La Reine Sanglante

Chapitre 49LA TOUR DE NESLE

Valois, entendant la porte se fermer, ne serendit pas compte d’abord de ce qui lui arrivait. Il crut queTristan était entré derrière lui. Une seconde, il attendit.Cependant, la nuit était profonde ; un silence funèbre tombaitde ces voûtes qui, naguère, avaient répercuté l’écho des orgies etles plaintes des victimes de Stragildo.

« Tristan ! » murmura le comtede Valois.

Un bruit clair sonna étrangement dans leprofond silence. Un bruit de pièces d’or qui tombent sur desdalles.

Valois, palpitant, Valois, ivre de joie,s’avança doucement vers le point où il avait entendu ce bruit d’or.Il y marcha comme s’il eût été attiré par une force magnétique.

« Tristan ! » appela Valois àvoix basse.

Il descendait, presque sans s’en apercevoir,un escalier qui s’enfonçait dans le sol.

Une minute plus tard, il se trouva dans lecaveau ; il fit quelques pas hésitants.

« Est-ce toi, Tristan ?… Allons, jete pardonne et je te permets de prendre tout de suite tapart… »

Le silence de nouveau était devenu profond, –un de ces silences formidables comme les tombes doivent en avoir.Valois, d’instinct, refit, en reculant, les quelques pas qu’ilvenait de faire en avançant. Tout à coup, il se heurta à quelquechose. De la main, il chercha l’ouverture par où il étaitentré.

Il n’y avait plus d’ouverture !…

Valois sentit que sa main touchait lesferrures d’une porte – d’une porte fermée.

Il frémit. Mais il ne perdit pas courage.Tristan était là !… Le trésor était là !…

Le caveau s’éclaira soudain d’une faiblelueur, qui venait il ne savait d’où… Valois reconnut alors lecaveau où il avait été enfermé. Il n’avait pas peur, il ne pensaitqu’au trésor. Et, brusquement, il frissonna jusqu’au fond del’être : le trésor !… il le voyait !… Au fond ducaveau, un grand coffre ouvert ; le coffre était plein de sacssoigneusement liés à l’ouverture ; sur les dalles, près ducoffre, deux ou trois ducats luisaient confusément ; l’un dessacs était ouvert…

Valois s’avança en grommelant une menace, et,rudement, tira le rideau.

Au même instant, il fit en arrière un bondterrible et demeura pétrifié : ses cheveux se hérissèrent etil sentit que l’épouvante dans ce qu’elle a de surhumain s’abattaitsur lui ; il tomba à genoux ; tout ce qu’il y avait devivant en lui, toute son énergie, toutes ses forces, il les employaà détourner ou à baisser la tête ou à fermer les yeux ; maisil ne put y parvenir ; son regard, fou d’horreur, demeura rivéau spectacle d’horreur et de folie… Ce que voyait Valois, c’étaitEnguerrand de Marigny !…

Marigny était assis sur un fauteuil. Il avaitrevêtu les habits qu’il portait d’ordinaire. Son visage n’avait pasla pâleur des cadavres ; au contraire, il était légèrementteinté de rose ; ses yeux étaient ouverts, fixes et brillants.Sa main gauche s’appuyait à la poignée de sa dague ; sa maindroite reposait sur son genou. Le fauteuil était placé sur uneestrade assez haute, en sorte que les pieds de l’apparition seposaient sur le bord supérieur du coffre.

Valois garda quelques secondes l’espoir qu’ilétait le jouet d’une hallucination et qu’il allait se réveiller decet effroyable cauchemar.

Il eut le courage de se lever, de s’avancervers l’apparition. Il grelottait. Il claquait des dents. Mais il sedisait :

« Je vais toucher ce fantôme, et alors jeverrai qu’il n’existe pas, que ma main ne s’est posée que sur uneombre… »

Et sa main, en effet, se posa sur la main deMarigny. Dans cet instant, éclata, avec un retentissement sonore etprolongé, un bruit de cymbales et de gong. Valois l’entendit àpeine. Il reculait jusqu’à l’angle le plus éloigné du caveau.

Marigny, pendu au gibet de Montfaucon, étaitassis dans ce fauteuil et le regardait.

« Maudit, tu es donc venu me voler aprèsma mort comme tu me voulais voler de mon vivant ?

– Que dit-il ? Oh ! Est-cevrai ? Est-ce possible que je puisse ainsi toucher au fond del’horreur ?

– Maudit, qu’as-tu fait de ton filsBuridan ?

– Il sait ! Oui, il doit tout savoirpuisque les morts savent !… »

Enguerrand de Marigny parlait d’une voixbasse, mais distincte. Et Valois éperdu, Valois, insenséd’épouvante, répondait. Il parlait aussi, mais sa voix à luin’était qu’une suite de hoquets douloureux.

