagne,à peu de distance de la grotte, il causait avec elle des heuresentières, prenant un plaisir infini à entendre le son mélodieux decette voix dont jusqu’alors il avait ignoré les charmes.

Ellen, renfonçant ses douleurs dans son âme,feignait un enjouement qui était loin de son esprit, afin de ne pasattrister celui qu’elle considérait comme son père et quiparaissait si heureux de la voir joyeuse à ses côtés.

Certes, si quelqu’un avait en ce moment unascendant quelconque sur l’esprit du vieux pirate et pouvait leramener au bien, c’était Ellen.

Elle le savait et usait avec finesse de cepouvoir qu’elle avait conquis pour tâcher de ramener entièrement aubien cet homme qui, jusque-là, n’avait été pour l’humanité qu’uneespèce de génie du mal.

Un matin, au moment où le Cèdre-Rouge, presqueentièrement guéri de ses blessures, faisait, appuyé sur le brasd’Ellen, sa promenade accoutumée, le père Séraphin, qui depuis deuxjours était absent de la grotte, se présenta devant lui.

– Ah ! vous voilà, mon père !dit le squatter en l’apercevant ; j’étais inquiet de ne pasvous voir, je suis heureux de votre retour.

– Comment vous trouvez-vous ?demanda le missionnaire.

– Bien ; je serais tout à fait guérisi mes forces étaient entièrement revenues, mais cela ne peuttarder, je l’espère.

– Tant mieux ! car si mon absence aété longue, vous en êtes un peu la cause.

– Comment cela ? fit le squatteravec curiosité.

– Vous savez que vous m’avez, il y aquelque temps, manifesté le désir de vivre dans la prairie.

– En effet.

– Ce qui, du reste, reprit lemissionnaire, me semble beaucoup plus prudent de votre part, etvous donnera les moyens d’échapper aux poursuites de vosennemis.

– Croyez, mon père, dit gravement leCèdre-Rouge, que je n’ai nullement le désir d’échapper à ceux quej’ai offensés ; si ma mort pouvait racheter les crimes dont jeme suis rendu coupable, je n’hésiterais pas à sacrifier ma vie enexpiation à la vindicte publique.

– Je suis heureux, mon ami, de voussavoir dans ces bons sentiments, mais je crois que Dieu, qui neveut dans aucun cas la mort du pécheur, sera plus satisfait de vousvoir par une vie exemplaire réparer autant qu’il sera en vous lemal que vous avez fait.

– Je vous appartiens, mon père ; ceque vous me conseillerez sera un ordre pour moi, ordre quej’accomplirai avec bonheur. C’est surtout depuis que la Providencea permis que je vous rencontrasse que j’ai compris l’énormité demes crimes. Hélas ! je n’en suis pas seul responsable :n’ayant jamais eu devant moi que de mauvais exemples, j’ignorais ladifférence du bien et du mal, je croyais que tous les hommesétaient méchants, et je n’agissais comme je le faisais que parceque je me croyais comme en état de légitime défense.

– Maintenant votre oreille s’est ouverteà la vérité, votre esprit commence à comprendre les sublimespréceptes de l’évangile, votre route est toute tracée ;désormais vous n’avez plus qu’à persévérer dans la voie danslaquelle vous vous êtes si franchement engagé.

– Hélas ! murmura le squatter avecun soupir, je suis une créature si indigne de pardon que je crainsque le Tout-Puissant ne me prenne pas en pitié.

– Ces paroles sont une offense à laDivinité, dit sévèrement le prêtre ; quelque coupable que soitle pécheur, il ne doit jamais désespérer de la clémencedivine ; l’Évangile ne dit-il pas : Il y aura plus dejoie dans le ciel pour un pécheur qui se sera repenti, que pour dixjustes qui auront persévéré ?

– Excusez-moi, mon père.

– Voyons, reprit le missionnaire enchangeant de ton, revenons à ce qui m’amène auprès de vous. Je vousai fait construite à quelques lieues d’ici, dans une situationdélicieuse, un jacal où vous pourrez habiter avec votre fille.

– Que vous êtes bon, mon père ! ditavec effusion le squatter, combien je vous dois dereconnaissance !

– Ne parlons pas de cela, je serai assezrécompensé si je vous vois persévérer dans votre repentir.

– Oh ! mon père, croyez bien que jedéteste et que j’ai horreur de ma vie passée.

– Je désire qu’il en soit toujours ainsi.Ce jacal, auquel je vous conduirai aussitôt que vous le désirerez,est situé dans une position qui le rend presque impossible àdécouvrir ; je l’ai muni moi-même des objets et des ustensilesnécessaires à votre existence ; vous trouverez de lanourriture pour quelques jours, des armes et de la poudre pour vousdéfendre si vous étiez attaqué par les bêtes féroces et vous livrerà la chasse. J’ai ajouté des filets, des trappes à castor, enfintoutes les choses nécessaires à un trappeur et à un chasseur.

