La Reine Sanglante

Chapitre 25LE RENDEZ-VOUS

Ce matin-là, il y avait une grande animationau Louvre où les seigneurs, chevaliers, courtisans de toute espèceétaient accourus. La nouvelle de l’arrestation d’Enguerrand deMarigny avait retenti dans Paris comme un coup de tonnerre.

Au Louvre, Valois rayonnait, accueillait avecun sourire la foule des courtisans qui, la veille encore, n’eussentpas osé, devant Marigny, lui faire bonne figure. Valois ne selassait pas de promettre. Il y eut des marchandages et desdiscussions. Tel seigneur, qui avait obtenu une abbaye et quiréfléchissait ensuite qu’elle ne lui conviendrait pas, cherchait àfaire un marché avec tel autre seigneur dont il convoitait laprébende. Il y eut des cris, des disputes, des jurons. Le royaumeétait mis au pillage. On se partageait les postes, les honneurs,surtout l’argent, on se partageait la France.

« Place au roi ! » annonça lavoix d’un huissier.

Un grand silence tomba sur cette cohue, quis’ouvrit, se fendit en deux groupes entre lesquels Louis Hutins’avança, tandis que Valois courait à sa rencontre.

Comme s’il eût été emporté par l’enthousiasme,le comte saisit le roi dans ses bras et l’embrassa en criant.

« Sire, vous voilà doncdélivré !

– Vive le roi ! cria la foule descourtisans dans une clameur d’autant plus délirante que le roi seulpouvait sanctionner toutes les promesses faites par Valois.

– Oui, messieurs, vive le roi !Désormais, il n’y a plus qu’un roi de France et, ce roi, c’est moi.Chacun à son rang, chacun à son poste ! Et malheur à quioserait se dresser près du roi assez haut pour qu’on puisse leconfondre avec le roi ! »

Ces paroles produisirent un terrible effet. Unsilence de stupeur et d’inquiétude remplaça les acclamations detout à l’heure. Valois, pâle et balbutiant, voulut dire quelquesmots. Mais le roi, qui s’exaspérait lui-même au bruit de sespropres paroles, l’interrompit et lui demanda rudement :

« Ce prisonnier… ce Philippe d’Aulnay,l’a-t-on interrogé ? Et l’autre, ce Gautier, qu’en a-t-onfait ?

– Sire répondit Valois, les deux frèressont dans de bons cachots. On leur appliquera la question dès qu’ilplaira à Votre Majesté. Mais ne serait-il pas bon d’abord de nousoccuper de cet autre prisonnier, plus intéressant, qui s’appelleEnguerrand de Marigny ?

– Nous verrons, fit le roi. Rassemblez leconseil, mon cher comte, et nous discuterons ces gravesquestions. »

En même temps, il se dirigea rapidement versla porte de l’oratoire et passa chez la reine.

Elle attendait la visite du roi à la fois avecune impatience fébrile et une sourde terreur.

Elle ne put donc s’empêcher de tressaillir etde pâlir lorsqu’elle vit tout à coup entrer Louis Hutin. Mais,rassemblant toutes ses forces d’esprit, tous ses moyens deséduction, elle renvoya d’un signe imperceptible ses deux sœurs,qui se trouvaient près d’elle, et s’avança vers le roi avec cesourire de charme qui le rendait souple et soumis comme un amoureuxpassionné qu’il était d’ailleurs.

Louis la serra tendrement dans ses bras, puis,prenant la tête de Marguerite à deux mains, il la fixalonguement.

« Comme vous êtes pâlie ! murmuraenfin le roi ; par Notre-Dame, il me semble que vous êtesmaigrie, que vos traits sont tirés, qu’il y a je ne sais quellemorne tristesse dans vos beaux yeux.

– Quoi d’étonnant à cela, mon cher Sirebien-aimé, puisque depuis quelques jours je vous vois sombre,inquiet, agité. Croyez-vous que je ne sois pas tourmentée de vostourments ? Cette affaire de la Cour des Miracles m’a causé unchagrin qui m’a tenu les yeux ouverts. »

Le roi souriait, égoïstement heureux de cechagrin qu’il voyait à Marguerite.

« Chère âme, dit-il, je voudrais tous lesjours essuyer une défaite comme celle de la Cour des Miracles, pouravoir le bonheur d’être ainsi plaint et caressé parvous. »

Il s’était assis près d’elle, lui tenant lamain, la contemplant avec une tendresse et un bonheurindicibles.

« Mais vous pouvez vous rassurer,reprit-il. Ce Buridan du diable ne tardera pas à tomber entre nosmains. »

Marguerite tressaillit et sa pâleurs’accentua.

« En êtes-vous sûr. Sire ! fit-elled’une voix étrange.

– Sans aucun doute. J’ai bien juré derespecter le privilège qui fait de la Cour des Miracles un refugeet je tiendrai ma parole. Mais le royaume d’Argot est cerné detoutes parts, et, à moins de consentir à vivre toute sa vie commeen prison, Buridan ne saurait tarder à être pris. Ainsi, nonseulement Buridan, mais toute la bande des rebelles sera bientôtconduite aux Fourches de Montfaucon, ce qui vous fera une bellematinée de plaisir et d’amusement. »

Marguerite devint si pâle que le roi s’enaperçut :

« Par Dieu, chère Marguerite, je croisque vous vous affaiblissez ! Holà, Jeanne ! Holà,Blanche ! la reine se meurt !

– Non, non, balbutia Marguerite, ce n’estrien, Sire ! Mais l’idée que mon roi est entouré de tantd’ennemis me fait un mal affreux ! »

À demi rassuré, le roi la consolait à samanière, lui assurait que bientôt il serait débarrassé de tous sesennemis et que, déjà, le principal d’entre eux, Enguerrand deMarigny, était arrêté.

« Quant aux rebelles, terminait à cemoment le roi en se levant, ne vous inquiétez plus ; déjà,nous en tenons deux, Philippe et Gautier d’Aulnay.

– Et quel châtiment leur réservez-vous,Sire ? »

Placé ainsi tout à coup en présence d’unequestion précise, Louis Hutin hésita un instant. Mais peut-êtreétait-il tout à la tendresse, car, pensif, il répondit :

« Ces deux-là ne m’ont pas fait grandmal, il est vrai… et, après tout, ils sont braves… et puis,c’étaient des ennemis implacables à mon ennemi ! Pour le malqu’ils ont essayé de faire à Enguerrand de Marigny, je crois que jepuis leur faire grâce de la vie et me contenter de les enfermer enquelque bonne forteresse. »

Puis, plus sombre, il ajouta :

« Oui, ce sont des braves… l’un d’eux,surtout, celui qui se nomme Philippe. Je l’ai vu, dans son cachot,accomplir sous nos yeux un de ces actes de courage terribles quiinspirent l’épouvante et l’admiration.

– Qu’a-t-il donc fait, Sire ?balbutia Marguerite, qui savait d’ailleurs parfaitement à quel actele roi faisait allusion.

– Pour ne pas parler, pour ne pasdénoncer sa maîtresse, il a… »

Louis Hutin s’arrêta tout à coup, se frappa lefront et sourdement murmura :

« Pour ne pas dénoncer samaîtresse !… sa maîtresse !… cette femme qui me trahit,cette femme qui vit dans mon entourage, près de moi, qui estpeut-être de ma famille et que je ne puis découvrir.

– Calmez-vous, mon bien-aimé Louis,bégaya la reine, frissonnante de terreur.

– Que je me calme ? gronda-t-il, encherchant à contenir la fureur et la douleur qui bouillonnaient enlui. Mais ne voyez-vous pas, Marguerite, que c’est cela qui metue ! La Cour des Miracles, ce n’est rien ! Les rebelles,ce n’est rien ! Marigny, ce n’est rien ! Mais ne passavoir, vois-tu, ne pas savoir le nom de l’infâme et passer mesnuits à écarter les spectres de mon imagination et à me dire :« Dieu puissant ! si c’était…

– Qui ?… Ose donc, Louis ! osedonc encore ! » cria Marguerite de Bourgogne, en seredressant, tragique, superbe.

Le roi la contempla un instant, ses yeux segonflèrent, puis il éclata en larmes et murmura :

« Rien, ma Marguerite adorée, je n’airien à avouer, car il n’y a dans mon cœur que de l’amour, de lavénération pour toi. »

Puis il la saisit dans ses bras, déposa surses lèvres un baiser si rude que Marguerite jeta un cri, puis, deson pas précipité, traversa la salle et se retira.

Marguerite demeura défaillante.

À ce moment une petite porte opposée à cellepar où le roi était sorti s’ouvrit, et Juana parut et murmuraquelques mots à l’oreille de la reine qui tressaillit et s’avançavivement vers un cabinet où l’attendait un homme.

Cet homme, c’était Stragildo.

Sans rien dire, le gardien des fauvess’inclina et tendit à la reine un papier plié en quatre. Margueritele lut. Alors, son visage s’empourpra. Pendant quelques secondes,elle grelotta comme si elle eût été saisie de fièvre, son regardjeta des flammes, ses lèvres devinrent livides. Puis, avec la mêmeinstantanéité, tout s’éteignit sur cette physionomie. Elle sepencha sur Stragildo et lui donna quelques ordres. Stragildodisparut.

Alors, Marguerite rentra dans sa chambre, jetaautour d’elle un regard pour s’assurer qu’elle était bien seule etelle relut le papier.

Il contenait ces seuls mots :

« Jean Buridan attendra ce soirMarguerite de Bourgogne à la Tour de Nesle. »

Pendant le reste de cette journée, la reine nebougea pas de son grand fauteuil. Les mains sur les genoux, la têteappuyée au dossier, les yeux à demi fermés, la tête appuyée audossier, les yeux à demi fermés, le sein à peine soulevé par unmouvement rythmique et lent, elle ressemblait ainsi, pâle,souriante et recueillie, à une sainte de vitrail. Si Louis étaitentré à ce moment, il l’eût trouvée plus belle qu’il ne l’avaitjamais vue.

Marguerite songeait à Buridan. Margueritesongeait que Buridan vaincu enfin, se rendait à elle. Margueriteaimait. Marguerite attendait l’heure où Buridan allait luidire : « Je t’aime… » Ce fut sans doute dans cettevie tourmentée, toute faite de tempête et de passions, la seuleheure d’amour pur…

La nuit s’étendit sur Paris.

Marguerite, alors, s’habilla, se couvrit d’unvaste manteau, donna à Juana quelques indications brèves etprécises, afin que sa suivante sût où la trouver en cas d’événementimprévu.

Puis elle sortit.

Elle était seule…

Par les chemins détournés, tant de foisparcourus, elle gagna la poterne par où elle quittait le Louvre etelle se trouva sur les berges de la Seine…

Elle ne tremblait pas, elle n’avait pas peurdans cette nuit profonde, dans ce recoin désert où peut-êtrerôdaient des malfaiteurs.

À pas lents, elle descendit jusqu’au bord del’eau, à l’endroit où se trouvait attachée sa barque. Stragildoétait là. Elle s’assit. Stragildo commença à ramer vigoureusement.Bientôt, la barque toucha l’autre bord. La reine sauta à terre etmarcha droit à la porte de la Tour de Nesle, qu’elle franchit sanss’occuper de savoir si Stragildo la suivait.

Elle monta jusqu’en haut et pénétra dans lasalle où, au début de ce récit, nous avons vu entrer Philippe etGautier d’Aulnay. Et, sur le seuil, elle s’arrêta palpitante.

Buridan était là qui, profondément,s’inclinait devant elle !

*

**

Stragildo n’était pas entré dans la Tour deNesle.

Lorsque Marguerite eut sauté sur le sable, unsingulier sourire crispa les lèvres du bandit. Il laissa la reines’éloigner, puis, sautant à son tour, il amarra soigneusement labarque et se dirigea vers un recoin d’ombre plus épaisse oùplusieurs hommes se trouvaient dissimulés, immobiles et silencieux.Et simplement, Stragildo murmura :

« Maintenant, Sire, vous pouvez entrer àla Tour de Nesle !… »

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