« Maudit, qu’as-tu fait de ma fille, quetu dénonças comme sorcière ?…

– Oh ! celle-là du moins m’aéchappé ! Rassure-toi, Marigny ! Au nom de ta fille,pardonne, oh ! pardonne ! »

Il s’était écroulé sur ses genoux, il frappaitles dalles, de son front.

« Te pardonner ! Moi !Insensé !… Moi qui t’ai attiré ici pour te prendre, t’emporterdans les sombres régions du deuil éternel… »

Valois releva sa tête convulsée vers lespectre. Et il le vit faire un mouvement… Lentement, il le vit sedresser… Alors, dans sa tête, il y eut comme un fracas de chosesqui s’écroulent ; il s’affaissa, le visage sur le sol, etdemeura inerte, foudroyé par l’épouvante.

Mais Valois n’avait garde d’entendre. Il étaitbien évanoui.

Alors, de derrière le fauteuil élevé où lecadavre embaumé avait été assis et placé dans la position la plusfavorable, surgit la tête pâle de Lancelot Bigorne qui jeta unregard méfiant du côté de Valois.

« Est-il mort ? grommela-t-il ;saint Barnabé me vienne en aide, je crois que, s’il me fallaitcontinuer encore, je mourrais moi-même de peur. »

Il s’approcha de Valois et vit qu’il respiraitencore.

Bigorne, à cette découverte, allaitprécipitamment regagner sa place, lorsque Valois, revenant à lui,se dressa sur ses genoux.

« Bon ! songea Bigorne. Il va toutdécouvrir à présent ! Tant pis, je serai obligé de letuer !… »

Mais Valois, s’étant remis debout, semblait nepas le voir, de même qu’il ne prêtait plus la moindre attention aucadavre de Marigny. Il se promenait dans le caveau, de long enlarge, d’un pas solennel ; la main droite crispée paraissaitporter un objet imaginaire ; et, avec un long gémissement, ilcriait :

« Priez, gens de Paris, priez pour l’âmed’Enguerrand de Marigny pendu, quoique innocent, aux fourches deMontfaucon… »

Bigorne regarda Valois dans les yeux.

Et il vit que ces yeux étaient à jamais videsde lumière, comme des yeux d’aveugle. Valois n’était pasaveugle : il était fou !

Dès lors que Lancelot eut acquis cetteconviction que le comte de Valois avait perdu la raison, il cessade s’occuper de lui.

Derrière le rideau que Valois, tout à l’heure,avait tiré, il y avait une fosse que, sans doute, Bigorne avaitpréparée dans la journée.

Il y plaça le cadavre, ramena la terre,rajusta les deux ou trois dalles qu’il avait déplacées ; puis,n’ayant plus rien à faire dans le caveau, il alla à Valois quicontinuait ses lamentations et le prit par la main.

« Me conduisez-vous à Notre-Dame ?dit Valois. Oh ! faites que j’y puisse bientôt arriver !Il me reste si peu de temps pour faire pénitence !…

– Allons, il vous reste toute la vie pourcela. Soyez patient, par tous les diables ! »

Bigorne remonta dans la salle durez-de-chaussée de la tour, ouvrit la porte avec une clef qu’ilavait gardée sur lui, et, toujours le tenant par la main, conduisitValois au-dehors.

Alors, il le lâcha et lui dit :

« Allez, maintenant, monseigneur !Vous avez failli me pendre. J’ai failli vous pendre. Voyez-vous, ilfallait que l’un de nous y restât. J’aime mieux que ce soit vous.C’est plus juste, d’abord, et puis, maintenant que je suis riche,je tiens à la vie… »

Valois s’éloigna. Longtemps Bigorne entenditsa lamentation qui se perdait dans le lointain.

« Priez pour l’âme d’Enguerrand deMarigny !… »

Puis lorsque cette voix funèbre se fut éteintedans l’éloignement, il jeta un regard sur la vieille toursilencieuse et morne dans les ténèbres et il murmura :

« Adieu, Tour de Nesle, sombre asile despectres. Toi aussi, tour maudite, te voilà pardonnée, car nous nete craignons plus… Tour de Nesle, adieu ! »

 

P.-S. – Nous avons vu que LancelotBigorne put rejoindre ses compagnons au hameau du Roule. La petitetroupe se mit en route à l’heure qu’avait fixée Buridan. Elle gagnala Bourgogne et s’établit aux environs de Dijon, où ses compères,unis de la plus étroite amitié, vécurent ensemble de longuesannées.

Buridan épousa la fille de Marigny.

Vers 1324, sa mère, la dame de Dramans, mourutaprès une paisible vieillesse. Alors, Buridan revint à Paris, où ilsupposait justement que tous ces événements devaient être oubliésdepuis longtemps.

Quant au malheureux Louis X, quant à celui quele peuple de Paris avait surnommé Hutin pour sa joyeuse humeur, ilsuccomba, peu de temps après la mort de Marguerite, à une maladiede langueur, et fut remplacé sur le trône par un de ses frèresconnu dans l’histoire, à défaut d’autre illustration, sous le nomplutôt comique de Philippe le Long.

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