– Oh ! que vous êtes bon, monpère ! dit Ellen avec des larmes de joie dans les yeux.

– Bah ! bah ! ne parlons pas decela, reprit gaiement le missionnaire, je n’ai fait que mondevoir ; du reste, pour plus de sûreté et afin d’éviter touteespèce d’indiscrétion, je n’ai voulu indiquer le secret de votreretraite à personne ; le jacal a été construit par moi seulsans aide étrangère. Vous pouvez donc être certain que nul neviendra vous troubler dans votre ermitage.

– Et quand pourrai-je me rendre au jacal,mon père ?

– Lorsque vous le désirerez ; toutest prêt.

– Ah ! si je ne craignais de vousparaître ingrat, je vous dirais tout de suite, mon père.

– Croyez-vous vos forces assez revenuespour faire un voyage d’une quinzaine de lieues ?

– Je me sens une force extraordinaire ence moment, mon père.

– Venez donc alors ; car, si vous nem’aviez vous-même fait cette proposition, j’avais l’intention devous la faire moi-même.

– De sorte que tout est pour le mieux,n’est-ce pas ? et que vous n’êtes pas peiné de me voir mettretant de hâte à me séparer de vous, mon père ?

– Nullement, rassurez-vous.

Tout en causant ainsi, nos trois personnagesavaient descendu le versant de la montagne, sur lequel s’ouvrait lagrotte, et étaient arrivés dans le ravin.

Trois chevaux sellés les attendaient, tenus enbride par un Indien.

– Dans le désert, dit le missionnaire, ilest presque impossible, à cause des grandes distances que l’on a àparcourir, de se passer de chevaux ; vous me ferez donc leplaisir de garder ceux-ci.

– Mais, mon père, dit le squatter, c’esttrop, c’est beaucoup trop ; vous me comblez,véritablement.

Le père Séraphin secoua, la tête.

– Comprenez-moi bien, dit-il ; ilentre dans tout ce que je fais pour vous beaucoup plus de calculque vous ne le supposez.

– Oh ! fit le Cèdre-Rouge.

– Du calcul dans une bonne action !s’écria Ellen avec incrédulité, vous raillez, mon père.

– Non, mon enfant, je parle sérieusement,vous allez me comprendre : j’ai tâché de si bien arranger lavie de votre père, de le mettre si complètement à même de devenirun brave et honnête chasseur, qu’il lui soit impossible de trouverle plus léger prétexte pour retourner à ses anciennes erreurs, etque toute la faute soit de son côté s’il ne persévère pas dans larésolution qu’il a prise de s’amender.

– C’est vrai, répondit le Cèdre-Rouge. Ehbien, mon père, je vous remercie de ce calcul, qui me fait le plusheureux des hommes et me prouve que vous avez confiance en moi.

– Allons ! allons ! àcheval.

– Mais, dit Ellen, nous ne pouvons, il mesemble, partir ainsi.

– C’est juste, appuya le squatter.Qu’est-ce que je fais donc, moi, ou ai-je la tête ?

– Que voulez vous dire ?

– Dame, il y a une personne qui a bienvoulu vous aider dans les soins que vous m’avez prodigués, monpère ; la bonté de cette personne pour moi ne s’est pasdémentie un instant ; je suis reconnaissant à ma fille dem’avoir fait songer à ne pas être ingrat envers elle et à ne pasquitter la grotte sans lui adresser l’expression de…

– C’est inutile, interrompit vivement lemissionnaire ; cette dame est un peu souffrante en ce moment,elle m’a chargé de vous témoigner tout l’intérêt qu’elle vous porteet combien elle désire vous savoir à l’abri de tout danger.

Le Cèdre-Rouge et sa fille n’insistèrentpas ; ils comprirent que le missionnaire, pour des raisonsparticulières, désirait briser sur ce sujet ; ils se mirent enselle sans appuyer davantage sur une chose qui paraissait déplaireà leur bienfaiteur.

Le squatter ignorait que la femme qui l’avaitsoigné était la mère de Valentin Guillois, son ennemi mortel ;le père Séraphin avait fait promettre à Ellen de ne pas divulguerce secret à son père, et la jeune fille l’avait tu sans chercher àdécouvrir les raisons du silence qui lui était imposé.

Poussée par la charité et la noblesse quifaisaient le fond de son caractère, la mère du chasseur, renfermantdans son cœur tous les sentiments de répulsion que lui inspirait leCèdre-Rouge, l’avait, tant qu’il s’était trouvé en danger, soignéavec l’abnégation la plus complète et la plus dévouée ; mais,au fur et à mesure que le squatter était revenu à la santé et queses soins s’étaient faits de moins en moins nécessaires, la dignefemme s’était mise à l’écart et avait fini par ne plus voir lemalade qu’à de longs intervalles.

