La Reine Sanglante

Chapitre 48LE TRÉSOR D’ENGUERRAND DE MARIGNY

Dans la matinée du jour où périt Stragildo,Charles de Valois, gouverneur du Temple, se mit à calculer sapropre fortune.

Il était plongé dans cet intéressant calcul,lorsqu’on vint lui annoncer qu’un homme demandait à le voir enparticulier et à l’instant même. Cet homme disait se nommerTristan.

Au nom de Tristan, Valois sursauta, et, aulieu de donner l’ordre de chasser à coups de fouet de chienl’insolent qui prétendait lui parler sur-le-champ, le fitintroduire.

« Qu’as-tu à nous dire ? demandarudement Valois.

– Monseigneur, répondit Tristan, j’aiappris que vous avez donné l’ordre de me chercher comme étant ledétenteur des trésors de mon défunt maître.

– C’est vrai. Et tu n’ignores pas que tuseras pendu pour n’avoir pas restitué au roi ce qui appartient auroi ?…

– C’est pour cela que je viens voustrouver, monseigneur. Je viens donc humblement faire acte desoumission ; et, comme vous êtes chargé des affaires del’État, vous supplier de me faire conduire en présence de notresire, auquel je révélerai l’endroit où se trouve caché le trésor demon maître.

– Ce trésor existe donc ?

– En avez-vous douté,monseigneur ?

– Et à combien se monte-t-il ?…

– J’ai essayé de compter un jour que monmaître m’avait informé de sa résolution de fuir Paris ; j’aicompté depuis le soleil levant ; j’ai aligné les pilesd’or ; mais, à la nuit close, je n’avais pas fini. »

Valois frissonna. Déjà, il songeait activementau moyen de s’emparer de cette énorme fortune. Tristancontinuait :

« Contre le service que je rends enrestituant un trésor que je pouvais garder, je ne demande que deuxchoses.

– Parle ! fit avidement Valois.

– D’abord vie sauve, et liberté de sortirde Paris.

– Tu tiens donc bien à ne pas êtrependu ? »

Le vieux serviteur répondit d’une voixtremblante :

« Je suis vieux, monseigneur ; mais,toujours absorbé par un dur service, j’ignore tout de la vie ;si Dieu a décidé que je dois vivre quelques années encore, je tiensà ce peu qui me reste à vivre…

– Et ensuite, que demandes-tu ?

– Ensuite, monseigneur, si le roim’accorde vie sauve, je voudrais pouvoir vivre enfin quelquesannées en repos et sans souci. Je demande six mille livres, qui meseront comptées le jour même où j’indiquerai le trésor.

– Écoute, si je te fais conduire au roi,ta mort est assurée, soit qu’il te fasse pendre, soit que tut’empoisonnes. Si tu veux me révéler ton secret, je te faisconduire hors Paris avec dix mille livres, au lieu de six que tudemandes. »

Tristan semblait réfléchir à cette propositionet Valois attendait sa réponse en frémissant.

« Ainsi, monseigneur, vous jureriez surla croix ? »

Valois regarda autour de lui. Et comme il nevit pas de croix, il tira sa lourde épée et en présenta la poignéeà Tristan.

« Voici une croix, dit-il. Je te jure surmon âme que tu seras conduit sain et sauf hors de Paris, avec dixmille livres pour ta part.

– C’est bien, monseigneur, je me rends.Venez ce soir au pied de la Grosse Tour du Louvre, et je vousconduirai au trésor. Mais, vous l’avez dit vous-même : lachose doit demeurer entre nous. Venez donc seul, ou du moinsaccompagné de peu de gens…

– Non, non, fit vivement Valois. Je seraiseul. Et il faudra que tu sois seul aussi. Maintenant, par oùveux-tu quitter Paris, et quand veux-tu le quitter ?

– Quand ? Au plus tôt. Demain matin,à la pointe du jour. Par où ? J’ai l’intention de me dirigersur Orléans. Je sortirai donc par la porte Bourdelle.

– C’est bon, dit Valois. Ce soir, à dixheures, je serai au pied de la Grosse Tour du Louvre. Demain matin,à six heures, un de mes hommes t’attendra hors de la porteBourdelle, avec un cheval dont je te fais présent et les dix millelivres promises. Va-t’en, maintenant. »

À peine fut-il hors du Temple que Valois fitvenir son capitaine des gardes et lui dit :

« Ce soir, je vais en expédition. Il mefaut quatre hommes sûrs qui me suivront à distance etn’approcheront que si je crie ou les siffle. Demain matin, àl’ouverture des portes, vous placerez dans les terrains maraîchersqui se trouvent hors de la porte Bourdelle, deux de vos hommeschoisis. L’homme qui sort d’ici, vous le connaissez ?

– Tristan. L’âme damnée du damnéMarigny.

– Bon. Eh bien, vos deux envoyés auront àme débarrasser de cet homme. Un coup de poignard pour l’affaire.Pour plus de sûreté, il sera bon qu’ils enterrent le corps avant derentrer ici. Dites-leur qu’en cas de réussite, il y a vingt livrespour eux. En cas de non-réussite, une corde. »

Le soir vint. Vers l’heure convenue, Valoissortit du Temple et se mit en route pour le Louvre, escorté àdistance par les gardes prêts à intervenir au premier signal. Ilcontourna la vieille forteresse en se disant : « Bientôt,je coucherai là en maître absolu… » Son cœur bondissait. Aupied de la Grosse Tour, il trouva Tristan qui l’attendait. Iltressaillit. Un instant, il avait douté que le serviteur de Marignyviendrait au rendez-vous. D’un rapide regard, il s’assura queTristan était bien seul.

« Où est-ce ? demanda-t-il d’un tonbref.

– Suivez-moi, monseigneur, dit Tristanqui descendit sur la berge.

– Il faut traverserl’eau ? »

Valois eut une seconde d’hésitation. Sesquatre gardes ne pourraient le suivre ! Ou, s’ils entraientdans l’une des barques amarrées là, Tristan les verrait !…

Il n’avait pas prévu que le trésor pouvait setrouver sur la rive gauche… Mais, s’en rapportant un peu au hasardet un peu à l’instinct de ses gardes, il entra dans la barque,Tristan se mit aussitôt à ramer. En quelques minutes, la barquetoucha l’autre bord.

Valois se retourna, explora le fleuve duregard et vit que ses acolytes ne le suivaient pas, ou du moinsqu’ils n’avaient pas encore commencé la traversée du fleuve.

« Est-ce loin ? fit-il en seretournant vers Tristan.

– Non, monseigneur, nous sommes arrivés.Le trésor est dans la Tour de Nesle. Il ne me reste qu’à vousindiquer le secret qui vous permettra d’arriver jusqu’au coffre oùsont entassés les sacs pleins de ducats d’or… »

Valois ne s’étonna pas de trouver la porteentrouverte ; il était naturel que Tristan en possédât uneclef.

« Entrez, monseigneur », ditTristan, qui s’inclina.

Valois entra, tout frémissant.

Au même moment, Tristan, resté dehors, tira laporte à lui et la referma à double tour.

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