La Reine Sanglante

Chapitre 17LE ROI ET LE BOUFFON

Lorsque tout le monde se fut retiré, le roipassa dans son cabinet, suivi de Lancelot Bigorne qui prenaitpossession de ses fonctions de fou et qui, d’ailleurs, sentait bienqu’il n’en avait pas fini avec le roi. Bien au contraire, la lutte,car c’était une véritable lutte qui allait avoir lieu entre cesdeux personnages, la lutte, donc, ne faisait que commencer.

La plus légère imprudence pouvait faire perdreà la fois au pauvre Lancelot sa charge de fou et sa vie detruand.

Le roi s’assit dans son fauteuil.

« Çà, maître fou, voyons cesrévélations ; qu’as-tu à me dire au sujet de ce qui s’estpassé à la Tour de Nesle ? Lorsque tu m’y conduisis, tu tecontentas de me placer devant une porte, en me disant de chercheret que je trouverais. J’ai cherché et je n’ai rien trouvé.Cependant, ajouta-t-il d’un air sombre, il faut que jetrouve ! Parle donc, si tu sais quelque chose !

– J’ai des révélations à faire,moi ?…

– Pourtant, fit le roi, n’est-on pas venume dire que tu voulais me parler à ce sujet ?…

– Ah ! oui, c’est vrai ! on estvenu vous dire cela, reprit tranquillement Lancelot, mais voyons,là, fallait-il pas dire quelque chose pour être admis en présencedu roi ?

– Alors, fit le roi désappointé, carLancelot lui paraissait sincère, alors tu ne sais rien ? Tun’as surpris aucun secret ?

– Je ne sais rien ! rien !… Pasla plus petite chose… que ce que je vous ai dit :« Frappe et on t’ouvrira ! Cherche et tutrouveras !… » Et que la peste m’étouffe, que la fièvreme fasse claquer du bec et grelotter des membres le reste de mesjours, si je mens !

– Allons ! fit le roi avec unsoupir, n’en parlons plus.

– Mais, reprit lentement Bigorne quiparaissait peser le moindre mot, mais si je ne sais rien, moi, jeconnais quelqu’un qui sait, lui, qui sait tout !

– Qui est celui-là ? dit avidementLouis, nomme-le.

– Eh bien, voilà !… Le sired’Aulnay, Philippe d’Aulnay sait tout… Mais qu’est devenu le sired’Aulnay ? Le diable le sait… Est-il seulement vivantencore ?

– Il est vivant ! fit le roi dans unrugissement de joie féroce, il est vivant et je sais où il est,moi, si tu l’ignores. Me voilà bien avancé… le seul qui sache toutne veut pas parler… ou ne peut plus parler. »

Bigorne, lui, malgré la satisfactionintérieure qu’il éprouvait à apprendre que Philippe était vivant,ne broncha pas.

Simplement, il répondit :

« C’est qu’on ne sait pas le faireparler.

– Que signifie cetteinsinuation ? »

Bigorne haussa les épaules et dit :

« Le roi veut-il me permettre unequestion ?

– Parle !

– Le roi répondra-t-il franchement à maquestion ?

– Drôle ! tu abuses de tes droits,il me semble.

– Alors, je me tais.

– Parle, brute ! je répondrai à taquestion.

– Qui a été chargé de faire parler lesire d’Aulnay… attendez, je vais répondre pour vous… je gage quec’est Mgr le comte de Valois… à moins que ce soit Mgr deMarigny.

– C’est Valois ! fit le roi qui sedemandait où son bouffon voulait en venir.

– Valois !… Je l’auraisparié !… Valois ! Hi han ! Hi han ! »

Et Bigorne tout en pensant :« Bon ! Philippe est au Temple », Bigorne se livraità des démonstrations extravagantes de joie ironique et remplissaitle cabinet du bruit de ses braiments plus ironiques encore.

