La Reine Sanglante

Chapitre 33OÙ IL EST QUESTION D’UNE CASSETTE ET D’UN RIDEAU

Le soir même, à l’heure dite, Malingre dans lasalle basse de la Courtille-aux-Roses, attendait Gillonne avec uneimpatience mélangée d’assurance et de doute.

« Oh ! elle viendra, murmura-t-il,elle viendra, j’en suis sûr… Elle sent qu’elle a besoin de moi pourfuir et puis je lui ai fait trop peur… elle ne peut pas ne pasvenir. Hé ! mais, n’est-ce pas elle que j’aperçoislà-bas ?… Oui, ma foi… Enfin !… Nous allons régler noscomptes !… »

En effet, c’était Gillonne qui arrivait,exacte au rendez-vous.

Elle était enveloppée dans une vaste mantenoire et marchait lentement, avec précaution.

Malingre courut à sa rencontre et, derrièreelle, poussa soigneusement les verrous intérieurs de la ported’entrée.

« Tu vois, Simon, dit Gillonne, je suisexacte.

– Je savais que tu serais exacte,répondit Malingre en riant. Attends que je te décharge… ça doitêtre lourd à porter, une cassette pareille… surtout pour une femmefaible comme toi, ma douce Gillonne.

– Non, non, je la porterai bien touteseule. »

Il n’insista pas et dit :

« Comme tu voudras, ma mignonne, c’étaitpour te rendre service. Mais ne restons pas dans ce jardin, entronsdans la maison, veux-tu ? »

Il s’était assis assez loin d’elle, en face,et soit hasard, soit préméditation, il était placé devant la porte,les deux mains sur le pommeau de son épée – car il s’était munid’une arme – le menton appuyé sur les mains, la regardant enriant.

« Voyons donc cette jolie cassette…

– Voici !… Tu vas l’ouvrir… nouscompterons ce qu’elle contient… bien que je sache à un denier près…nous ferons deux parts égales (Seigneur ! que je suis doncmalade !) tu prendras… (j’étouffe) et tu prendras… la moitiéqui te revient (Vierge sainte !… je suis morte).

– Bah ! fit Malingre, vraiment ébahide cette concession à laquelle il était loin de s’attendre. Tout desuite.

– Nous étions de bons amis, Simon… nousdevions nous marier… ne t’en souviens-tu pas ?

– Oui, oui, en effet, tu m’aimaisbeaucoup ! C’est sans doute pour cela que… tiens, pas pluslard qu’hier soir, je t’ai entendue, quand tu me dénonçais àmonseigneur… en sorte que, ce matin, si je n’avais su diriger mabarque, je serais à l’heure actuelle dans quelque cachot… et toi,occupée, sans doute, à retourner dans ce jardin pour découvrir montrésor et t’en emparer.

– Saints anges du paradis ! il saittout !… Je suis perdue ! »

Malingre, sa dague toujours au poing, s’étaitapproché en chantonnant d’un rideau tendu devant l’embrasure d’unefenêtre et il avait tiré ce rideau.

« Regarde, Gillonne, si je suis homme deprécaution. Vois-tu la belle corde neuve que je te destine…Eh ! eh ! eh ! elle m’a bien coûté trois sols, cettecorde-là… et ce nœud coulant ? Le bourreau juré n’en fait pasde meilleur… Et cette poulie là-haut, au plafond, que j’ai plantéemoi-même… crois-tu que c’est solide ?… et ce piton ici, là,près de la fenêtre, pour accrocher la corde, quand tu te balancerasau bout !… Oh ! je n’ai rien ménagé, va, et je n’ai pasregardé à la dépense.

– Grâce ! Simon, grâce !

– Marche ! » dit Simon.

Sous la piqûre, Gillonne poussa un hurlement,mais néanmoins ne bougea pas.

« Marche ! » répéta Malingre,en enfonçant plus profondément la pointe dans la gorge.

Alors, l’infortunée Gillonne se redressa d’unbond et, échevelée, hagarde, à moitié folle, se dirigea à reculonsvers la corde, poussée par la pointe de la dague qui la piquait auvisage, chaque fois qu’elle faisait mine de s’arrêter.

Et Malingre, maintenant, chantait à pleinevoix une chanson macabre, dans laquelle il était questionprécisément de gibet, de bourreau et de corde bien graissée.Gillonne se trouva enfin acculée à un escabeau.

« Monte », commanda la voiximpérieuse de Malingre, qui avait tiré le rideau derrière lui commes’il eût craint qu’un œil indiscret pût jouir du terrible spectacleauquel il se délectait.

Idée bien malencontreuse qu’il avait eue là,Malingre, car, s’il n’avait pas tiré ce rideau, il aurait pu voirun des énormes bahuts qui garnissaient la pièce s’ouvrir sansbruit, une ombre sortir prestement de ce bahut, le refermervivement, bondir sur la cassette restée sur la table, s’en saisir,gagner en deux bonds la deuxième fenêtre, l’ouvrir sans bruit,l’enjamber et la tirer à lui du dehors.

Mais Malingre était trop joyeusement occupéderrière son rideau pour voir ce que nous venons de montrer aulecteur.

Malingre, devant l’hésitation compréhensiblede Gillonne, répéta, en l’appuyant de la pointe de sa dague, sonimpérieux :

« Monte ! »

Et la misérable, en effet, monta surl’escabeau, et levant machinalement les yeux au ciel, peut-être enune suprême imploration, vit le nœud coulant qui se balançaitmollement au-dessus d’elle, poussa un gémissement affreux et baissavivement la tête pour échapper au nœud fatal.

Malingre, appelant à lui toute sa force, seprécipita sur le piton autour duquel il enroula solidement la cordequi lui coupait les mains.

Puis il se campa devant le corps de sa victimeet la contempla avec une joie féroce.

La pendue se débattait dans le vide ; sesdoigts, instinctivement, cherchaient à se raccrocher au nœud quil’étranglait, les veines se gonflaient, les yeux exorbitaient, lalangue pendait, lamentable, hors de la bouche édentée ; elleétait hideuse à contempler et ce fut bien là l’impression qu’elleproduisit à Malingre, car il hocha la tête en disant à haute voix,comme si elle eût pu l’entendre :

« J’avais pourtant bien des choses à tedire encore… jusqu’à ton dernier souffle, tu auras donc trouvé lemoyen de me jouer des tours de ta façon ? Mais enfin celui-làsera le dernier… Hou !… tu n’étais pas bien jolie de tonvivant, mais maintenant tu es hideuse… tiens, je ne peux passupporter ta vue… tu me tournes le cœur. »

Et Malingre, effectivement, passa de l’autrecôté du rideau.

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