La Reine Sanglante

Chapitre 47LE SUPPLICE DES D’AULNAY

Stragildo était demeuré seul dans le cachotoù, grâce à la plus audacieuse des manœuvres, Buridan l’avaitenfermé au lieu et place de Gautier. Une heure se passa avant queles vapeurs du stupéfiant que lui avait administré Haudryot sefussent assez dissipées pour qu’il pût se rendre compte de ce quilui arrivait.

D’abord, il se figura qu’il n’avait pas quittéle caveau de la Courtille-aux-Roses et, ayant constaté qu’iln’avait plus d’entraves ni aux mains ni aux pieds, il s’occupaaussitôt de chercher un moyen d’évasion.

« Je me suis bien enfui une fois,grogna-t-il. Pourquoi ne m’enfuirais-je pas encore, et par lesmêmes moyens ? »

Comme il disait ces mots, une sorte deressouvenir s’éveilla dans son esprit et, peu à peu, s’y précisa.Les dernières paroles de Buridan résonnèrent en lui comme s’il leseût entendues à ce moment-là. Stragildo éclata de rire etgrommela :

« La farce est bonne. Je suis ici à laplace de Gautier ! Mais je ne suis pas Gautier, moi ! Jesuis Stragildo, le gardien des fauves du roi et de la reine. Jesuis un personnage important dans l’État. Or donc, puisque Buridana été assez fou pour me mettre à la place de Gautier et que je nesuis pas Gautier, je n’ai qu’à appeler. On vient. On me reconnaît.On me relâche. Et alors, oh, alors, malheur à toi, Buridan dudiable ! »

Il se mit à frapper du poing dans laporte.

« Holà ! Holà ! archers !Ouvrez. Çà ! à l’instant, ou je me plaindrai à lareine. »

On n’ouvrit pas. Personne ne répondit.

Stragildo frappa plus fort. Bientôt il se mità pleurer. Bientôt ses poings saignèrent. Bientôt la rage et laterreur combinèrent leurs forces dissolvantes et il tomba tout deson long épuisé, sur les dalles du cachot.

Quand il sortit de ce demi-évanouissement,Stragildo poussa une clameur funèbre. Il sentit ses cheveux sedresser sur sa tête. L’épouvante s’abattit sur lui en coup defoudre : car, maintenant, il était tout à fait libéré de sonivresse ; maintenant, il se rappelait tout ; maintenant,il comprenait.

Tout à coup, Stragildo entendit des pasnombreux et le bruit des armes entrechoquées.

Il s’arrêta alors et respira longuement. Ilétait hideux, couvert de sang, les habits en lambeaux, la barbe etles cheveux hérissés. Mais un sourire balafrait ce visageterrible : on venait enfin ! Il allait êtredélivré !…

La porte s’ouvrit. Stragildo eut la visionsoudaine des torches, des archers nombreux, de deux aides dubourreau et d’un homme vêtu de noir qui disait :

« Gautier d’Aulnay, écoute la sentencequi a été prononcée contre toi et ton frère…

– Je ne suis pas Gautier ! hurlaStragildo. À moi ! Au meurtre ! Conduisez-moi àmonseigneur de Valois ! Je suis Stragildo !Regardez ; regardez tous !… Gautier est parti avecBuridan ! »

Il y eut un moment de stupeur, puis des crisd’effarement, puis, Stragildo fut repoussé dans le cachot et laporte se referma. On entendit encore ses hurlements, mais on n’yprenait pas garde. Il y avait une chose sûre : c’est queGautier d’Aulnay avait fui et avait été remplacé parStragildo ! L’homme noir, les aides, plusieurs archers avaientparfaitement reconnu le gardien des fauves !…

En voyant arriver l’officier du poste, toutpâle et défait, Jean de Précy comprit que quelque grave événementvenait de se passer. Il mit donc pied à terre et suivit lecapitaine qui, une fois dans la salle du corps de garde, se mit àlui faire le récit de ce qui s’était passé.

Et, comme preuve, il montra le parchemin quelui avait laissé Buridan.

Jean de Précy examina le papier, puis, hochantla tête :

« Bien vous prend, sire capitaine,d’avoir eu l’idée de garder ce parchemin ; sans quoi, je croisque votre tête ne serait plus des plus solides sur vos épaules.Mais le sacripant a agi de par le roi. Rien à faire. Rien àdire.

– Sacripant, soit ! dit rudement lecapitaine. Mais un brave, je vous le garantis. Et un bravehomme ! Je lui dois la vie, en somme, il pouvait emporter ceparchemin, et c’est lui-même qui m’a conseillé de le garder, –mieux : il m’en a donné l’ordre. – Mais, sire prévôt, quedevons-nous faire du Stragildo, maintenant ? Faut-il lerelâcher ?

– Le relâcher ! fit Jean de Précyavec le grognement du chien à qui on retire un os. Écoutez !Ce Stragildo, j’avais l’ordre de le rechercher pour le fairependre, car il paraît que notre bon sire Louis a reçu de lui ungrave affront.

– Eh bien, donc, le voilà tout trouvé.Prenez ce Stragildo, messire, et m’en débarrassez.

– Hum !… Donc, ce Stragildo qui,entre nous, est un horrible mécréant et mérite la hart depuis lejour de sa naissance à tout le moins, ce Stragildo est de bonneprise et, comme il est condamné, il n’y a qu’à le faire pendre…

– Faites-le pendre, sire prévôt.Emmenez-le à la Croix du Trahoir ou à la Grève. Ici, il n’y a pasde potence.

– Hum !… Et voici déjà le bon peuplede Paris qui s’impatiente et veut voir écorcher. Écoutez, mon dignecapitaine, je vais m’occuper de faire rechercher aussitôt leGautier du diable et l’effronté écolier Buridan qui l’a tiré decette prison. Les deux gaillards ne perdront rien pour attendre.D’autant que nous avons de vieux comptes à régler avec le damnéBuridan. Mais, quant à reculer le supplice de Gautier,voyez-vous, c’est impossible. »

L’officier ouvrit des yeux énormes.

« Par la Vierge, grommela le prévôt, cesgens d’armes sont d’obtuse intelligence. Vous ne comprenezpas ?

– Non, sire prévôt, je ne comprends pas,fit le capitaine, je n’ai pas le droit de comprendre, moi ; jen’ai que le droit d’obéir, si vous commandez.

– Eh bien, donc, je commande. Prenez-moice Gautier, que j’entends hurler d’ici. Il ne s’est rien passécette nuit, capitaine. Je vais faire pendre ce Gautier et vous endébarrasser. »

Là-dessus, le prévôt alla regagner sa place aupied de l’échafaud et donna l’ordre d’exécuter Philipped’Aulnay.

Sur quoi, les aides de Capeluche saisirent unesorte de mannequin qui était déposé dans un grand panier, le mirentdebout et le montrèrent à la foule. L’un d’eux saisit la hache,dont il porta un coup sur la tête, laquelle roula aussitôt.

Il se fit une grande huée d’éclats de rire,puis aussitôt le silence s’établit, tragique cette fois… carc’était un vivant, un être de chair et d’os qu’on allaitsupplicier !… Tous les regards se tournèrent vers la porte dela prison.

Là, dans cette prison, au fond des cachots,une scène terrible se passait, tandis que là-haut, sur l’échafaudse déroulait le simulacre grotesque de l’exécution de Philippe. Eneffet, après son entretien avec le prévôt, le capitaine étaitrentré au corps de garde en criant :

« Qu’on saisisse le sired’Aulnay et conduisez-le-moi à l’échafaudage. »

Une douzaine d’archers se mirent en devoird’exécuter cet ordre.

« Mais je ne suis pas d’Aulnay !hurlait Stragildo.

– Allons, compère, laissez-vous faire endouceur ! répétaient les aides.

– Faisons donc savoir audit Gautier, sired’Aulnay… glapissait l’homme noir.

– La peste soit de l’enragé qui fait dela rébellion, vociféraient les archers.

– Je vous dis que je m’appelleStragildo ! »

Tous ces cris se fondirent en un sourdgrognement. Stragildo, acculé dans un angle, cessait de clamer sondésespoir, il se défendait.

Dans cet angle noir, les torches renversées,il y eut une mêlée sans nom ; de sourds jurons, des hurlementsbrefs, des insultes, une lutte formidable de l’homme qui ne voulaitpas mourir. Puis, brusquement, tout s’apaisa.

« Là ! Là ! faisait l’aide entrain de ligoter Stragildo.

– Ces d’Aulnay étaient de rudessacripants, se disaient les archers l’un à l’autre.

– … Et finalement, la tête tranchéepar la hache », achevait en nasillant l’homme noir qui savaitson parchemin par cœur.

Stragildo ne disait plus rien. On l’emportatout garrotté…

Et lorsqu’on le déposa dans le corps de garde,à la lumière du jour, on s’aperçut qu’il était mort.

Nous devons ajouter que le cadavre du gardiendes fauves fut porté sur l’échafaud et qu’il y subit le suppliceannoncé, afin que la foule accourue à ce spectacle ne pût éleveraucune réclamation.

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