« Ah ! çà, drôle,t’expliqueras-tu ? fit le roi, de plus en plus assombri. Je tejure que ce n’est pas le moment de rire.

– Pardieu, je ris parce que vous donnezle sire d’Aulnay à garder… car le sire d’Aulnay est bien au Temple,n’est-ce pas ? »

Le roi fit un signe affirmatif.

« Vous le donnez à garder au comte deValois… un de ceux qui ont un intérêt capital à ce que leprisonnier ne parle pas !

– C’est vrai, fit le roi, j’y pense aussimaintenant. »

« Mais que sait donc Valois ?

– Ce que sait Valois ?… demandez-leà Marigny.

– Marigny aussi… Oh ! je ne vois quefélonie et trahison autour de moi ! Et que saitMarigny ?

– Demandez-le à Valois ! » fitBigorne.

Le roi demeura quelques instants frappé destupeur, puis :

« Sais-tu, dit-il, que tu accuses lesdeux hommes les plus puissants après le roi ?…

– Hi han !… fit Bigorne, jouant laterreur, plaise à Votre Majesté de remarquer que je n’accusepersonne… Je dis, ce qui est la vérité, que Mgr de Valois et Mgr deMarigny en savent aussi long ou peu s’en faut que le sire d’Aulnay,et qu’ayant intérêt à ce que celui-ci ne parle pas, ils s’arrangenten conséquence. Mais je ne les accuse de rien, moi, je ne saisrien…

– Je vais faire appeler Valois et Marignyà l’instant même, nous verrons bien…

– Nous ne verrons rien… Ils dirontrespectueusement au roi qu’ils ne savent de quoi le roi veut leurparler, ils diront cela et ils le maintiendront !… Et le roi,comment, par quelle preuve pourra-t-il les convaincre demensonge ?… Le roi n’a aucune preuve… Le roi sera placé d’unepart entre deux seigneurs qui donneront leur parole de chevaliersqu’ils ne comprennent rien à ce qu’on leur dit, et d’autre part unpauvre, un misérable bouffon comme moi, qui ne sait rien, mais peuttout faire savoir au roi !… Et le roi n’hésitera pas ! Ilajoutera foi à la parole des deux seigneurs qui ne feront qu’unebouchée du pauvre Lancelot ! Devrais-je voir si tôt finir mesjours pour avoir voulu servir fidèlement mon maître, mon roi !Hi han !… pauvre moi, pauvre !…

– C’est vrai, fit le roi, tu as raison…mais, pour Dieu ! cesse tes braiments qui n’ont que faireici.

– C’est juste, fit Lancelot qui redevinttrès sérieux et ajouta, avec un air de dignité qui frappaétrangement le roi :

« Sire, je ne suis que le plus humble devos sujets, je suis ici par votre grâce, n’ayant d’autre fonctionque celle d’amuser et de divertir mon roi, mais, Sire, sous uneécorce rugueuse peut se cacher un bon fruit… Que mon roi laissetomber un regard sur moi, qu’il m’honore d’un peu de sa royaleconfiance, et ce qui lui tient tant à cœur, ce que je ne puis dire,dussé-je être roué vif, attendu que je l’ignore, ce que d’autressavent et peuvent dire, j’en jure le Christ, je le ferai dire à monroi !… Et pour cela, Sire, que faut-il ? Ruser ?…Ah ! je le sais, ce mot sonne mal à vos royales oreilles… maisceux qui apportent au service de leur maître, trahison et félonie,méritent d’être combattus par leurs propres armes… C’est le seulmoyen de les vaincre… À la ruse, il faut opposer laruse… »

Le roi parut d’autant plus frappé que cesparoles et ce maintien calme et digne contrastaient étrangementavec les allures qu’il avait vues jusque-là à celui qu’il avaitpris pour bouffon.

Que se passa-t-il ensuite ? Quelentretien eut lieu entre le roi et son fou ? Quelles décisionsfurent prises ?

C’est ce que la suite de ce récit nousapprendra sans doute.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer