La Reine Sanglante

Chapitre 18ÉVASION DE SIMON ET DE GILLONNE

Il nous faut revenir momentanément à deux denos personnages que nous avons laissés dans une situation précaireet dont les faits et gestes sollicitent notre attention : nousvoulons parler de l’homme de confiance du comte de Valois, SimonMalingre, et de sa digne compagne Gillonne.

Quarante-huit heures environ après le départde Lancelot Bigorne, ces deux personnages n’avaient pas aperçuvisage humain, et, chose plus terrible, n’avaient pas encore reçula moindre miette de pain, la plus petite goutte d’eau pour sesustenter ou s’humecter la gorge.

« Gillonne ! gémit Malingre.

– Simon ? interrogea Gillonne.

– Allons-nous périr de faim et de soifdans cette tanière d’enfer, comme deux renards pris augîte ?

– Nous ne sommes pas perdusencore !…

– Faut-il entendre par là que tu as uneidée ?

– Peut-être !

– Quelle est-elle ?… Gillonne, mabonne Gillonne, dis-la, ton idée… Je sais de quelles ressourcesdispose ton esprit subtil. Vois-tu, j’ai toujours pensé que tuétais la forte tête de nous deux… Que la foudre m’écrase si je nete dis la vérité !

– La forte tête !… murmura Gillonneen laissant tomber sur son compagnon un regard méprisant, la fortetête, oui, malheureusement pas le bras.

– Chienne de sorcière ! hurla Simon,exaspéré par ce silence méprisant, parleras-tu ?… Je ne saisce qui me retient d’écraser ta carogne carcasse !… car, enfin,c’est ta faute, ce qui nous arrive là… »

Gillonne, après avoir regardé un instantfixement son compagnon, laissa tomber ce seul mot :

« Imbécile ! »

L’effet fut foudroyant.

« Pardonne-moi, ma bonne Gillonne, jem’emporte et j’ai bien tort… Dans la situation où nous sommes, nousdevrions nous prêter une aide réciproque… j’ai eu tort de l’oublieret je te promets que cela ne m’arrivera plus.

– C’est fort heureux, grommela Gillonne,te voilà enfin raisonnable.

– Mais, ne me disais-tu pas, tout àl’heure, que tu avais ton idée ? fit Simon.

– À quel sujet, Simon ?… j’en aibeaucoup, des idées.

– Au sujet de la possibilité de noussortir de cette infernale prison.

– Oui, j’ai mon idée.

– Voyons cette idée ?

– Prends patience, Simon… il est mauvaisparfois de cueillir un fruit encore vert.

– Ah ! Et penses-tu que le fruitsoit bientôt mûr ?

– Peut-être !

– Et quand il sera à point, me lemontreras-tu, ce fruit ?

– Sans doute.

– Cherche, Gillonne, cherche, et quand tuauras trouvé, tu me le diras ; pendant ce temps, je vaischercher aussi. »

Là-dessus, comme la nuit était complètementvenue, ils s’étendirent chacun sur une botte de paille qu’on avaitmise là à leur intention et s’efforcèrent de s’endormir.

Cependant, chose bizarre et anormale, lecachot, puisque aussi bien c’était un cachot, paraissait s’éclairerlentement, doucement, d’une lueur tamisée et comme trèslointaine.

Et, petit à petit, une coulée de lumièreblafarde s’étala et forma un dessin carré très nettement indiquésur le sol battu, dans l’intérieur de la cheminée.

Or, Gillonne ne dormait pas. Gillonne futfrappée de ce phénomène. Gillonne se dressa sur son séant et, là,les yeux exorbités, elle observa, cherchant à comprendre.

Alors, elle vit que la coulée de lumièredescendait de la cheminée même, elle comprit et murmura ce seulmot :

« La lune ! »

C’était la lune, en effet, la lune qui,battant son plein et parvenue au zénith, laissait couler ses rayonslumineux par le vaste conduit de la cheminée et éclairait ainsid’une lueur vague et indécise l’obscurité du cachot.

« Oh ! oh ! oh ! »murmura Gillonne.

Et, doucement, elle réveilla Malingre.

« Simon, fit doucement Gillonne.

– Hein ! quoi ?…qu’est-ce ? la peste t’étouffe ! venir me réveiller justeau moment où je rêvais que je m’empiffrais de si bonneschoses ! Le fruit en question serait-il mûr ?

– Regarde, fit Gillonne. Là… ce rayonlumineux… tu ne vois pas ?

– Si fait ! Eh bien ?…

– Tu ne vois pas que c’est lalune ?

– La lune ou le soleil,qu’importe ?

– Il nous importe beaucoup, au contraire.Ne vois-tu pas d’où il sort, ce rayon lumineux ?… Ne vois-tupas qu’il est dans la cheminée ?

– Oh ! oh ! fit à son tourMalingre ; en effet, je commence àcomprendre ! »

Et, se levant vivement, il se dirigea vers lacheminée.

Il resta là quelques secondes, puis il revintdans la chambre.

« Eh bien ? interrogea Gillonne.

– Eh bien, fit Simon, rayonnant, ce n’estpas très haut et c’est suffisamment large pour qu’on y puissepasser à l’aise ; de plus les pierres intérieures forment desaspérités, en sorte qu’il y a là une échelle toute trouvée…Gillonne, ma chère Gillonne, dans dix minutes je serai hors d’ici.Oh ! bienheureux rayon de lune ! »

L’instant d’après, Simon se faufilait dans lelarge conduit de la cheminée.

Comme il l’avait dit, les pierres intérieuresformaient des aspérités qui jouèrent le rôle d’échelons, en sortequ’en quelques instants il fut sur le toit de la maison.

Quelques minutes après, Gillonne lerejoignait, ayant effectué son ascension sans trop de peine.

Alors, Simon Malingre mesura du regard lahauteur du mur et bravement sauta… Gillonne à son tour se suspenditpar les mains à l’arête et se laissa tomber, non sans invoquer deuxou trois saintes à qui elle crut devoir promettre à chacune unemédaille d’or. Pour finir, bref, les deux associés se retrouvèrentsains et saufs, sans autre accident que quelques écorchures.

Le plus difficile peut-être leur restait àaccomplir : il fallait sortir indemnes de la Cour desMiracles.

Lentement, avec des précautions infinies, ilsse glissèrent dans l’ombre des masures, tremblant toutes les foisqu’il leur fallait passer à proximité d’une porte ou d’une fenêtreoù brillait une lumière, se terrant au moindre bruit, écrasés surle sol, retenant leur haleine.

Où étaient-ils au juste ? Ils n’ensavaient rien, mais ils avançaient toujours.

Comme ils approchaient d’une maison d’assezbelle apparence – apparence toute relative, bien entendu – àl’intérieur de laquelle ils voyaient briller des lumières, ilsentendirent des pas, des voix nombreuses.

Un groupe de truands venait à leur rencontreet il leur était impossible de l’éviter.

Mais, arrivé devant la maison de belleapparence, le groupe s’arrêta, une porte s’ouvrit, un rai delumière sortit de la porte ouverte, ils entendirent desexclamations, un rire large et sonore, des bruits d’escabeauxrenversés, et ils virent aussi, grâce à ce rai lumineux, ceux quivenaient d’arriver et faisaient tout ce tapage, et une exclamationsourde jaillit des lèvres de Simon Malingre, terrifié.

« Lancelot Bigorne ! »

Ce disant, il se jeta à corps perdu dans untrou qui se trouvait juste là, entraînant Gillonne, aussitremblante que lui, avec lui.

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