La Reine Sanglante

Chapitre 10LAISSEZ PASSER

Après avoir, au pied de la Tour de Nesle,prononcé quelques mots à l’oreille de l’homme qui l’attendait là,Mabel s’était éloignée.

On a vu ce qui était arrivé à l’homme.

Un double coup de poignard de Stragildo.

L’homme était resté étendu sur la berge oùStragildo l’avait laissé, soit insouciance, soit qu’il eût étépressé de rejoindre la reine.

Mabel n’avait rien vu de ce drame.

Ayant franchi la Seine, elle s’était dirigéevers la Cour des Miracles pour renouveler sa tentative insensée,pour essayer une dernière fois de pénétrer jusqu’à Buridan.

Comme elle l’avait dit à la reine, elle avaitpassé trois jours et trois nuits à essayer de franchir la ligne desarchers qui encerclait la Cour des Miracles. Repoussée de partout,on a vu qu’elle avait été chercher la reine au Louvre, puis à laTour de Nesle.

Mabel était sortie de la Tour de Nesle plusdésespérée encore qu’elle n’y était entrée.

Dès lors, la perte de Marguerite fut résoluedans son esprit.

Il n’y avait plus pour elle aucun moyen desauver son fils. Il n’y avait plus même aucun moyen de le voir unedernière fois.

Pourtant, poussée par une sorte d’instinct,elle se rapprochait de la Cour des Miracles. Plus elle avançait,plus elle voyait de soldats rangés le long des rues et prêts àmarcher. À ce moment, ayant levé la tête, elle aperçut entre lestoits le ciel qui pâlissait : le jour allait venir.

« Encore une heure, murmura Mabel, ettout sera fini. »

Elle continua d’avancer et se heurta à uneescouade d’archers qui barrait dans toute sa largeur la ruelle oùelle se trouvait. Il y avait là un officier, et Mabel tressailliten reconnaissant Geoffroy de Malestroit. À cent pas de là, laruelle débouchait dans une Courtille où tout n’était que silence etténèbre : la Cour des Miracles.

« Mon petit est là ! murmura Mabel.Il est là, plein de vie, et dans une heure ce sera fini !

– Au large ! » cria un desarchers.

Mabel se jeta en avant, en criant :

« Seigneur de Malestroit ! Je viensde la part de la reine.

– Que demandes-tu ?

– Laissez-moi passer jusqu’à la Cour desMiracles. Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Une femme deplus ou de moins dans le carnage qui va commencer. »

Malestroit secoua la tête et fit un signe àses hommes, qui resserrèrent leurs rangs.

« Vous n’aurez donc pas pitié de moi,vous aussi ? Tenez, je vais tout dire, mon digne seigneur.Supposez que vous soyez dans cette Cour des Miracles, supposez queces fascines soient pour vous brûler et ces soldats pour vous tuer.Supposez que votre mère veuille vous voir une dernière fois aumoment où vous allez mourir… »

Malestroit tressaillit.

« Vous vous attendrissez, haleta Mabel,en refoulant ses sanglots. Je suis mère, mon cher seigneur. Et monfils est là. Figurez-vous que je l’ai vu deux fois à peine depuisle temps lointain où il n’avait que six ans et que j’ai passé mavie à le regretter, que j’ai usé mes yeux à le pleurer. Ce n’estpourtant pas une grande faveur que je vous demande. Qu’est-ce queje veux ? Je veux aller mourir avec mon fils. Ayez pitié,monseigneur…

– Comment s’appelle ton fils ?demanda Malestroit, ému.

– Buridan », répondit Mabel.

Elle n’eut pas plus tôt prononcé ce nomqu’elle comprit qu’elle venait de se fermer la route.

« Archers ! cria Malestroit,repoussez cette femme. »

Cinq ou six soldats se jetèrent sur Mabel.

« Et toi ! cria Mabel, mauditsois-tu ! Et puisses-tu succomber un des premiers sous lescoups des truands de la Cour des Miracles ! »

Malestroit pâlit et voulut jeter un nouvelordre.

Mais Mabel, repoussée à coups de piques,renvoyée de soldat en soldat, comme une balle, était bien loindéjà.

Alors, elle s’éloigna, erra quelque temps àl’aventure.

Tout à coup, il lui sembla qu’un pas furtif etléger courait près d’elle. Elle ouvrit les yeux et, à dix pasd’elle, aperçut une jeune fille qui s’avançait rapidement.

« Juana ! fit sourdement Mabel. Oùva-t-elle à cette heure ? vers quelle besogneinfâme ? »

La jeune fille s’avançait sans défiance.Lorsqu’elle fut près d’elle, Mabel, tout à coup, la saisit par lesdeux poignets, qu’elle étreignit violemment.

« Te voilà, petite Juana, fit Mabel avecun ricanement haineux. Où vas-tu donc ainsi ? quel malheureuxvas-tu chercher à attirer dans les filets de la ribaude ?

– Oh ! murmura Juana, vous me faitespeur. Jamais je ne vous ai vue ainsi. Laissez-moi. J’ai un messageà remplir qui ne souffre aucun retard.

– Un message de la reine, n’est-cepas ?

– Sans doute. La reine n’est-elle pasnotre commune maîtresse ? N’avez-vous pas vous-même cent foisporté ses messages ? Si vous aviez été au Louvre, tout àl’heure, c’est vous, de préférence à moi, qu’elle eût chargée decelui-ci.

– Eh bien, donne. Je m’encharge !

– Impossible, dit Juana. Laissez-moipasser. »

Mabel avait lâché l’un des poignets de Juanaet, de sa main libre, elle cherchait le poignard qu’elle portait àla ceinture, comme la plupart des femmes de qualité.

« Vous êtes donc résolue à metuer ? »

Mabel, sans rien dire, leva l’arme.

Un instant encore, et l’arme s’abattait sur lesein de la jeune fille. Juana fouilla rapidement sous son manteau,en tira deux papiers, l’un enveloppant l’autre, et les tendit àMabel.

Dans les mouvements que fit celle-ci pour lessaisir, Juana se dégagea et s’enfuit comme une biche que poursuitla meute.

Mabel demeura hébétée, ses deux papiers à lamain, les yeux fixés sur Juana qui disparaissait au bout de larue.

« J’eusse dû frapper ! Je veux leurmort à tous ! »

Puis, ramenant machinalement ses yeux sur lesparchemins, elle murmura :

« Sans doute, un message pour quelquemalheureux. Il sera du moins sauvé pour aujourd’hui. »

Et, avec cette morne indifférence qu’elleavait maintenant pour tout ce qui ne touchait pas à Buridan, ellelaissa tomber les parchemins à ses pieds, puis s’en allalentement.

Tout à coup, prise d’une idée subite, ellerevint brusquement sur ses pas.

« Il faut que je sache le nom dumalheureux. Si je pouvais le sauver tout à fait ! Moi qui aiporté tant de messages mortels, si je pouvais au moins prévenir cetinconnu de ne pas se rendre au piège où onl’appelle ! »

Elle se baissa et ramassa les papiers qu’ellevenait de jeter. Elle déplia celui qui servait d’enveloppe audeuxième et tout de suite son regard tomba sur le sceau royal et lasignature : « Louis, roi. »

« Ordre de laisser passer le porteur desprésentes », murmura Mabel en lisant.

Un flot de sang avait empourpré sonvisage.

« Laisser passer, reprit-elle, maisoù ? où Juana devait-elle se rendre ?… Ce deuxième papierme l’indiquera peut-être. »

Elle le déplia et le lut d’un trait.

Dans le même instant, elle fut saisie d’untremblement convulsif, une joie insensée flamboya dans sesyeux ; elle tomba à genoux et cria :

« Dieu est avec moi ! »

Ce billet, c’était celui que Marguerite deBourgogne avait écrit pour Buridan et que Juana devait porter à laCour des Miracles.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer