La Reine Sanglante

Chapitre 35L’IDÉE DE BURIDAN

Jean Buridan, après avoir jeté aux pieds duduc d’Égypte les quatre sacs de Stragildo, avait fait demi-tour etquitté la Cour des Miracles.

Alors, tout joyeux, dans la lumière du soleillevant, il s’enfonça dans la campagne, laissant sur sa droite lemont Faucon où se dressait le gibet et se dirigeant d’un bon trotvers l’autre mont qui dressait là-bas sa butte couverte defrondaison : Montmartre !…

C’était bien à Montmartre que se rendaitBuridan.

Comme il montait tout haletant, une formeblanche et légère bondit du fond d’un taillis, et Myrtille, jetantses deux bras autour de son cou, s’écria joyeusement :

« Bonjour, seigneur Buridan, soyez lebienvenu sur cette montagne… »

Buridan demeura tout saisi et serra sa fiancéesur sa poitrine, sans pouvoir prononcer un mot. Il vit alorscombien il l’aimait. Presque aussitôt apparut Mabel, – Anne deDramans, – rajeunie de vingt ans, et, après les premièreseffusions, tous trois montèrent jusqu’en haut.

Ils étaient tous trois aussi heureux quepeuvent l’être des créatures humaines.

Buridan était venu à Montmartre pour seretremper.

Il écartait donc de son esprit toute penséeattristante, résolu à connaître au moins un jour de bonheur devivre en paix, sous le double regard d’amour de sa mère et de safiancée.

Aussi, lorsque Mabel, au bout de deux heures,parla d’organiser le départ, il renvoya au lendemain touterésolution.

Le lendemain, Mabel parla encore departir.

Mais Buridan éluda encore la question.

Le moment vint enfin où Buridan dut avouerqu’il ne pouvait encore songer à s’éloigner de Paris. Mabel lui endemanda les raisons.

« Je ne partirai pas avant d’avoirdélivré Philippe et Gautier d’Aulnay. »

Mabel tressaillit. Buridan continua :

« Pardonnez-moi, ma mère, de vousrappeler de terribles souvenirs avec ces deux noms-là. Mais, si jem’en allais tandis que ces deux hommes vont mourir, si je partaissans avoir tenté l’impossible pour les sauver, il me semble que jene pourrais plus vivre moi-même.

– Va donc, mon fils, fit Mabel avec unsoupir.

– Ce n’est pas tout, reprit Buridan. J’aià vous parler du père et de la mère de Myrtille…

– Enguerrand de Marigny ? interrogeaMabel.

– Arrêté !…

– Marguerite de Bourgogne ?…

– Arrêtée !…

Buridan raconta comment il avait voulu sauverMarigny, comment il était allé à la Tour de Nesle, comment le roi,prévenu par Stragildo, avait surpris ses paroles accusatrices etles aveux de Marguerite.

« Fatalité ! murmura Mabel, commel’avait murmuré Buridan. Ainsi pendant quinze ans, j’ai rêvé,combiné des plans de vengeance dont chacun me semblait ensuitechimérique. Et le hasard, par des voies toutes naturelles, aatteint Marguerite.

« Elle a été frappée comme je voulaisqu’elle le fût ! À l’endroit où je voulais qu’elle lefût ! Et frappée par qui !… »

*

**

Il fut convenu que Mabel et Myrtillecontinueraient à demeurer dans cette chaumière où il y avait, eneffet, bien peu de chances qu’on s’avisât de venir leschercher.

Et d’ailleurs, il n’y avait plus maintenantqu’un homme qui pût avoir la pensée ou le désir de retrouverMyrtille.

C’était le comte de Valois.

« Et pour celui-là, dit Buridan d’un tonferme, j’ai une idée ! »

Mabel, frémissante, chercha vainement à savoirquelle pouvait être cette idée.

Il s’agissait maintenant de faire accepter parMyrtille cette nouvelle séparation, et Mabel redoutait que la jeunefille, déjà ébranlée par tant de secousses, n’en reçût uneatteinte, cette fois, profonde.

Buridan se contenta de sourire.

Il serra sa fiancée dans ses bras en jetant unregard de triomphe à sa mère.

Lorsque vint le moment de la séparation, cefut Mabel qui se montra la moins courageuse et c’est toutsimple : elle était la mère.

Enfin, après force promesses d’être prudent,après force baisers et larmes, Buridan, vers le moment du coucherdu soleil, s’éloigna et commença à redescendre les pentes deMontmartre de façon à arriver avant la fermeture des portes.

Plus d’une fois, il se retourna pourapercevoir une fois encore les deux femmes qui, près de la rocheque lui avait montrée Myrtille, lui disaient encore adieu par leurssignes.

Puis elles disparurent enfin à ses yeux,derrière les cimes des châtaigniers et des chênes.

Alors il se mit en selle et partit autrot.

*

**

À ce moment quelqu’un qui était dans unfourré, quelqu’un qui l’avait vu venir et avait étudié chacun deses gestes, cet homme, donc, se redressa, puis sortit du taillis,s’avança jusque sur le sentier qu’avait suivi Buridan et le regardas’éloigner.

Cet homme s’appuyait sur un bâton, une fortebranche qu’il avait coupée à un arbre et qui devait lui servir dedéfense plutôt que de soutien, car il était alerte et vigoureux. Ilétait vêtu, comme la plupart des paysans, d’une souquenille serréeaux reins par une ceinture de cuir.

Son visage était sombre. Il suivait d’unardent regard le jeune homme qui avait pris le trot et qui ne tardapas à disparaître au loin.

Alors il se tourna vers le hameau et il éclatade rire, en murmurant :

« Je les tiens ! Tous !tous ! »

*

**

L’arrivée de Buridan à la Courtille-aux-Rosesfut saluée par les trois compères d’acclamations enthousiastes.

Guillaume Bourrasque faillit l’étouffer en leserrant dans ses bras. Puis, ce furent d’innombrables questionsauxquelles Buridan se contenta de répondre qu’il n’avait purésister au désir d’aller à Montmartre.

Bigorne, alors, raconta en quelques mots lamacabre aventure arrivée à Gillonne, puis à Malingre et conclut endisant que les deux cadavres avaient été proprement enterrés dansun terrain vague auquel attenait le jardin de laCourtille-aux-Roses.

« Buridan, fit alors Guillaume avecinquiétude, tu ne vas pas dire que cet or-là, comme celui deStragildo, est taché de sang ?…

– C’est un héritage ! s’écriaBigorne, Gillonne et Malingre m’ont fait leur héritier. Par saintBarnabé, c’est de l’argent honnêtement acquis ! Le curé deSaint-Eustache n’en aura pas miette ! »

Buridan se mit à rire.

« Voyons, reprit-il, il faut maintenantque je parle à Stragildo.

« Il m’est venu une idée qui peut-êtrenous aidera à sauver nos deux malheureux amis.

– Et tu espères, fit Guillaume, queStragildo t’y aidera ?

– De gré ou de force, oui !…

– Voyons l’idée, dit Bigorne qui,cependant, rangeait l’or dans les cassettes.

– Elle est bien simple, dit Buridan. Jeveux me servir de Stragildo pour arriver jusqu’au gouverneur duTemple… au comte de Valois, ajouta-t-il avec un soupir.

« Une fois que je serai en présence deValois…

– Vous iriez donc au Temple ? fitBigorne.

– Ou bien ce serait le comte quiviendrait ici, dit froidement Buridan. Une fois que je le tiendrai,donc, je sais ce qu’il faut lui dire pour le décider à favoriser lafuite de Philippe et de Gautier.

« Oui… maintenant que Marguerite deBourgogne est perdue, on peut forcer Valois dans son dernierretranchement…

– Bon ! fit Bigorne, toujoursméfiant. Pour un bachelier l’idée n’est pas mauvaise.

« Mais comment déciderStragildo ?

« Je prévois, en effet, que c’est lui quiva être envoyé en ambassade au Temple, car vous comptez sur laconfiance que Valois doit avoir en cet homme ?

– Cet or me servira à le décider »,fit Buridan en désignant les cassettes.

Guillaume, Riquet et Bigorne ne poussèrentqu’un même cri de protestation.

« Soyez tranquilles, fit Buridan, je nevous ai dit que la moitié de mon idée… »

Cette assurance ne calma nullement les troiscompères.

Mais, sans tenir compte de leurs lamentations,Buridan descendit dans la salle du rez-de-chaussée, prit les clefsdu caveau, se munit d’une lanterne et s’enfonça dans l’escalier quiconduisait dans les sous-sols.

Il arriva à la porte du caveau où Stragildoavait été enfermé et écouta un instant.

Il n’entendit aucun bruit. Alors, tirant sonpoignard, il ouvrit…

Et un cri terrible lui échappa :

Le caveau était vide !

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