Malgré elle, dans son âme, la mère l’avaitemporté sur la chrétienne ; ce n’avait été qu’avec un frissond’épouvante et un douloureux pressentiment qu’elle avait vu revenirà la vie celui qu’elle avait tant de raisons de considérer comme unennemi.

D’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher delui en vouloir de la priver, par sa présence dans la grotte, devoir son fils à qui elle désirait tant être réunie ; aussi,lorsque le père Séraphin lui apprit le départ du squatter, ellereçut cette nouvelle avec un vif mouvement de joie, tout en lepriant de la dispenser d’adieux qui ne sauraient que lui êtrepénibles.

Le père Séraphin y avait consenti, et nousavons vu comment il avait coupé court à la demande du squatter etde sa fille. Ils partirent.

Le Cèdre-Rouge respirait à pleinspoumons ; c’était avec un bonheur indicible qu’il sentaitl’air pur et frais du désert affluer à sa poitrine.

Il lui semblait renaître, il était libre denouveau.

Le missionnaire l’examinait curieusement,analysant, à part lui, les sensations qu’éprouvait le squatter, etcherchant à établir sur ce qu’il voyait ses prévisions pourl’avenir.

Le Cèdre-Rouge comprit instinctivement qu’ilétait observé par son compagnon et, pour lui donner le change surses sentiments, il feignit de se laisser aller à haute voix à unenthousiasme et un besoin d’exprimer sa reconnaissance, dont unepartie était vraie sans nul doute, mais qui cependant était tropbruyant pour ne pas être exagéré.

Le père Séraphin feignit de se laisser prendreà ce manège et continua pendant tout le voyage à causergaiement.

Six heures environ après avoir quitté lagrotte, on arriva au jacal.

C’était une charmante petite hutte en roseauxentrelacés divisée en plusieurs compartiments avec un corralderrière pour les chevaux.

Rien ne manquait ; cachée au fond d’unevallée d’un abord assez difficile, elle s’élevait sur la rivegauche d’un mince cours d’eau affluent du Gila.

Bref, la position de cette sauvage demeureétait délicieuse, et rien n’était plus facile que de s’y trouverparfaitement heureux.

Lorsque les voyageurs eurent mis pied à terreet conduit leurs chevaux au corral, le père Séraphin visita avecses deux protégés l’intérieur du jacal.

Tout était dans l’ordre qu’il avait dit, rienne manquait, et si le confortable ne s’y trouvait pas, il y avaitdu moins plus que le strict nécessaire.

Ellen était ravie ; son père feignaitpeut-être de le paraître plus qu’il ne l’était en réalité.

Après avoir passé une heure à se promener d’uncôté et d’un autre afin de tout voir, le père Séraphin prit congédu squatter et de sa fille.

– Déjà ! s’écria Ellen ; déjàvous nous quittez, mon père !

– Il le faut, mon enfant ; voussavez que mon temps ne m’appartient pas, répondit-il en montant surson cheval que le squatter lui avait amené.

– Mais j’espère, dit le Cèdre-Rouge, quevotre absence ne sera pas longue, mon père, et que vous voussouviendrez de ce jacal, où se trouvent deux personnes qui vousdoivent tout.

– Je veux vous laisser libre de vosactions. Si je venais trop souvent, vous pourriez voir dans mesvisites une espèce d’inquisition dont l’impression serait fâcheusepour vous ; cependant je viendrai, n’en doutez pas.

– Vous ne viendrez jamais trop, mon père,dirent-ils tous deux en lui pressant et lui baisant les mains.

– Adieu, soyez heureux, reprit lemissionnaire avec attendrissement ; vous savez où me trouversi vous avez besoin de consolation ou de secours. Venez, je seraitoujours prêt à vous aider de tout mon pouvoir ; si peu que jesois, Dieu, j’en suis convaincu, bénira mes efforts.Adieu !

Après avoir prononcé ces mots, le missionnaireéperonna son cheval et s’éloigna au grand trot.

Le Cèdre-Rouge et sa fille le suivirent desyeux tant qu’ils purent l’apercevoir.

Lorsqu’il eut disparu enfin de l’autre côté dela rivière dans les fourrés de la prairie, ils poussèrent un soupiret entrèrent dans le jacal.

– Digne et sainte créature ! murmurale squatter en se laissant tomber sur une butaque. Oh ! je neveux pas tromper l’espoir qu’il a fondé sur maconversion !

Ce n’était donc pas une comédie que jouait leCèdre-Rouge !

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